Que voulaient donc les fondateurs de cette section ?

13 octobre 1989. Manifestation devant le Mossoviet exigeant l’enregistrement de Mémorial. © Memorial International

En 1987, après plus de 20 années de censure des publications portant sur la tragédie la plus douloureuse de l’histoire russe du 20ème siècle, la terreur stalinienne, les restrictions furent levées. Cette tragédie avait coûté la vie à des millions de citoyens et avait brisé le destin de dizaines de millions d’autres. A vrai dire, les mots « furent levées » ne convient pas entièrement. Il s’agissait plus d’un assouplissement, mais subsistait des contrôles encore importants, tant sur la période concernée (seule la période stalinienne était concernée) et sur l’interprétation de ces faits. Il n’était pas question de mettre en doute le « choix socialiste » qui avait été fait. Mais cela était déjà suffisant. Tout au long des pages de journaux, un flot ininterrompu de publication porta un regard cauchemardesque sur l’autorité, l’arbitraire et la violence qui avaient marqué des temps relativement proches. Cela rappelait partiellement le dégel khrouchtchévien , bien qu’alors n’avait été dévoilé que moins d’un dixième de la vérité sur ce passé. Bien entendu, les « architectes de la perestroïka » auraient été naïfs d’imaginer que dans un processus de libération de l’initiative citoyenne, de tels flux d’informations pourraient être contenus. L’histoire, à l’instar de la période khrouchtchévienne, prenait un sens politique et social.

Les participants actifs des organisations « informelles » se souvenaient de la décision prise au XXIIème congrès du PCUS d’élever à Moscou un monument aux victimes des répressions staliniennes. En 1987, cette idée se transforma en la volonté d’édifier un complexe mémoriel, comprenant un musée, des archives et une bibliothèque, ouverts à tous, qui rassembleraient des témoignages de l’époque de la terreur. Cette idée fut probablement formulée pour la 1ère fois en juillet 1987, dans une note de V. Igrounov parue dans une des publications « informelles » d’alors. Mener ce projet à terme constitua alors l’objectif principal de la section historique et éducative qui se donna le club « perestroïka démocratique », section qui se constitua rapidement en groupe autonome, le « groupe mémorial ».

Quelques mois auparavant, un tel groupe portant un tel projet se serait adressé au comité central du PCUS et au gouvernement par l’intermédiaire d’une pétition. Mais, à l’automne 1987, une rupture importante entre la politique officielle et les attentes sociales s’était créée. Les participants du groupe décidèrent non pas de s’adresser seulement aux « autorités », mais de s’appuyer sur l’opinion publique, dont ils savaient parfaitement qu’elle leur était favorable. Ils ne se limitèrent pas à s’y appuyer, mais en firent la démonstration publique. Début novembre 1987 les membres actifs de Mémorial sortirent dans les rues de Moscou pour rassembler des signatures appelant les autorités à créer un tel « complexe mémoriel »

L’initiative moscovite s’étendit très rapidement à plusieurs grandes villes d’Union soviétique, à commencer par Leningrad. Le processus de collecte des signatures rassembla de nombreux habitants de ces villes, qui se constituèrent en groupes mémoriaux. Durant les mois qui suivirent ces mouvements mémoriaux couvrirent tout le pays. Les autorités s’opposèrent très mollement à ce mouvement de collecte de signatures, moins encore qu’à ce qu’attendaient ses organisateurs. Quelques participants à cette campagne furent convoqués à la police, d’autres furent ouvertement observés. Il est vrai, cependant, qu’en province, là où les transformations étaient beaucoup plus lentes, quelques-uns des participants actifs à ces mouvements mémoriaux eurent de sérieux problèmes au travail.

Les signatures furent collectées dans les rues des grandes villes, les foyers des salles de théâtres et de concerts. Elles le furent aussi par l’usage des samizdats, se transmettant de main en main. En juin 1988, environ 50 000 signature furent présentées à la 19ème conférence du parti. Cela peut apparaître bien naïf aujourd’hui, mais c’était pour la majorité des participants d’alors tout à fait naturel.

Cette pétition eut l’effet attendu. Gorbatchev lui-même formula, lors de cette conférence, quelques propositions pour la réalisation d’un monument. Il n’évoqua ni « Mémorial » ni musée, archives ou bibliothèque. Mais il était désormais clair qu’il serait possible d’obtenir tout cela des plus hautes autorités.