Un motif insignifiant

Un motif insignifiant

Déclaration de Memorial International

Memorial International s’est indigné qu’un Fast-Food, à Moscou, ait pris pour nom « Staline ». Suite à cette réaction, « Pour la vérité » (« За Правду »), un mouvement créé par l’écrivain Zakhar Prilepine, a incité a venir protester devant Mémorial et à en interpeller les membres, en des termes très violents. Était écrit dans cet appel: « Le mouvement « Pour la vérité » et la garde de Zakhar Prilepine estiment que la position de Memorial est infondée. Cette organisation propose une présentation mensongère de l’histoire, tentant de la réécrire […] N’est-il pas temps que les agents étrangers de notre pays le quittent, pour s’occuper de leurs affaires quelque part ailleurs ? ». Cette protestation n’a finalement rassemblé que deux dizaines de personnes mais qu’un mouvement mené par Prilepine, puisse proférer de telles menaces, alors que la nouvelle loi sur les agents de l’étranger renforce encore la pression sur tous ceux qui cherchent à conserver une parole libre, est des plus inquiétants.

Mémorial-France tient à exprimer son soutien le plus total à la déclaration de Memorial International que nous reproduisons ici.

Un motif insignifiant – l’apparition à Moscou d’un fast-food portant le nom de Staline – a provoqué une discussion animée sur un vieux sujet : peut-on donner à des lieux publics le nom de criminels notoires ?

Pour nous, la réponse est évidente. Par respect pour la mémoire de millions de personnes dépossédées, déportées, envoyées dans des camps, fusillées, par respect pour les membres des familles des « traîtres à la patrie » qui portent ce stigmate depuis des décennies – la glorification des coupables de ces crimes devrait être interdite.

Déjà, en 2011, le Conseil des droits de l’homme et du développement de la société civile, dans ses propositions pour la création d’un programme public national « Sur la perpétuation de la mémoire des victimes du régime totalitaire et la réconciliation nationale» notait, entre autres qu’: « Il est nécessaire de préparer et de présenter à la Douma de la Fédération de Russie une loi sur la toponymie, qui interdirait de perpétuer la mémoire des personnes responsables des répressions de masse et d’autres crimes graves contre les droits et les libertés des citoyens ». Malheureusement, dans le texte de la Doctrine d’État sur la perpétuation de la mémoire des victimes des répressions politiques approuvée par le Gouvernement de la Fédération de Russie en août 2015, ce sujet n’est même pas évoqué.

Pendant ce temps, dans notre société, la voix de ceux qui cherchent à justifier les actions criminelles du régime communiste résonne de plus en plus souvent et de plus en plus fort. En même temps, dans la politique publique et les discours officiels, la mémoire de la catastrophe russe du XXe siècle devient de plus en plus formelle et se retire au second plan.

L’apparition, ces dernières années, dans un certain nombre de régions, de monuments à Staline, Dzerzhinsky et autres créateurs de la terreur d’État n’a pas été organisée par les autorités. Mais elle est devenue possible uniquement en raison de la réticence de l’État à renoncer résolument à toute continuité avec un régime criminel.

Rien d’étonnant: les initiatives gouvernementales pour limiter les droits constitutionnels des citoyens – les libertés de réunion, d’association, la liberté d’expression et la liberté de conscience, l’élargissement des pouvoirs extrajudiciaires du parquet, du ministère de la Justice, du Roskomnadzor, du FSB, le contrôle renforcé de la police sur la vie intellectuelle et spirituelle du pays, l’éducation et l’instruction publiques, la croissance rapide du nombre de prisonniers politiques – tout ceci ne peut que créer une atmosphère dans laquelle l’approbation timide (ou sans vergogne) du régime soviétique dans son ensemble et de la terreur de masse de l’époque stalinienne en particulier, devient la norme.

L’un des signes les plus évidents de ce processus est le retour en force du vocabulaire stalinien. Celui-ci a commencé son retour dans la pratique officielle de l’État avec les lois sur les « agents étrangers », dont l’objet était à l’origine de désigner à la société de nouveaux « ennemis du peuple ».

L’appel comique de Prilepine et de ses partisans à protéger Staline des « agents étrangers » montre clairement autant dans quelle direction se développe la société ces dernières années, que le vecteur actuel de la politique russe, tourné vers le passé.

Ces tentatives de retour au passé sont-elles un avenir ? Cela dépend de nous tous.

Le Conseil d’Administration de Memorial International.

Source https://www.memo.ru/ru-ru/memorial/departments/intermemorial/news/522