Chroniques de la Russie qui proteste // 26 fév – 4 mars 2023

Chroniques de la Russie qui proteste // 26 fév – 4 mars 2023

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


Suite de l’histoire d’Alexandra Moskaleva

« On envoie un enfant à l’orphelinat et son père est arrêté pour un dessin contre la guerre/Tout vous convient encore ?? »
« On envoie un enfant à l’orphelinat et son père est arrêté pour un dessin contre la guerre/Tout vous convient encore ?? »

Le père d’Alexandra Moskaleva, l’élève de sixième de la ville de Iefremov (oblast de Toula) qui a fait un dessin contre la guerre en cours d’art visuel, a vu sa mise en détention changée en mise en résidence surveillée mais les services sociaux ont refusé de lui rendre sa fille actuellement placée dans un orphelinat. Rappelons qu’une de ses enseignantes a dénoncé la jeune fille à la police qui est venue perquisitionner le domicile d’Alexandra et de son père. Le père d’Alexandra, Alexandre Moskaliov, a été arrêté pour « discrédit de l’armée russe » et la collégienne a été emmenée à l’orphelinat. Jusqu’à présent, on ne sait pas quand la jeune fille rentrera chez elle.

Le représentant local du parti « Iabloko » a lancé une pétition demandant de renvoyer Alexandra chez elle. La pétition a récolté plus de 140 000 signatures.

Ce n’est pas le seul cas de répressions de mineurs et de leurs parents dans l’actualité de la semaine dernière : le 5 mars, le fils de 15 ans de l’activiste bouriate Natalia Filonova a été envoyé à l’orphelinat. Natalia s’est faite arrêter dans une réunion contre la guerre, les autorités ont récupéré son fils Vladimir Alapykine chez des proches. Il a été placé d’abord à l’hôpital, puis dans un centre de réhabilitation social, et ensuite dans un orphelinat.


Protestations à l’occasion de la Maslenitsa

Des activistes anonymes de Russie ont utilisé la tradition de la Maslenitsa pour organiser des actions anti-guerre. S’inspirant de la tradition païenne consistant à brûler un épouvantail en signe de bienvenue au printemps, un activiste de Vladivostok a brûlé un « épouvantail » confectionné de journaux de propagande russe de la guerre. Une deuxième activiste a conclu les célébrations de Maslenitsa en brûlant publiquement un épouvantail à l’effigie de Poutine.

D’autres piquets contre la guerre se sont déroulés à Moscou, Ekaterinbourg, Saint-Pétersbourg, Krasnodar et Voronej. Les inscriptions sur les affiches sont : “Tu ne feras aucune idole ! Tu ne tueras pas ! Tu ne voleras pas !”, “Pour la paix”, “Non à la guerre”.

Sources :  https://t.me/ovdinfolive/18809, https://t.me/ovdinfolive/18879, https://t.me/ovdinfolive/18974, https://t.me/activatica/31253, https://t.me/ovdinfolive/18767 


Lettre ouverte

 
À Oulianovsk, des habitants ont écrit une lettre ouverte contre l’attribution à une école du nom d’un militaire ayant participé à la guerre en Ukraine. Les élèves, les collègues ainsi que les proches du directeur de l’école récemment décédé ont suggéré que l’école porte son nom. L’appel précise que les auteurs ne comprennent pas quels sont les mérites du militaire Chichikov pour l’école.


Protestations dans des bureaux de conscription

  • À Tobolsk le fils d’un participant à la guerre, âgé de 15 ans, a été arrêté car il avait l’intention de mettre le feu à un bureau de conscription. L’écolier avait précédemment fait part de son opposition à la guerre sur les réseaux sociaux. L’adolescent a été placé en détention pour deux mois.
  • Un gymnaste de Saint-Pétersbourg, âgé de 16 ans, a jeté une bouteille de liquide inflammable sous la porte d’un bureau de conscription à Kirovsk. Le jeune homme a été envoyé en maison d’arrêt et est accusé de tentative d’attentat terroriste.  
  • À Sosnovy Bor, dans l’oblast de Léningrad, un inconnu a mis le feu à un bureau de conscription. Le bâtiment a pris feu, mais il n’y a pas eu de victime.
  • À Saint-Pétersbourg, un habitant âgé de 25 ans a brisé la fenêtre d’un bureau de conscription et a laissé des slogans anti-guerres dans le bâtiment : « Non à la guerre », « Arrêtez de tuer », « Jusqu’à quel point pouvez-vous tuer ? ».
  • Dans un bureau de conscription de la république de Karatchaïévo-Tcherkessie, un habitant a déclaré auprès d’un policier qu’il ne voulait pas partir en guerre, mais qu’il voulait faire exploser ce même bureau. Le policier l’a arrêté et a ouvert une commission d’enquête.

Sur le front de la création

Mi-GuEL, un rappeur russe, a publié le clip vidéo de sa chanson anti-guerre « Qui a gagné ? », dans laquelle se trouvent les paroles suivantes : « Depuis un an déjà une opération spéciale « génocide » est en cours, détruisant et anéantissant la vie de centaines de milliers de personnes ». Le clip vidéo montre des séquences vidéos de reportages sur la ville de Mariupol bombardée.

Un artiste russe a publié la photographie d’une icône peinte aux couleurs du drapeau ukrainien.


Condamnations

Nous sommes actuellement incapables d’arrêter la guerre, mais cela ne signifie pas que nous sommes impuissants. Je souhaite que chacun d’entre vous réfléchisse à la manière dont il peut agir à son échelle. La réponse ‘je ne peux pas’ n’est pas acceptable

  • Dmitri Ivanov
    • Dmitri Ivanov, 23 ans, étudiant à l’Université d’Etat de Moscou (MGU) et auteur de la chaîne Telegram « Opposition MGU » (Протестный МГУ), a été condamné à huit ans et six mois de prison pour avoir publié des articles et avoir appelé à manifester contre la guerre. Dans son discours de clôture au tribunal, Dmitri a exhorté les Russes à ne pas abandonner : « Pour que nos espoirs deviennent réalité, nous devons dépasser notre sentiment de culpabilité à l’égard du passé et notre passivité, et nous efforcer à prendre conscience de notre responsabilité civique ; arrêter de regretter les faits révolus afin de trouver des solutions aux problèmes actuels et élaborer des projets pour l’avenir. Oui, nous sommes actuellement incapables d’arrêter la guerre, mais cela ne signifie pas que nous sommes impuissants. Je souhaite que chacun d’entre vous réfléchisse à la manière dont il peut agir à son échelle. La réponse ‘je ne peux pas’ n’est pas acceptable « .
    • Dans la région de Kemerovo, le journaliste Andreï Novachov a été condamné à huit mois de travaux d’intérêt général pour avoir mis en ligne des publications à propos de la guerre en Ukraine sur le réseau social VKontakte. Les publications d’Andreï contenaient des mots et des expressions tels que « occupants », « bombardements ciblés », « pays agresseur » et autres. Andreï a terminé son discours au tribunal par ces mots : « Militaristes et falsificateurs – devant la justice. Pour la  Russie – la liberté. Pour l’Ukraine – la paix « .
    • Alexeï Netchuchkin, un habitant de Moscou, a été condamné à quatre ans de prison : il y a un an, il a conduit sa voiture sur la place Puchkinskaya et a mis le feu à son véhicule. Sur la voiture, on pouvait lire  » Peuple, lève-toi !  » et  » C’est la guerre « . La mère d’Alexeï est originaire d’Ukraine. Dans son discours au tribunal, Alexeï a expliqué : « J’étais très inquiet pour mes proches et je ne voulais pas qu’ils pensent que j’étais indifférent. »

    Protestations de rue

    Dans les rues de différentes villes de Russie, des fleurs sont apparues en signe de deuil pour les victimes de la guerre, ainsi que des déclarations « Poutler kaput », « MonstruoZité» (« МерZость»), « Poutine est un terroriste. Liberté à la Russie », « 7110 civils sont morts en Ukraine depuis le début de la guerre. D’après les données de l’ONU du 29.01.2023. La Russie est en deuil », « Février dure un an », « On ne peut pas réinitialiser la guerre », « Ne sois pas un Zombie », « Merde à la guerre » ; « Russie unie, c’est le parti de tombilisation », « Cette résidence a été détruite par les bombes russes. L’armée de Poutine fusille chaque jour des citoyens pacifiques d’Ukraine. Nous devons stopper cela » (avec la photo d’une maison détruite à Dniepro), « Attention au mensonge » (avec des photos de propagandistes), «Ce n’est pas la patrie qui est en danger, mais le régime ! Vous n’êtes pas obligés de vous exposer aux balles qui volent vers lui ! Vous n’avez pas besoin de cette guerre. La Russie, c’est vous ! », « Non à la guerre ! Il n’y a aucun profit de guerre qui justifie la mort d’un enfant », etc.

    Sources : https://t.me/nowarmetro/13346 ;https://t.me/nowarmetro/13373 ; https://t.me/nowarmetro/13351  ; https://t.me/nowarmetro/13341 ; https://t.me/nowarmetro/13338 ;https://t.me/nowarmetro/13324 ; https://t.me/nowarmetro/13373 ;https://t.me/nowarmetro/13315 ; https://t.me/nowarmetro/13310 ;https://t.me/nowarmetro/13260 ; https://t.me/wakeup_russia/6111 ;https://t.me/wakeup_russia/6089 ; ttps://t.me/wakeup_russia/6178 


    Bonus: Une « menace » à l’armée de Russie dans un fitness-club

    A Sotchi, la police a infligé une amende à une sportive dans un fitness-club, pour avoir porté un t-shirt de sport portant l’inscription « Priez pour l’Ukraine ».


    Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
    Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France. Remerciements à Riva Evstifeeva et Emilia Koustova pour leur travail de coordination et de relecture.
    © Memorial / © Memorial France pour la version française.