OVD-Info reconnu « agent étranger ». Et après ?

OVD-Info reconnu « agent étranger ». Et après ?

Le 29 septembre, le ministère de la Justice russe a inscrit le projet-média indépendant de défense des droits humains OVD-Info au registre des groupements civils non enregistrés exerçant les fonctions d’agent étranger.

Овд Инфо est une ONG russe apportant un soutien juridique à tous ceux qui sont victimes de répressions ou de persécutions des autorités russes pour des motifs politiques et en premier lieu à ceux qui sont arrêtés lors de manifestations ou sont poursuivis par la suite pour y avoir participé

Voici la traduction de la déclaration publiée par OVD-Info suite à l’annonce de son inscription au registre des agents étrangers:

« Nous considérons ceci comme un acte de pression politique sur OVD-Info. L’inscription au registre a lieu alors que prend de l’ampleur une grande campagne publique pour l’abolition de la législation sur les agents étrangers, initiée entre autres par OVD-Info, et qu’ont déjà rejoint 229 institutions et plus de 140 000 personnes dans tout le pays.

L’inscription à ce registre ne nous a pas surpris. Depuis près de dix ans maintenant, nous parlons tous les jours de persécutions à motivation politique, et il est difficile de nous surprendre. D’autant plus aujourd’hui : nous voyons quel temps il fait à l’extérieur, de l’autre côté de la fenêtre et comment les médias indépendants, les journalistes et les initiatives civiles sont reconnus « agents étrangers » les uns après les autres.

OVD-Info est un projet indépendant. Cela signifie que nous ne sommes dépendants d’aucune structure, qu’il s’agisse de mouvements politiques ou de fondations internationales. Nous ne sommes pas des « agents étrangers ». Nous ne sommes pas des agents – nous n’exécutons aucun ordre et n’obéissons à la volonté de personne. Nous ne sommes pas étrangers – nous sommes probablement le projet de défense des droits humains le plus populaire en Russie : les seuls dont dépend OVD-Info sont des centaines de milliers de citoyens qui nous soutiennent avec des dons, le relai de nos informations, du bénévolat ou juste un message de soutien.

Les autorités, apparemment, considèrent notre projet comme hostile. Mais nous ne nous battons ni avec les autorités ni pour les autorités – nous défendons le droit des citoyens à la liberté de réunion. Nous luttons pour que l’État respecte les droits fondamentaux garantis à tous les citoyens russes par notre Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. Et nous sommes sûrs qu’aucun État n’est capable de se développer durablement sans protéger les droits de ses citoyens. Cela est évident non seulement pour ce qu’on appelle un libéral, mais aussi pour tout partisan d’un État fort – en fait, nous avons toujours travaillé et continuons de travailler avec la « défense des droits de l’Homme d’État » représentée par l’appareil du Commissaire fédéral aux droits de l’Homme,  les bureaux de Commissaires régionaux et membres du Conseil des droits de l’Homme auprès du Président de la Fédération de Russie.

Le thème des actions de protestation et les opinions politiques de leurs participants nous importent peu. Ce qui est important pour nous, c’est que tous les citoyens de Russie puissent jouir de la liberté de réunion. C’est pourquoi, pour nous, l’indépendance, c’est, entre autres, l’indépendance de tout parti politique et de toute initiative citoyenne. C’est pourquoi nous protégeons tous ceux qui sont confrontés à une violation de leur droit aux rassemblements publics – ceux de gauche, ceux de droite, opposants, responsables pro-gouvernementaux, partisans de Navalny, militants du Parti communiste, journalistes indépendants et journalistes de Russia Today.

Mais nous voyons que le gouvernement actuel n’a que faire de la réflexion et la préoccupation de l’État pour les droits des citoyens. Au contraire : ceux qui travaillent au développement de notre société civile et contribuent réellement au renforcement de l’État sont désignés comme ses ennemis déclarés, des agents étrangers.

Nous sommes convaincus que la campagne lancée par les autorités contre les initiatives civiles et les médias est destructrice non seulement pour la société civile russe, mais aussi pour l’État lui-même. Mais avant tout, cette campagne touchera les simples citoyens : dans le cas des médias, leurs lecteurs, qui risquent de se retrouver sans sources d’information alternatives, et dans le cas des projets de défense des droits humains, ceux qui sont confrontés à la violation de leurs droits et peuvent se retrouver eux-mêmes face à face avec le système.

Le statut d’agent étranger n’est pas un « label de qualité », c’est une marque noire : et il ne s’agit pas tellement des labels et marquages ​​ou des signalements complémentaires imposés par la loi, tout est dans la législation elle-même, qui permet de jeter d’abord un lasso autour du cou de toute initiative répréhensible, puis de le resserrer ensuite arbitrairement : depuis 2012, date de l’apparition de la première version des lois sur les agents étrangers, les obligations imposées aux organisations inscrites dans ce registre n’ont cessé de s’étendre, et les opportunités se rétrécissent . En fait, toute organisation « agent étranger » peut à tout moment être liquidée de force et ses dirigeants arrêtés. Depuis peu, la même épée de Damoclès plane sur tous ceux qui gênent et qui peuvent désormais être reconnues comme « agents étrangers » à titre personnel – en fait, cette marque stigmatise comme le loup blanc, pratiquement incompatible avec une vie professionnelle ou personnelle.

Mais qu’allons-nous donc faire ?

Premièrement et c’est le plus important : OVD-Info continuera à fonctionner comme avant. Vu les nouvelles circonstances, ce sera plus difficile pour nous (pour commencer, nous devrons probablement accrocher une plaque stupide avec cette « marque noire » sur notre site internet), mais le besoin que la société a de nous ne disparait pas pour autant : l’information protège toujours et personne ne devrait jamais rester seul(e) en tête-à-tête avec le système.

Deuxièmement, nous allons contester l’inscription de notre projet au registre des agents étrangers. Nous avons peu d’espoir d’une victoire rapide devant les tribunaux russes, mais nous pensons que tôt ou tard la justice prévaudra devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Troisièmement, nous appelons à la solidarité avec toutes les initiatives, médias et journalistes qui ont été soumis à une attaque similaire ces derniers mois. Avec un zèle accru, nous exigerons l’abolition de la loi sur les agents étrangers et vous exhortons également à rejoindre cette campagne – d’abord, en signant notre pétition. Ensuite, il est important de continuer à soutenir celles et ceux qui subissent la pression du gouvernement. Sur ce site, vous pouvez choisir, parmi eux, ceux que vous souhaitez soutenir par un don, car pour le moment, le statut d’agent étranger ne crée aucun risque supplémentaire ni pour les donateurs et ni pour les bénéficiaires. »

Source https://ovdinfo.org/inoagent / Illustration Ekaterina Simacheva pour OVD-Info.