Voix de guerre #3 : Juste derrière chez moi, cinq personnes ont été tuées, dont une femme enceinte.

Voix de guerre #3 : Juste derrière chez moi, cinq personnes ont été tuées, dont une femme enceinte.

Kateryna Rindich, Kharkiv

Propos recueillis par Taras Zozulinski le 03.11.2022 

J’ai soixante-cinq ans et je suis retraitée. Je suis venue à Lviv de Kharkiv. Je suis née dans le district de Soumy, à la frontière de l’Ukraine avec la Russie. Avant, les Russes passaient la frontière pour venir à l’école chez nous, mais maintenant ils nous tirent dessus…


Ce témoignage fait partie de « Voix de guerre », un projet associant Memorial France, Memorial Italie, Mémorial République Tchèque, Mémorial Pologne et Mémorial Allemagne autour du Groupe de défense des droits de l’homme de Kharkiv (Memorial Ukraine)

Pour en savoir plus sur le projet Voix de guerre, rendez-vous ici


En 76, je suis allée étudier à Kharkiv, puis on m’a affecté à un travail dans la ville de Gorkiy. Plus tard, je suis retournée à Kharkiv, je me suis mariée et m’y suis installée. J’ai trouvé un travail sur un chantier de construction, et lorsque les enfants sont nés, je suis devenue institutrice dans une école maternelle. J’ai ensuite travaillé dans une usine, puis dans le commerce, les trois dernières années comme caissière. Je suis à la retraite. Je travaille parfois à temps partiel. J’aime la broderie, alors je brode des perles après le travail. J’ai une petite datcha, mais elle se trouve à la frontière russe et actuellement s’y sont installés les occupants.

Comment s’est passé pour vous le premier jour de l’offensive russe ?

Le 23, c’était férié, nous nous sommes promenés dans le parc Gorki et nous ne pensions à rien de mal. Notre ville est très belle. tout le monde est rentré chez soi se coucher. Au matin, nous avons été réveillés par des explosions et des appels téléphoniques. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il y ait une guerre. Et il s’avère qu’elle a commencé. On est sorti dans la rue, tout le monde courait, on se demandait : que faire, où aller, à qui téléphoner ? C’est ma fille qui m’a appelée et m’a dit : « Maman, nous allons dans l’abri anti-bombe. Prépare-toi, viens avec nous ». Mais j’ai décidé de rester à la maison.

Avez-vous été témoin de crimes contre des civils ?

Ils ont d’abord bombardé le quartier Saltivka. Je vis aussi à Saltivka, mais dans une partie plus éloignée. La nuit, on a entendu que quelque chose sifflait en volant. Le matin, je sors et qu’est-ce que je vois ? Les fenêtres ont volé en éclats, le magasin a été détruit par une explosion. Quelque chose brûle rue Bliukher (ancien nom de la rue Valentynivska). Il y avait une épaisse fumée noire et tout le quartier était enfumé… J’ai couru acheter quelque chose pour les enfants dans l’abri anti-bombes. Il n’y avait plus grand-chose dans les magasins : quelques conserves, des biscuits de pain d’épices. Tous les jours il y avait des fusillades, il y avait toujours quelque chose qui brûlait. Dans notre quartier, un obus est tombé devant l’école de la rue Garibaldi, où va mon petit-fils. Dieu merci, l’obus a d’abord explosé sur la route, mais l’école a quand même touché.

Avant-hier un obus a explosé derrière ma maison. J’ai appelé, on m’a dit que cinq personnes avaient été tuée, dont une femme enceinte.

Ma fille aînée avait un trois pièces à Severnoe. L’immeuble a été touché par un obus, et je ne sais pas ce qui est arrivé à l’appartement. Et la plus jeune a pris un crédit juste avant le nouvel An. Son appartement a également été touché par un obus.

Maison détruite rue Saltivka, 3 mars 2022, photo : Service d’urgence de l’État

Comment avez-vous fait les jours suivants ? Comment avez-vous quitté la ville ?

Les enfants ont passé quelques jours dans un abri anti-bombes. Puis ma fille a appelé et a dit : « Maman, on va quitter la ville. » Les enfants ont eu très peur. J’ai deux petites-filles de cinq ans et un petit-fils de huit. Lorsque la sirène retentit,il se bouche les oreilles et se met à paniquer. Ils ont décidé de partir, alors moi aussi. Le matin, j’ai fait de l’auto-stop jusqu’à leur abri. C’était le 5 mars. Mes gendres nous ont conduits de l’abri à la gare. Nous sommes restés très longtemps à la gare, car beaucoup de gens partaient. Le temps était également exécrable : nos sacs étaient posés sur la neige et les enfants étaient assis dessus, couverts de plaids. Nous avons attendu ainsi sur le quai à peu près cinq heures. Il y avait des avions qui nous survolaient et nous ne savions pas si c’étaient les nôtres ou ceux des russes. C’était effrayant.

Peut-être avez-vous quelque chose à dire aux Russes ?

J’ai toujours eu une attitude normale à leur égard. Mais ce qu’ils ont fait à notre pays est juste insupportable… Rappelez vos enfants, ils meurent ici ! Les nôtres meurent, et les vôtres aussi ! Et tout ça à cause de votre idiot de Poutine. N’avez-vous pas de peine pour vos enfants et petits-enfants ? Vous tuez des enfants, des civils innocents ! Les jardins d’enfants, les écoles, les centres commerciaux et les parcs sont-ils des cibles militaires ? Qu’est-ce qu’ils bombardent ? Le parc zoologique, les bombardements y ont tué les animaux ! Arrêtez votre « bête sauvage » ! Combien de temps encore peut-on tolérer cela ?