Le Centre des droits humains Mémorial s’est progressivement saisi du thème des prisonniers politiques à partir du milieu des années 2000, lorsque le problème des répressions pénales politiques s’est accentué en Russie et a fait ressentir ses effets tant sur des institutions publiques fragiles que sur la volonté de changement dans la société. Depuis 2008, le Centre des droits humains (CDH) Mémorial a lancé un programme «Soutien aux prisonniers politiques», qui enquête sur les persécutions à motivation politique et aide leurs victimes, tant sur le plan juridique que matériel.

Au fil du temps, le caractère systémique et non isolé de ces nouvelles persécutions / répressions politiques est apparu très clairement, autour des éléments suivants :

  • Les pratiques judiciaires mettent en doute les principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice, la présomption d’innocence et l’égalité de tous devant la loi.
  • La législation antiterroriste et l’extrémiste est souvent utilisée pour harceler et intimider les voix qui dérangent.
  • Depuis déjà longtemps, les droits à la liberté de conscience et d’expression, à la liberté de réunion et d’association sont bafoués en Russie.
  • Les médias d’État, parfois même des représentants du gouvernement, se rangent ouvertement du côté de l’accusation, divulguent des documents confidentiels, donnent le la du processus judiciaire, allant parfois jusqu’à « prédire » son issue.

Non seulement ces poursuites sont accompagnées de multiples violations de la loi, mais souvent, elles résultent aussi d’une véritable commande politique de la part du pouvoir. Parfois, ce sont des personnes ordinaires qui font l’objet de manière aléatoire de ces persécutions politiques pour des motifs falsifiés ou inventés et se retrouvent otage de situation à leur insu. Les cas toujours plus nombreux contre des « espions », des « extrémistes », des « terroristes », des « voyous » ou des « fauteurs de troubles », suggèrent qu’il ne s’agit pas seulement de contrôler les agissements qui dérangent le pouvoir, mais aussi d’utiliser ces procès à des fins de propagande et d’influence sur l’ensemble de la société.

Il reste que la majorité de ces poursuites pénales sont dirigées contre des personnes engagées dans une activité civique ou pour les en dissuader. Les motifs sont farfelus ou, de plus en plus, directement falsifiés par les forces de l’ordre. Au tribunal, les violations évidentes de l’enquête ne sont même pas prises en compte et la pratique de la torture et des mauvais traitements, même lorsqu’elle laisse des traces visibles, n’est quasiment jamais reconnue comme « confirmée ». De plus, les peines prononcées « sur ordre » sont inadaptées – ne correspondant ni à des infractions réelle, si tant est qu’elles aient eu lieu, ni à un délit ou crime passible de condamnation.


Qui sont les prisonniers politiques pour Mémorial ?

Il n’existe pas de définition couramment admise du «prisonnier politique». Le CDH Mémorial se fonde sur une Résolution n °1900 (2012) de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE)
Le CDH Mémorial estime que deux catégories de personnes doivent être considérées prisonniers politiques (poursuivis pénalement pour des raisons politiques).

 D’abord, ceux qui sont persécutés uniquement pour avoir exercé leurs droits civils, en raison de leur appartenance à un groupe national, religieux ou autre, ou encore pour leurs convictions et opinions (Amnesty International qualifie ces personnes de prisonniers d’opinion).

Ensuite, ceux qui sont poursuivis, d’une part, avec des violations importantes de la loi ou bien de manière clairement ciblée, pour des raisons politiques.

Le CDH Mémorial exclut des prisonniers politiques ceux qui ont utilisé la violence contre des individus ou qui ont appelé à la violence contre des personnes en raison de leurs origines ethniques, de leur religion, etc. Cette exception ne signifie pas forcément que soit reconnues comme justifiées ou légales les poursuites contre ces personnes.

Les principes complets de référence aux prisonniers politiques, appliqués par le CDH Mémorial, sont énoncés dans le Guide pour la définition des «prisonniers politiques» élaboré en collaboration avec un certain nombre d’organisations de défense des droits humains en Europe de l’Est.


Les différentes listes de prisonniers politiques

Actuellement, le CDH Mémorial tient deux listes de personnes qui sont toutes reconnues comme prisonniers politiques sur la base des critères ci-dessus : ceux qui sont privés de leur liberté dans le cadre de l’exercice du droit à la liberté de religion ou en fonction de leur appartenance religieuse (la « liste religieuse»), et une liste de tous les autres prisonniers politiques ( « liste générale »). Cette distinction est destinée à faciliter la perception et l’analyse des informations sur les prisonniers politiques.s. Les personnes figurant sur les deux listes remplissent de la même façon les critères pour être reconnues comme prisonniers politiques, et le nombre total de prisonniers politiques en Russie selon le CDH Mémorial est la somme du nombre de personnes impliquées dans ces deux listes.

Afin de combler au moins partiellement le caractère manifestement incomplet de ses listes, le CDH Mémorial maintient une liste supplémentaire de personnes privées de liberté et dont la détention porte très probablement les signes de poursuite politique et de violation grave de la loi. Cette liste comprend les noms des prisonniers qui ne sont pas actuellement reconnus comme prisonniers politiques, mais dont la procédure comporte clairement les signes mentionnés plus haut, ainsi que des personnes qui remplissent tous les critères pour être reconnus comme prisonniers politiques à l’exception de celui d’absence de violence ou d’incitation à la violence.

Par «prisonniers politiques», le CDH Mémorial entend à la fois les personnes purgeant une peine d’emprisonnement et celles qui sont détenues ou soumis à l’assignation à résidence à titre préventif.


Les différents groupes objets de poursuites

Le premier groupe, le plus évident, est celui des militants politiques et civiques, des militants des droits humains et des artistes protestataires. Ces répressions sont en grande partie aléatoires et toucher n’importe qui. Cette situation donne à penser que, outre l’objectif poursuivi de mettre fin aux activités de ces personnes, cette répression revêt dans presque tous les cas, un caractère de prévention et de dissuasion face à des comportements jugés indésirables par des autorités.

Par ces répressions démonstratives, les autorités envoient à la société des signaux délimitant la « zone de danger » au-delà de laquelle ne doit s’aventurer ni l’activité civique publique ni l’exercice des droits civils.

Un autre groupe important de prisonniers sont ceux qui sont persécutés en relation avec l’agression du pouvoir russe contre l’Ukraine, principalement des citoyens ukrainiens. Parmi eux, on remarque un groupe important composé de Tatars de Crimée. Les condamnations prononcées dans ce cadre, à l’exception des Tatars de Crimée, semble être motivées par le soutien à la campagne de propagande anti-ukrainienne des autorités et par la volonté de contrôle des mouvements de protestation de la société russe.

Quant à la persécution des Tatars de Crimée, elle vise à agir sur la population tatare de Crimée dans son ensemble par l’intimidation et la suppression de toute activité organisée d’un peuple qui, victime à plusieurs reprises de répression par l’URSS, a conservé un potentiel de protestation. Dans de nombreux affaires judiciaires en cours, l’objectif évident est précisément la cessation de leurs activités publiques en faveur des droits civils et humains.

Enfin, de manière évidente, différents groupes confessionnels peuvent être distingués parmi les prisonniers politiques persécutés en raison de leur appartenance religieuse ou dans le cadre de l’exercice du droit à la liberté de religion. La plupart d’entre eux sont des musulmans, pour la leur majorité des personnes accusées de participer au Hizb ut-Tahrir al-Islami (une organisation religieuse et politique déclarée terroriste et interdite en Fédération de Russie).

Le CDH Mémorial considère aussi comme prisonniers politiques musulmans les partisans du théologien turc Said Nursi accusés d’être membres des organisations déclarées extrémiste et interdites en Fédération de Russie Nurjalar et le mouvement Tablighi Jamaat. Le CDH Mémorial insiste spécifiquement dans ses rapports sur la fabrication d’accusations de terrorisme contre des musulmans qui n’ont participé à aucune activité religieuse ou sociale organisée et qui sont devenus des victimes accidentelles d’une politique du chiffre en matière de lutte contre le terrorisme et de la propagande sur la menace de ce terrorisme islamiste. Mais dans ces affaires, qui comportent  des accusations d’actes criminels concrets, il est particulièrement difficile d’identifier et de prouver de manière convaincante la falsification de preuves. Par conséquent, malgré des signes nombreux, ils figurent rarement sur les listes de prisonniers politiques.

Parmi les autres groupes religieux poursuivis, on peut citer les Témoins de Jéhovah (déclarés extrémistes et interdits en Russie), dont le nombre augmente dans les listes de prisonniers politiques, ainsi que plusieurs dirigeants et membres de l’organisation de l’Église de Scientologie de Saint-Pétersbourg .

On observe également l’apparition d’un autre motif, lié au caractère international d’un certain nombre d’activités faisant l’objet de poursuites. Il s’agit notamment de toutes les organisations musulmanes susmentionnées, dont le Nurdzhalar, mais aussi les Témoins de Jéhovah, le Mouvement «Russie ouverte», les accusés dans l’affaire Novoe Velichie à Moscou, l’affaire B.A.R.S., l’affaire «Réseau» de Penza et de Saint-Petersbourg, et de nombreux cas relevant du groupe ArtPodgotovka. Il semble que ces efforts de pénalisation soient liés aux craintes des autorités concernant toute tentative d’auto-organisation indépendante et d’organisation des citoyens.

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