Chronique d’une persécution ordinaire

Chronique d’une persécution ordinaire

Le 4 mars au matin, des individus affirmant appartenir aux forces de l’ordre se sont présentés devant les deux sièges de Memorial à Moscou et ont entamé des perquisitions. Ils ont interdit aux collaborateurs de Memorial qui étaient à l’intérieur de sortir et d’utiliser leurs téléphones. Ils ont également empêché qui que ce soit d’entrer dans les locaux. La nouvelle de ces perquisitions n’a pu être diffusée qu’à 11 heures du matin.

Simultanément, des opérations policières similaires ont débuté dans les bureaux du Comité « Assistance civile », un des proches partenaires de Memorial au sein du programme « Migration et droit ».

On peut supposer que la cause des perquisitions est l’arrestation, quelques jours plus tôt de Bakhrom Khamroev, avocat, militant pour les droits des migrants au sein du Centre des droits humains de Memorial. Ce dernier, accusé d’extrémisme a été placé en détention provisoire pour deux mois le 25 février.

Nous reproduisons ci-dessous une brève chronologie des événements du 4 mars :

11:10 Les représentants des forces de l’ordre refusent tout contact. Ils ne disent pas à quelle administration ils appartiennent et quelles sont les motifs des perquisitions. Impossible d’entrer en liaison avec les collaborateurs de Memorial enfermés à l’intérieur.

11:40 Devant le siège du Centre des droits humains Memorial, rue Maly Karetny, est garé le minibus qui a amené les OMON.

11:44 La Cour européenne des droits de l’homme a été informée, conformément à l’article 39 du règlement de la Cour, de la perquisition en cours dans les locaux de Memorial. 

Les avocats ont demandé à la Cour d’ordonner aux autorités d’arrêter immédiatement la perquisition et de s’abstenir de toute action visant à mettre, dans les faits, un terme à l’activité de Memorial.

12:08 On empêche l’avocat de Mémorial, Mikhaïl Biryukov, de pénétrer dans les locaux de Memorial, rue Karetny Ryad.

Il en est de même pour Jan Rachinsky, le président du conseil de direction de Memorial-international.

12:19 On apprend qu’un minibus blanc s’est approché des locaux de la rue Karetny Riad. Quatre personnes se sont dirigées vers le bâtiment. L’une d’elles tenait quelque chose dans les bras.

12:55 Les enquêteurs recouvrent de l’intérieur les portes vitrées de Mémorial avec du carton pour empêcher le photographe de « Sota » de photographier ou filmer ce qui se passe à l’intérieur.

13:02 Des collègues écrivent que les policiers au Maly Karetny viennent d’apporter des meuleuses et des outils utilisés pour les cambriloages.

L’avocat n’est pas toujours pas autorisé à entrer dans les locaux (ce qui est contraire à la loi).

13:15 L’avocate Svetlana Sidorkina arrive devant les locaux du Maly Karetny. Elle n’est pas été autorisée à entrer. Les motifs de la perquisition et l’organisation qui en est chargée n’ont toujours pas été communiqués.

Au même moment, un cameraman et un journaliste armé d’un appareil photo de l’agence Sputnik se sont approchés des locaux du Maly Karetny. Ils se sont présentés à la police, mais ils ont refusé de se présenter aux membres de Memorial rassemblés devant les locaux.

L’agence TASS annonce, en se référant à une source interne, que la perquisition de Mémorial est liée à l’affaire du militant des droits humains Bakhrom Khamroev, accusé d’extrémisme.

Khamroev ne fait pas partie du personnel du Centre des droits humains de Memorial, mais il en est membre. Accusé de justification publique du terrorisme (article 205.2 du code pénal), il a été placé en détention pour deux mois par un tribunal de Moscou le 25 février.

14:21 Anna Dobrovolskaya, directrice du Centre des droits humains « Memorial », donne des informations sur la perquisition dans les locaux de Memorial du Maly Karetny :les représentants des forces de l’ordre exigent l’ouverture du coffre-fort, mais dans le même temps refusent de laisser entrer les collaborateurs qui seraient en mesure de le faire.

La perquisition des bureaux dure depuis 3 heures et demie. Les avocats et les représentants de Memorial ne sont pas autorisés à entrer dans les bureaux, mais on continue d’exiger l’ouverture du coffre-fort.

Tout ce qui se passe est absolument illégal.

14:39 La perquisition des bureaux du Comité « Assistance civile » est terminée. Les policiers ont saisi le serveur et les disques durs.

15:19 Quatre heures de perquisition. Les avocats et les représentants ne sont toujours pas autorisés à entrer.

Les motifs de la perquisition restent inconnus. Seuls les OMON au siège du Maly Karetny ont pu être identifiés en tant que tels, les individus en uniformes noirs au siège du Karetny Riad refusent de dire qui ils sont.

Les médias appartenant à la propagande officielle sont présents.

15:33 Les collègues du Karetny Riad signalent que la meuleuse est entrée en action

16:11 Un colonel arrive aux locaux du Maly Karetny. En entrant dans le bâtiment, il demande par téléphone si on a trouvé quelque chose.

Les témoins sont particulièrement impressionnés par la plaque d’immatriculation de sa voiture : A 1968, date de l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie.

16:34 L’information sur les motif des perquisitions a été confirmée : elles sont liées à l’affaire de l’activiste Bakhrom Khamroev, déclare Svetlana Gannushkina – responsable du programme d’assistance aux réfugiés et dirigeante du Comité d’assistance civique.

18:55 Huit( !) heures se sont écoulées depuis le début des perquisitions dans les bureaux de Memorial.

19:19 Le groupe de soutien demand de pouvoir transmettre nourriture et boissons aux collaborateurs enfermés dans les bureaux ; réponse des policiers « Ils vont tous revenir [sic] bientôt… »

19:30 Les perquisitions continuent dans les locaux de Memorial. Elles ont commencé il y a huit heures.

19:40 Il semblerait que la perquisition des locaux du Maly Karetny s’achève.

19:48 Les siloviki emportent plusieurs cartons.

20:14 Les locaux du Maly Karetny après douze heures de perquisition. Manifestement les forces de l’ordre ont décidé d’ouvrir le coffre-fort par leurs propres moyens.

20:18 Pendant ce temps, la perquisition dans les locaux du Karetny Riad se poursuit. Deux camionnettes supplémentaires sont arrivées.

20:51 Le procès-verbal de la perquisition a été remis au gardien d’astreinte qui a signé l’engagement de ne pas le diffuser.

La perquisition a été menée par des agents du FSB.

Formellement, la perquisition a été effectuée dans le cadre de l’instruction de l’affaire « criminelle » de Bakhrom Khamroev, qui tout en étant membre du Centre des droits humains ne fait pas partie de son personnel.

Selon nous, l’instruction de l’affaire Bakhron Khamroev n’était ici qu’un prétexte pour avoir accès aux documents de Memorial.

21:08 La perquisition des locaux de Karetnyj Riad, elle, se poursuit toujours.

22:43 Cela fait quatorze heures que dure la perquisition de Karetnyj Riad.

23:37 Les représentants des forces de l’ordre se sont placés de telle sorte que nous ne pouvons pas voir ce qu’ils sont en train de sortir des locaux de Memorial (Karetny Riad)

23:42 Le microbus avec les hommes en noir est en train de partir.  C’est fini pour aujourd’hui.

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5 mars 2022

9:20 La perquisition des locaux de Memorial au Karetny Riad s’est achevée à 2 heures du matin. Elle a duré quatorze heures. Pendant tout ce temps, les collaborateurs de Memorial et ses avocats ont été empêchés d’entrer.

On a trouvé dans les locaux de nombreux Z, signe distinctif des troupes russes envahissant l’Ukraine, tracés un peu partout.

Ont été saisis plusieurs disques durs et de nombreux imprimés : livres, tracts, affiches, cartes de visite et autres documents.