Intervention de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, à l’occasion du colloque « Mémorial et la portée universelle de l’histoire du stalinisme : mémoires européennes et histoires nationales »

Intervention de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, à l’occasion du colloque « Mémorial et la portée universelle de l’histoire du stalinisme : mémoires européennes et histoires nationales »

Nous reproduisons ici l’intégralité du discours de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, à l’occasion du colloque « Mémorial et la portée universelle de l’histoire du stalinisme : mémoires européennes et histoires nationales » qui a eu lieu le 10 mars au Campus Condorcet (source)


Discours de Jean-Yves Le Drian au colloque organisé par Mémorial France – 10.03.2022

« Mesdames et Messieurs,

Alors que le régime de Vladimir Poutine s’enfonce chaque jour un peu plus sur le chemin d’une guerre injustifiable contre l’Ukraine et s’enfonce dans une répression massive contre la société civile russe, je tenais à être des vôtres pour réaffirmer le soutien de la France à Mémorial qui, depuis plus de trente ans, cela a été rappelé tout à l’heure, représente tout ce que cette double dérive vient brutalement nier. Mémorial dont l’avenir est aujourd’hui très gravement menacé en Russie.

Je tiens donc à remercier chaleureusement Nicolas Werth et Alain Blum qui, au nom de l’association Mémorial France, m’ont invité à m’exprimer devant vous, à l’issue d’une après-midi de discussions dont nous venons d’entendre la fécondité et combien elle aura été utile. Elle montre à quel point la parole des historiennes et des historiens doit compter aujourd’hui.

Car, pour nous orienter dans le moment saturé d’historicité dans lequel nous nous retrouvons tous plongés, nous avons besoin de vous – de vos savoirs, de votre regard etde votre vigilance.

Ce moment, c’est, d’abord, un moment où chacun sent revenir, au cœur même de notre continent, les échos les plus douloureux du siècle passé.

L’agression militaire que Vladimir Poutine, au mépris du droit international, a fait le choix irresponsable de lancer contre l’Ukraine marque le retour en Europe, après des années de paix et plusieurs décennies de stabilité, le retour de la guerre au sens le plus strict et le plus canonique du terme : une offensive militaire de très grande ampleur, lancée par un Etat contre un autre Etat, dans le but d’envahir son territoire et, par la force, de lui imposer sa volonté.

Les colonnes de blindés sur les routes, les villes assiégées, l’exode des réfugiés sous les bombardements : ces images – et tant d’autres, qui ne cessent désormais de nous hanter – ravivent les souvenirs de toutes les heures sombres du XXe siècle.

Bien sûr, comparaison n’est pas raison. Mais, nous avons tous pensé à 1914, à 1939, à 1956, à 1968, à 1992, le siège de Sarajevo, à 1999, la guerre du Kosovo et à chacune des années terribles de cette longue tragédie européenne. D’autant que l’Ukraine fut au centre de ce que l’un de vos confrères a appelé les « terres de sang » de notre continent.

Le moment que nous vivons est aussi, très objectivement, un moment de régression historique.

Parce qu’il viole les principes cardinaux du droit international et de l’ordre de sécurité européen, le choix de Vladimir Poutine met brutalement en cause plus de sept décennies d’efforts collectifs, menés avec l’URSS puis avec la Russie, pour nous arracher à l’horreur de la Seconde guerre mondiale et bâtir un monde et une Europe plus sûrs et plus stables, grâce à la régulation des rapports de forces, à l’encadrement de la compétition de puissance au moyen du droit, des engagements réciproques des Etats et du dialogue diplomatique.

Mais nous en sommes tous conscients : ce qui vient de se produire est le sinistre aboutissement d’un long travail de sape et de déconstruction. Mais force est de reconnaître aussi qu’un palier nouveau vient d’être franchi, au prix d’un saut qualitatif dans la transgression qui constitue assurément en ce moment un point de bascule.

Ce point de bascule nous précipite dans une nouvelle ère. En ce sens aussi, nous vivons un moment historique : un moment où la trame de notre présent se déchire, où la figure d’un certain monde s’éclipse irrémédiablement, où – plus encore que d’ordinaire – notre avenir dépend des choix que nous saurons faire.

Les bouleversements et la recomposition des dernières années ont progressivement défini une nouvelle donne de la puissance, dont les dynamiques de brutalisation – brutalisation de la vie internationale, brutalisation de l’espace informationnel et brutalisation de la rivalité des modèles jouent à plein dans la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Mais cette guerre n’en est pas moins un événement, au sens le plus fort de ce mot. Elle peut s’analyser à partir de tendances existantes que je viens d’énumérer, mais c’est au regard des conséquences qu’elle risque d’emporter qu’elle prend tout son sens.

C’est pourquoi les Européens et leurs alliés n’ont pas hésité à prendre aussi des décisions de rupture.

Décisions de rupture, d’abord, face à l’urgence.
C’est le sens du soutien que nous apportons au gouvernement ukrainien et à sa résistance, qui tient bon.
C’est le sens des sanctions massives que nous avons adoptées contre l’économie russe pour rendre le coût de la guerre insupportable. Elles seront renforcées.
Et c’est le sens de notre mobilisation humanitaire et de notre mobilisation pour accueillir les réfugiés d’Ukraine.
Décisions de rupture, aussi pour nous, pour tirer les conséquences à long terme de ce qui se passe actuellement.
C’est tout l’objet du sommet consacré à l’avenir de notre modèle européen et de notre souveraineté européenne qui se tient aujourd’hui et demain, à Versailles, autour du Président de la République et de ses homologues des 27.
Et c’est ce que nous continuerons à faire tout au long des semaines et des mois à venir. La France qui assume, ce semestre, la présidence du Conseil de l’Union européenne a une responsabilité particulière à cet égard, que nous entendons assumer pleinement.

Les échos du XXe siècle européen, le choc d’une régression majeure dans la vie internationale, l’expérience d’une bascule vers le vif de l’histoire : ces différents niveaux d’historicité, dont je disais que le moment actuel était comme saturé, se télescopent, s’entremêlent et s’interpénètrent. Au risque de la confusion.

Il est encore un autre niveau d’historicité, non moins crucial, inscrit au cœur du moment présent. C’est que la guerre engagée par la Russie contre l’Ukraine est, très ouvertement, la manifestation d’un révisionnisme à main armée.

Le discours prononcé par Vladimir Poutine, le 21 février dernier, pour apporter un semblant de justification à sa décision de reconnaître l’indépendance des deux républiques fantoches du Donbass, le discours qui a donc ouvert la voie au lancement d’une offensive militaire de grande ampleur contre l’Ukraine a pris la forme d’un propos largement centré sur le passé de l’Ukraine et de la Russie, du même acabit que l’essai publié l’été dernier par le même Vladimir Poutine au sujet de ce qu’il considère être – je cite sa formule – « l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ». Formule évidemment problématique, puisqu’elle pose comme un fait ce que la pseudo-démonstration qu’elle introduit est censée montrer.

Nombre d’historiens ont immédiatement contesté la validité des arguments biaisés, sophistiqués et parfois même mensongers avancés par Vladimir Poutine dans ces deux textes de référence. Ce n’est pas mon rôle de revenir là-dessus.

Ce que je veux dire, en revanche, en tant que responsable politique d’un pays où des voix s’élèvent également parfois pour tenter de réécrire l’histoire, c’est que la théorisation du révisionnisme historique a servi à justifier, sert à justifier, la mise en œuvre d’un révisionnisme géopolitique. Et que ce double révisionnisme aboutit aujourd’hui à la négation, par des actes de guerre, de l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues, la négation de la souveraineté de l’Ukraine et, in fine, en droit même la négation de la nation ukrainienne à exister.

Une même violence s’exprime dans le discours qui présente l’Ukraine comme le produit d’une série de prétendues erreurs historiques et dans le déploiement des moyens militaires pour corriger ces erreurs – expression que j’emploie, bien sûr, avec tous les guillemets et toute la distance qui s’imposent.

C’est une violence à l’endroit de la nation ukrainienne, qui montre pourtant, par sa résistance, sa détermination, sa volonté à s’imposer comme sujet de sa propre histoire.

C’est une violence à l’égard des faits – et pas seulement à l’égard des faits historiques.
Marc Bloch disait que « l’incompréhension du présent naît fatalement de l’ignorance du passé ».
C’est vrai. Mais, aujourd’hui, nous voyons se nouer une autre spirale de la fausseté, quand la distorsion du passé se prolonge en falsification du présent. Tant il est clair, et malheureusement avéré, que les manipulations de l’histoire et les manipulations de l’information se répondent et se renforcent mutuellement.

Cela est particulièrement frappant, et révoltant, dans l’instrumentalisation et le dévoiement qui sont faits, par les autorités russes, des notions de dénazification et de génocide. Cela a été évoqué dans le propos introductif.

Au mépris des faits, donc.
Parce que ni le Président Zelensky, ne serait-ce que pour des raisons personnelles évidentes, ni les forces politiques choisies démocratiquement par le peuple ukrainien pour gouverner le pays ne sont des nazis, des néo-nazis ou des admirateurs du Troisième Reich. Comme chacun peut d’ailleurs le constater à leurs discours et à leurs actes.
Au mépris des faits aussi parce que l’idée que les populations russophones d’Ukraine seraient victimes d’un génocide n’a pas la moindre consistance, pas le moindre fondement et ne saurait, être étayée par aucune espèce de preuve.

L’instrumentalisation et le dévoiement des notions de dénazification et de génocide se font donc aussi au mépris des expériences historiques terribles auxquelles elles renvoient.

C’est pourquoi la violence du révisionnisme de Vladimir Poutine est aussi une violence qui touche aux mémoires de la Seconde guerre mondiale, dans ce qu’elles ont de plus sensible.
Je pense aux mémoires ukrainiennes et donc européennes.
Je pense, dans leur diversité, à nos propres mémoires européennes.
Mais aussi aux mémoires russes, auxquelles ce travestissement honteux du passé et du présent fait injure.

Que Vladimir Poutine lance, contre l’Ukraine, une guerre placée sous le signe d’un mésusage caractérisé de l’histoire ne vous a toutefois sans doute pas surpris, vous qui partagez l’engagement et le combat de Mémorial. A vrai dire, moi non plus.

Car, comme vous, je constate que l’histoire et la mémoire sont, depuis plusieurs années, au confluent de la dérive politique et de la dérive géopolitique de ce régime.

Au cœur de la fuite en avant autoritaire qui, en Russie même, met à bas, un à un, tous les principes de l’Etat de droit et porte atteinte, une à une, à toutes les libertés publiques, il y a, en effet, une politique de consolidation d’un récit historique national officiel centré sur l’avènement d’un Etat fort à travers les siècles, qui se double d’une politique de harcèlement et de répression systématique de tous les « producteurs d’histoire » susceptibles de porter atteinte à l’univocité de ce récit. Harcèlement très bien documenté et analysé, dans ses différents aspects, par le rapport de la FIDH qu’a cosigné l’un d’entre vous : Ilya Nuzov, que je salue et que je remercie pour ce travail très précieux.

Dérive politique et dérive géopolitique parce que, au cœur de la course à la puissance de la Russie sur la scène européenne et internationale, qui s’est traduite, depuis 2008, par une montée en gamme progressive dans la violence et la déstabilisation, on voit jouer une propagande fondée sur la dimension impériale de ce même récit historique, qui sert à justifier les pires violences. Comme si, là particulièrement, la guerre n’était que la continuation de l’histoire par d’autres moyens.

C’est pourquoi la répression contre Mémorial s’est intensifiée en 2014, lorsque la Russie a annexé la Crimée et commencé à déstabiliser le Donbass. Et c’est pourquoi Mémorial est aujourd’hui plus menacé que jamais.
A la fin du mois de décembre, alors que des troupes se préparaient à marcher vers les frontières de l’Ukraine, la justice russe ordonnait, sous des motifs fallacieux et qui ne trompent personne, la mise en liquidation judiciaire des deux branches de Mémorial : les ONG Mémorial International et le Centre des droits humains « Mémorial ».
Quelques jours après le début de l’offensive contre l’Ukraine, ce verdict était confirmé.
Vendredi dernier, dans un contexte de durcissement de la pression des autorités sur la société civile, les bureaux moscovites du Centre des droits humains « Mémorial » faisaient l’objet d’une perquisition.
Ce jour-là – vous le savez sans doute – le Président de la République a pu s’entretenir avec Alexandre Tcherkassov, qu’il avait eu l’occasion de rencontrer, je m’en souviens bien, en marge d’un voyage officiel à Saint Pétersbourg, en 2018. Il l’a assuré du soutien de la France.

C’est aussi le message que je suis venu ici porter devant vous.

Je veux redire devant vous tous – et en particulier devant vous cher Nikita Petrov, chère Natalia Morozova –l’indignation et la préoccupation de la France face à cette répression inacceptable qui vise à réduire Mémorial au silence.

Réduire Mémorial au silence ne serait pas seulement s’en prendre au passé de la Russie. Mais aussi à son avenir.
Je le rappelle, en pensant à cette page de Soljenitsyne qui dit, sans équivoque, pourquoi le silence, face aux atrocités, est un poison pour des générations entières.
Permettez-moi de vous en citer quelques lignes : « Nous devons condamner publiquement l’idée même que des hommes puissent exercer pareille violence sur d’autres hommes. En taisant le vice, en l’enfouissant dans notre corps pour qu’il ne ressorte pas à l’extérieur, nous le s e m o n s, et dans l’avenir il ne donnera que mille fois plus de pousses. En nous abstenant de châtier et même de blâmer les scélérats, nous ne faisons pas que protéger leur vieillesse dérisoire, nous descellons en même temps sous les pas des nouvelles générations toutes les dalles sur lesquelles repose le sens de la justice. »

Je veux aussi redire que, comme nos partenaires de l’Union européenne, nous appelons à la libération de Iouri Dmitriev, historien, on l’a cité tout à l’heure, spécialiste des charniers de la période stalinienne, défenseur des droits de l’Homme et dirigeant local de l’organisation Mémorial, dont la peine de prison a été alourdie, en décembre dernier, de 15 ans de colonie pénitentiaire.

Je veux redire notre solidarité avec l’ensemble des membres des différentes branches de Mémorial.

Depuis trois décennies, en prenant de plus en plus de risques au fil des ans, ils se battent pour faire vivre, en Russie, une histoire documentée du passé de la Russie, à commencer par la période du stalinisme, au nom d’une exigence de vérité qui est, tout à la fois, scientifique, sociale et éthique.

A partir d’archives, de témoignages et de recherches académiques, ils ont accompli un travail historique remarquable qui a contribué de manière décisive à la connaissance des crimes de masse du XXe siècle, ainsi qu’à la réhabilitation des millions de victimes des répressions et à la préservation de leur mémoire.

C’est une œuvre historique et mémorielle qui est tout à la fois une œuvre de vérité et une œuvre de justice, prolongées par un travail inlassable de défense des droits humains en Russie, comme sur les théâtres de guerre où la Russie s’est engagée – de la Tchétchénie à la Syrie, en passant, bien sûr, par l’Ukraine, dès 2014. Travail dont l’importance, aujourd’hui, ne peut que nous sembler évidente, alors que nous voyons se profiler à Marioupol ou Kharkiv des sièges comparables à ceux de Grozny et d’Alep dans leur effroyable violence et dans leur logique de terreur.

Et je veux dire, enfin, que la France, avec ses partenaires européens, soutiendra Mémorial pour la sauvegarde des archives collectées.
Il est, en effet, inenvisageable que le fruit de trente années de recherches se perde.
Il est en effet inenvisageable que l’héritage d’Andreï Sakharov disparaisse.
Il est inenvisageable que la flamme de Mémorial s’éteigne, la flamme de cette petite bougie qui – pour nous tous – est devenue le symbole de son combat.

Car nous avons tous besoin de la lumière qu’elle jette sur le passé et sur le présent.

Oui, nous en avons tous besoin. C’est – je l’ai entendu – ce que vous avez voulu souligner en insistant ici, aujourd’hui sur la « portée universelle », et singulièrement européenne, de l’apport de Mémorial à l’histoire du stalinisme.

Pour cette raison, le motif qui sert de prétexte au harcèlement judiciaire de Mémorial et de tant d’autres organisations qui défendent la liberté d’expression et les droits humains en Russie, à savoir son statut supposé d’« agent de l’étranger », n’est pas seulement une triste ruse de la raison répressive et calomniatrice.
Ce n’est pas seulement le comble du cynisme, venant d’une puissance qui a fait de l’ingérence dans l’espace public et les processus électoraux des démocraties l’une de ses spécialités.
C’est aussi l’expression d’une profonde mécompréhension de la valeur des travaux de Mémorial, et des raisons pour lesquelles un pays comme la France les soutient.

Ce que sous-entend, assez lourdement, la notion d’ « agent de l’étranger », c’est que Mémorial agirait contre les intérêts de la Russie, pour le compte d’autres puissances. Alors qu’en réalité, c’est tout l’inverse.
Mémorial donne à la société russe des instruments décisifs pour regarder en face sa propre histoire.
Et, ce faisant, Mémorial donne à nos sociétés des instruments décisifs pour comprendre le passé de l’Europe.

Car ni l’histoire de la « Grande guerre patriotique » ni l’histoire du stalinisme n’appartiennent à la seule Russie, encore moins à son seul Président. Ce sont, à tout le moins, également des chaînons de notre propre histoire européenne.

Voilà pourquoi je tenais aussi, à saluer l’effort commun de l’ensemble des Mémorials européens, aujourd’hui réunis, pour poursuivre l’action de Memorial.

Cet effort, il passe par la France, par l’Italie – cher Niccolò Pianciola –, ou encore par la République tchèque – cher Štěpán Černoušek –. Comme par bien d’autres pays de notre Union. Et tous les Européens ont lieu de s’en féliciter.

Car, en même temps qu’un signe de solidarité avec les organisations persécutées en Russie, il s’agit aussi d’une réponse à l’un de nos plus grands défis européens : le défi de la construction d’une historiographie et d’une mémoire européennes partagées qui fassent droit à l’irréductible diversité de nos histoires nationales et à l’irréductible pluralité des mémoires européennes.

Chacun, ici, sait que ce travail indispensable – qui engage la capacité de notre Europe à affirmer parallèlement sa souveraineté, son modèle et son statut de puissance sur la scène internationale – achoppe principalement sur la difficulté que nous rencontrons encore trop souvent à faire dialoguer nos expériences, parfois radicalement différentes, de la fin de la Seconde guerre mondiale, qui n’a pas rendu la liberté à l’ensemble de notre continent. L’histoire et la mémoire du passé soviétique constituent assurément l’une des clefs de cette difficulté. C’est pourquoi elles sont non seulement l’affaire du peuple russe, mais aussi l’affaire de tous les Européens.

En faisant connaître les travaux de Mémorial dans vos pays respectifs et dans des rencontres comme celle-ci, je crois donc que vous jouez un rôle important dans la constitution de cette historiographie et de cette mémoire européennes plurielles. Et nous sommes très fiers de vous accompagner, je pense au campus Condorcet en particulier, à travers l’ensemble de notre réseau culturel et de notre réseau scolaire en Europe,

Je veux enfin – Mesdames et Messieurs –, en rendant à nouveau hommage aux membres russes de Mémorial, rappeler très clairement que nous sommes aux côtés de tous les Russes qui – en osant manifester ou en osant parler publiquement – refusent la guerre de Vladimir Poutine.
Nous sommes conscients des risques auxquels ils s’exposent.
Nous savons la violence de la répression qu’ils subissent.
Et nous respectons leur courage.

Si nous prenons aujourd’hui, hier, aujourd’hui, demain, des mesures drastiques pour isoler la Russie sur la scène internationale et faire pression sur son économie et ses élites afin d’obtenir, pour démarrer, un cessez-le-feu en Ukraine, nous n’entendons nullement rompre les liens intellectuels, académiques ou culturels qui nous unissent à la société civile russe et à ses forces de progrès.

Ce sera sans doute malheureusement de plus en plus difficile, mais nous ferons tout pour préserver ces liens. Jusqu’à ce que nous puissions pleinement nous retrouver.
Alors que la Russie se ferme, je tenais à ce que cela fût dit ici
Et j’espère que ce dernier message sera entendu.

Je vous remercie.