Commémorer les victimes des répressions

Commémorer les victimes des répressions

Lecture des noms des victimes de répressions, Moscou, le 29 octobre 2012 (source: documentaire « L’Ombre de Staline », Th. Johnson, INA/Arte)

Tous les ans le 29 octobre, une lecture publique des noms des victimes de la terreur politique soviétique est organisée par Memorial sur la place Loubianka à Moscou, devant la « pierre des Solovki ». Fruit de longs débats et mobilisations, qui ont conduit entre autres à la création de Memorial, ce rocher de granit gris-rose, apporté du territoire du camp des Solovki, a été inauguré le 30 octobre 1990 en tant que premier monument aux victimes du régime totalitaire. Certains y voyaient alors une première pierre qui annoncerait un futur grand ensemble mémoriel, d’autres le considéraient comme un monument à part entière. L’histoire donna raison aux seconds.

Le choix du lieu et de la date ne devait rien au hasard. En 1974, les dissidents détenus dans les camps de Mordovie et de la région de Perm’ avaient choisi de faire de la date du 30 octobre une journée des prisonniers politiques. Longtemps clandestine, elle a donné lieu, le 30 octobre 1989, à une action publique spectaculaire : plusieurs centaines de Moscovites sont venus ce soir-là allumer des bougies en mémoire des victimes, en formant une chaîne humaine autour du siège du KGB, qui domine la place Loubianka.

Un an plus tard, cette place dont le nom servait à désigner l’omnipuissante Sécurité d’État, accueillait la « pierre des Solovki ». Il a cependant fallu attendre le 22 août 1991 et l’échec d’un putsch conservateur, pour voir disparaître la statue de Dzerjinski, fondateur de la police politique bolchévique, qui trônait au milieu de la place depuis 1958. Deux mois plus tard, le 30 octobre devenait officiellement « journée de mémoire des victimes des répressions politiques », commémorée dans de nombreuses villes à travers des cérémonies et des rassemblements, organisés par les associations Memorial locales et les unions des victimes des répressions, avec ou sans le soutien des autorités.

Si Moscou dispose, depuis 2017, d’un nouveau monument à la « mémoire des victimes des répressions politiques », le « Mur du chagrin », la « pierre des Solovki » reste au cœur de ces commémorations, grâce notamment à la cérémonie de la lecture publique des noms des victimes, qui s’y tient depuis 2007 à la veille du 30 octobre. Ce jour-là, des centaines de participants patientent longuement dans une queue silencieuse sous les premières neiges, puis, une fois arrivés devant le monument, se succèdent pour lire des noms des victimes de la Grande terreur fusillés à Moscou en 1937-1938 et déposer une bougie au pied du rocher. Aux noms venant de la base de données de Memorial, beaucoup de participants ajoutent ceux de leurs proches péris dans les répressions. Prénom, patronyme, nom, âge au moment de l’exécution, profession… à travers la lapidaire évocation de vies anéanties, c’est toute l’inconcevable violence de la terreur qui se dessine. Treize ans après la première lecture, la liste n’est toujours pas épuisée.

En cette année 2020, la pandémie aura pour la première fois fait obstacle à la tenue de la cérémonie sur la place Loubianka. Pour ne pas interrompre la commémoration, Mémorial a décidé d’en faire une lecture virtuelle, qui dépasse l’espace moscovite et permet à tous ceux qui le souhaitent de s’y joindre à distance.

Emilia Koustova

Extrait du documentaire de Th. Johnson « L’ombre de Staline ». Avec l’aimable autorisation du réalisateur.