La «fenêtre sur l’Europe» se referme

La «fenêtre sur l’Europe» se referme

Déclaration du Centre des droits humains Memorial du 3 juin 2021

Deux événements marquants de la fin du mois de mai 2021 sont liés à l’application de la « législation » sur les « organisations indésirables ». Le 26 mai, trois ONG allemandes – le Libmod (Zentrum Liberale Moderne), le German-Russian Exchange et le Forum des Européens russophones – ont été déclarées « indésirables ». À la suite de cette décision d’autres ONG allemandes ont déclaré ne plus pouvoir participer au Dialogue de Pétersbourg, un forum de la société civile des deux pays qui se tient dans la ville depuis de nombreuses années. Le 31 mai, Andreï Pivovarov, ancien directeur d’Open Russia, a été débarqué d’un avion à l’aéroport Pulkovo de Saint-Pétersbourg, puis arrêté pour participation à l’activité d’une « organisation indésirable ».

Ces actions arbitraires et manifestement illégales reposent sur les « lois sur les organisations indésirables » actuellement déjà en vigueur. Or, entre-temps, le 18 mai, la Douma d’État a adopté en première lecture deux amendements à cette  » législation  » qui élargissent et renforçent considérablement ses normes répressives.

Le premier amendement modifie la Loi fédérale « sur les mesures concernant les personnes impliquées dans la violation des droits humains et libertés fondamentales, des droits et libertés des citoyens de la Fédération de Russie », interdisant la participation de citoyens et de personnes morales russes aux activités d’« organisations indésirables » non seulement en Russie, mais aussi à l’étranger.

Le second modifie l’article 284.1 du Code pénal de la Fédération de Russie, en étendant, d’une part, la responsabilité pénale pour les « activités » d’une « organisation indésirable » à l’extérieur du pays, et d’autre part en facilitant les poursuites au titre de cet article. Actuellement, une personne peut être tenue pour pénalement responsable en vertu de l’article 284.1 si elle a été tenue pour administrativement responsable deux fois au cours de l’année précédente pour des charges similaires. Les amendements permettraient de poursuivre les « participants » aux activités d’une « organisation indésirable » après une seule poursuite administrative, et pour ceux qui sont déclarés dirigeants de telles organisations – sans poursuite administrative préalable.

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La liste des organisations « indésirables », qui comptait 33 entrées au début du mois de juin 2021, comprend des organisations de défense des droits de l’homme, d’éducation et d’analyse reconnues et respectées au niveau international, qui ne représentent manifestement aucune menace pour les intérêts de la Russie.

L’institution même d’organisations « indésirables » est viciée, car elle sous-entend sciemment l’arbitraire des autorités de l’État. C’est ce qu’a souligné la Commission de Venise dans son avis de 2016. Les menaces contre les « fondements de l’ordre constitutionnel de la Fédération de Russie, la capacité de défense du pays ou la sécurité de l’État », que représenteraient les organisations déclarées indésirables, sont abstraites, beaucoup trop étendues, et sont exemptes de la précision juridique indispensable à une loi.

La procédure consistant à déclarer une organisation « indésirable » par une décision non motivée du Bureau du Procureur général implique son caractère arbitraire. La possibilité pour le tribunal de contester une telle décision s’avère être une fiction, car le tribunal prend pour argent comptant les notes opérationnelles du FSB, qui ne contiennent ni description sur le fond, ni preuve concrète de menaces (comme cela s’est produit avec la Fondation américaine Free Russia Foundation).

Comme nous le constatons dans toutes les affaires relevant de l’article 284.1 du code pénal (qui, jusqu’à présent, n’ont été engagées que pour des accusations de participation au mouvement Russie ouverte, qui, même en vertu de la législation russe draconienne, ne peut être considéré comme « indésirable » et n’a jamais été reconnu comme tel), ce sont des actions absolument légales pour l’exercice des droits et libertés constitutionnels des citoyens russes – liberté d’expression, de réunion, d’association et propriété – qui deviennent des preuves de « participation aux activités » de ces organisations « indésirables » . Les cas d’Anastasia Shevchenko, de Yana Antonova, de Mikhail Iosilevich et d’autres personnes témoignent de l’illégalité flagrante des poursuites pénales engagées en vertu de l’article sur les organisations indésirables. À ceux-ci s’ajoutent désormais les cas d’Andreï Pivovarov et de Ioury Sidorov.

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Les autorités se préparent maintenant à punir la participation aux activités d' »organisations indésirables » en dehors de la Russie. Les preuves dans de tels cas seront inévitablement constituées uniquement de données opérationnelles et de renseignements, invérifiables par principe. En simplifiant les procédures de poursuites pénales, les autorités vont inévitablement étendre leur répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et des militants (principalement, mais pas uniquement, loin de là, à ceux qui sont associés à Open Russia et à Mikhaïl Khodorkovski).

Nous demandons aux autorités russes de respecter la Constitution et les obligations internationales de notre pays, d’abandonner les amendements à la législation sur les « organisations indésirables » et de mettre en œuvre les recommandations de la Commission de Venise concernant cette législation.

Nous appelons les citoyens russes, les organisations internationales, les autorités et les représentants de la société civile d’autres pays à faire pression sur les autorités russes pour qu’elles se conforment à ces demandes.


Source: https://memohrc.org/ru/news_old/okno-v-evropu-zakryvaetsya

Photo: Bâtiment du parquet général de la Fédération de Russie