Voix de guerre #11 : La marque indélébile de la guerre sur Sergueï Pentine

Voix de guerre #11 : La marque indélébile de la guerre sur Sergueï Pentine

En seulement un mois d’occupation, les Russes ont détruit le centre de Trostianets, y ont semé la mort et mutilé des centaines de familles. La mère de Sergueï a été abattue par les militaires alors qu’elle se rendait à l’hôpital. De plus, dans l’usine de confiserie, la biscuiterie où travaillait Sergueï a brûlé.

propos recueillis par Denis Volokha le 22/01/2023

Sergueï Pentine travaillait à la chocolaterie Mondelis Ukraine à Trostyanets. Après l’occupation, les militaires russes se sont installés dans l’usine. La biscuiterie, où Sergueï travaillait comme comptable, a fini par brûler complètement et Sergueï a perdu son emploi.

Pendant l’occupation, les Russes ont abattu sur la mère de Sergueï, Alena, âgée de soixante ans, alors qu’elle tentait de se rendre à l’hôpital. Alena travaillait pendant plus de vingt ans à la tête d’une entreprise communale locale.

« Le 19 mars, ma mère et mon père se trouvaient à Trostianets, dans le village de Nikitovka. Ma mère est tombée malade et ils ont dû aller chercher de l’aide à l’hôpital. À l’époque, ils n’étaient pas informés qu’il y avait des barrages routiers et des militaires près de l’hôpital. Ils se sont rendus à l’hôpital et ont essuyé les tirs d’un véhicule de combat d’infanterie. Ma mère a été tuée par des armes à feu. Sur le coup », raconte Sergueï Pentine.

Sergueï pense que les Russes ont simplement ouvert le feu sur tous ceux qui s’approchaient de leur positions, peu importe qui c’était.

« Indistinctement : civils, non civils, militaires. Ils ont tiré sur tous ceux qu’ils voyaient. Malheureusement, lorsque mes parents marchaient, ils ne les ont pas vus [les militaires russes], parce que ceux-ci étaient cachés derrière les arbres. Mais eux [mes parents] étaient visibles – et ils ont commencé à leur tirer dessus. »

L’armée ukrainienne, avec les forces de la 93e brigade mécanisée, la défense territoriale et d’autres unités, a réussi à déloger rapidement les Russes de Trostyanets : dès le 26 mars 2022, le drapeau ukrainien a été hissé sur la ville.

Si la chocolaterie a repris du service, il n’est pas question de restaurer la biscuiterie.

– Que faisaient-ils dans l’usine ? S’agissait-il d’un quartier général, stockaient-ils des munitions ?

– Il ne s’agit pas d’un quartier général, mais plutôt d’un point de transit. C’est-à-dire qu’on y récupérait des munitions, on y plaçait du matériel, on s’y cachait. Un grand bâtiment où l’on pouvait loger de nombreuses personnes et cacher du matériel. Ils n’ont demandé l’accord à personne, ils ont simplement utilisé le fait que le territoire de l’usine était vide, ils sont entrés avec des chars et des IVF, ils ont brisé la clôture – ils ont « pris l’avantage ». Il n’était pas nécessaire de négocier avec qui que ce soit parce que les armes étaient entre leurs mains.

© Denis Volokha / Khpg
© Denis Volokha / Khpg
© Denis Volokha / Khpg

Lorsque nous avons enregistré l’entretien, Sergueï recevait encore des salaires de son ancien employeur, ce dont il était reconnaissant. Pendant l’occupation, il y a eu des coupures d’électricité et la communication a été interrompue à Trostyanets. Selon Sergueï, c’est le manque d’informations qui a été l’une des expériences les plus difficiles : « Quand vous ne savez pas ce qui se passe autour de vous, quand personne ne sort, il n’y a que des rumeurs. Le manque de communication a été la chose la plus difficile pendant l’occupation. Dieu merci, comparé à d’autres cas, ça n’a pas été très long. »

Bien que les Russes de la quatrième division de chars Kantemirov ne soient restés qu’un mois dans la ville, les conséquences de leur présence sont encore visibles : la rue principale et la gare sont complètement détruites. Un wagon recroquevillé par le feu se trouve toujours à côté des trains qui arrivent à la gare.

– Au départ, vous n’envisagiez pas de quitter la ville ?

Oui, jusqu’au dernier moment, on ne pensait pas partir. J’ai fini par m’en aller. Mais mes parents ne voulaient pas et sont restés à Trostyanets. Pas moyen de les convaincre.

– Que ressentez-vous aujourd’hui à l’égard des Russes, de l’armée qui a tué votre mère ?

La question est rhétorique, bien sûr. Je ne veux pas généraliser, mais dans ce cas, il s’agit de la responsabilité collective de tous les Russes – c’est probablement comme ça.

Les militaires tuent, ils viennent ici, ils tirent. Mais ils le font aux frais de l’État, aux frais des personnes qui soutiennent tout cela passivement. Ils libèrent les mains de ceux qui donnent les ordres. Il faudra que des générations de personnes changent pour que l’attitude des Ukrainiens à l’égard des Russes change. Pour que la douleur dans le cœur de ceux qui ont souffert des bombardements et des morts s’apaise.

Pour Sergueï Pentine, Igor Ivanov et d’autres habitants de Trostyanets touchés par la guerre, le groupe des droits de l’homme de Kharkiv a fourni une aide matérielle et rassemblé des documents à soumettre aux tribunaux internationaux pour dénoncer les crimes dont ils ont été victimes et demander réparation.

En une journée, 40 personnes, les habitants qui avaient le plus souffert, se sont présentées à notre point d’accueil temporaire. Chacun d’entre eux a perdu un être cher, une maison. Certains ont été victimes d’une mine antipersonnelle après la libération.

Source : https://khpg.org/ru/1608811726


Ce témoignage fait partie de « Voix de guerre », un projet associant Memorial France, Memorial Italie, Mémorial République Tchèque, Mémorial Pologne et Mémorial Allemagne autour du Groupe de défense des droits de l’homme de Kharkiv (Memorial Ukraine)

Pour en savoir plus sur le projet Voix de guerre, rendez-vous ici