Voix de Guerre #9 : « On nous a autorisé à aller chez nous pour le 8 mars ».

Voix de Guerre #9 : « On nous a autorisé à aller chez nous pour le 8 mars ».

26.01.2023, propos recueillis par Andriy Didenko

Le sous-sol de l’école est devenu le dernier refuge pour certains habitants du village. Pendant près d’un mois, ils ont dormi à même le sol, entassés dans de petites pièces, sans nourriture ni médicaments. Lorsque l’armée ukrainienne a libéré le village, tout le monde n’est malheureusement pas sorti vivant du sous-sol.

Hanna Yanko est l’une des personnes qui ont été enfermées par les Russes pendant un mois dans le sous-sol de l’école municipale de Yagodnoye, dans la région de Tchernihiv. Le groupe des droits de l’homme de Kharkiv lui a fourni, ainsi qu’aux autres victimes, une aide juridique et humanitaire.


Ce témoignage fait partie de « Voix de guerre », un projet associant Memorial France, Memorial Italie, Mémorial République Tchèque, Mémorial Pologne et Mémorial Allemagne autour du Groupe de défense des droits de l’homme de Kharkiv (Memorial Ukraine)

Pour en savoir plus sur le projet Voix de guerre, rendez-vous ici


Nous avons quitté Tchernihiv le 24 février et sommes allés rendre visite à notre grand-mère dans le village de Yagodnoye. Le 3 mars, les troupes russes sont entrées dans le village. Nous avons tout de suite perdu le réseau. Une colonne de leur équipement a emprunté l’autoroute Tchernihiv-Kyiv. Puis les combats de rue et les tirs d’obus ont commencé. Les militaires russes ont insisté pour que nous allions nous réfugier dans le sous-sol de l’école, mais nous avons décidé de rester. Le lendemain, des personnes ressemblant à des Kazakhs sont arrivées. Ils nous ont également permis de rester. Mais ils nous ont dit : « Seulement au sous-sol ».

Puis ce sont des Bouriates ivres qui sont arrivés. Ils sont entrés dans notre sous-sol et ont commencé à recharger leurs mitrailleuses. Nous leur avons demandé de ne pas faire ça. Ils nous ont alors dit que nous avions cinq minutes pour préparer nos affaires et aller à l’école.

J’ai demandé si nous pouvions entrer dans la maison. Pour prendre quelques affaires, de la nourriture. Ils ont dit que rien n’était autorisé, que nous devions faire nos bagages rapidement et partir. Nous sommes donc partis. Au début, ils ne voulaient pas nous emmener. Nous leur avons demandé de nous emmener parce que nous ne savions pas ce qui se passait dans le village. Et ils nous ont conduits. Ils nous poussaient à marcher plus vite et pointaient leurs mitraillettes. Ils nous ont emmenés dans le sous-sol de l’école. Ils nous ont pris nos téléphones et les ont cassés. Nous sommes entrés. Il était impossible de passer. Les gens dormaient à même le sol.

Notre grand-mère y avait été emmenée plus tôt, nous sommes allés dans sa chambre. La chambre était petite, il y avait 18 personnes. Le matin, ils nous ont laissé sortir et ont laissé les femmes rentrer chez elles. Comme nous étions le 8 mars, ils nous ont laissé prendre quelques affaires et de la nourriture. Mais qu’y avait-il à prendre, s’ils avaient déjà tout pillé ? Il n’y avait presque plus rien. C’est ainsi que nous avons vécu pendant un mois. Parfois, ils nous laissaient sortir dans la rue. Parfois, ils ne nous laissaient pas sortir du tout. Nous demandions à aller aux toilettes et frappions pour qu’ils nous ouvrent. Une fois sur deux ils nous laissaient sortir en nous parlant grossièrement.

EN FAIT, VOUS ÊTES RESTÉS  EN CAPTIVITÉ PRÈS D’UN MOIS. POUVEZ-VOUS NOUS DIRE SI VOUS AVEZ ÉTÉ TORTURÉE OU MALTRAITÉE ? OU AVEZ-VOUS ÉTÉ TÉMOIN DE TELS ACTES À L’ÉGARD D’AUTRES PERSONNES ?

Moi, non. Mais mes parents ont demandé à rentrer chez eux. Notre grand-mère ne peut pas s’asseoir, elle a des problèmes d’articulation, et tout le monde dormait assis. Ils les ont laissés partir. Ils sont venus chez mes parents, ont traîné ma mère par les cheveux jusqu’à la maison voisine pour la violer. Mon père était constamment battu à coups de crosse de fusil. Voilà ce qui leur est arrivé. Ils faisaient ça souvent, à l’école. Ils autorisaient des gens à rentrer chez eux, puis ils y allaient pour les persécuter.

QUE MANGIEZ-VOUS, QUE BUVIEZ-VOUS ?

Les hommes allaient chercher de l’eau au village. Au début, tout se passait normalement, mais les Bouriates qui vivaient dans les maisons du village n’étaient pas contents. Ils l’ont interdit. Même les militaires russes avaient peur des Bouriates. Ils se saoulaient et se tiraient dessus. Puis ils ont ouvert un puits et pompé de l’eau. Parfois, on apportait de la nourriture aux militaires russes et ils nous en donnaient.

Nos voisins ont créé une cuisine de campagne et ont préparé des repas sous les bombardements, quand il y avait de quoi préparer quelque chose. Ils faisaient cuire de la semoule pour les enfants. Tant qu’il y avait des vaches, ils allaient les traire et apportaient du lait. Puis les vaches ont été tuées, certaines ont sauté sur des mines. Nous avons alors demandé aux Russes du lait concentré pour faire de la bouillie pour les enfants.

Un jour, les Russes nous ont donné des pâtes, mais elles baignaient dans l’essence, c’était impossible à manger. Ils nous ont donné des flocons d’avoine mais après, tout le monde a eu la diarrhée.

Et ils ne voulaient pas nous laisser sortir. Nous étions debout et frappions dès six heures du matin. Nous allions aux toilettes qui étaient juste des seaux. Il y avait trois seaux. Pour 360 personnes. On frappait si fort qu’ils finissaient par ouvrir.

AU COURS DE CE MOIS EN CAPTIVITÉ, Y A-T-IL EU DES MEURTRES OU DES PASSAGES À TABAC ?

Andrei Didenko/KHPG
Andrei Didenko/KHPG

Oui, il y en a eu. Un jour, ils ont amené un homme. De Zolotinka, je crois. Il était couvert de bleus. Au tout début, ils tiraient sur les gens. Une de mes connaissance a été tuée parce qu’il était sorti dans son jardin quand ils sont entrés,  ils leur a dit : « Pourquoi êtes-vous venus ici ? Gloire à l’Ukraine ! » Il a été tué immédiatement. Les personnes âgées mouraient dans les sous-sols.

VOUS SOUVENEZ-VOUS DU NOM DE CES PERSONNES,  OU DES L’ADRESSES OÙ CELA S’EST PASSÉ ?

Ils mouraient dans la cave. Il n’y avait rien à respirer. Ils laissaient les morts pour la nuit avec les vivants, puis les emmenaient à la caserne. Ils ont empilé les corps et ont demandé aux militaires russes l’autorisation de les enterrer dans le cimetière. Ils l’ont d’abord autorisé, puis ils ont commencé à tirer sur le cimetière. Les gens portaient les morts et ils leur tiraient dessus..

VOUS SOUVENEZ-VOUS DE LA DATE DE CES ÉVÉNEMENTS ?

– Je ne m’en souviens pas. Probablement à la mi-mars.

DES MEMBRES DE VOTRE FAMILLE, DES AMIS OU DES CONNAISSANCES ONT-ILS ÉTÉ BLESSÉS ?

Un de mes amis, Tolik, a été tué. Puis un jeune homme, Sergei Sorokopudov a été blessé. Il a été emmené en Biélorussie pour y être opéré, car sa blessure était grave. Il crachait du sang. Son omoplate était complètement déchirée. C’était l’horreur, j’avais peur. Mais en général, les gens mouraient de leur propre mort. Et ceux qu’ils voulaient tuer, ils les avaient abattus en entrant dans le village. Ils emmenaient différentes personnes au sous-sol. Et ceux-ci disparaissaient. Nous ne savons pas s’ ils ont été tués par la suite ou s’il s’est passé autre chose.


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