Déclaration de Mémorial France à propos des répressions en Russie.
Mémorial France condamne avec force la vague de répression qui frappe en Russie toute personne dont les opinions divergent d’une idéologie d’État de plus en plus omniprésente. La démonstration la plus frappante est la répression brutale des manifestations organisées pour la deuxième semaine consécutive partout en Russie en réponse à l’arbitraire particulièrement démonstratif et cynique qui a accompagné la détention de l’opposant Alexeï Navalny.
Les chiffres n’ont pas de précédent dans l’histoire récente :
Selon les estimations, incomplètes, de l’association OVD-Info, partenaire du Centre des Droits Humains « Memorial » à Moscou, le 23 janvier, au moins 4002 personnes ont été détenues dans 125 villes de Russie.
Plus de 5750 personnes ont été détenues arbitrairement le 31 janvier dans au moins 87 villes russes ; des dizaines de manifestants ont été battus ; une centaine de journalistes, devenus une véritable cible de la répression a été arrêtée alors qu’ils faisaient leur travail. Le rédacteur en chef du site Mediazona, spécialisé dans les dérives du système judiciaire, a été interpellé en sortant de chez lui pour une promenade avec son enfant, que les policiers ont laissé seul sans attendre l’arrivée de la mère. Il a par la suite été accusé d’avoir “appelé” à la manifestation par un tweet ironique et condamné à 25 jours de détention.
Près de 1500 personnes ont été détenues le 2 février.
A ce jour, plus de 40 procédures criminelles, impliquant des dizaines de personnes, ont été ouvertes dans 20 villes russes. Dans de nombreux cas, les détenus ont été battus, menacés pour signer des procès-verbaux, n’ont pas eu accès à un avocat, leurs passeports ont été confisqués. Le nombre d’interpellations excédant l’espace des lieux de détentions prévus, les “queues” de bus attendaient devant les commissariats et centres de détention, y compris les centres pour étrangers transformés de fait en prisons politiques. Les interpellés ont passé 40 heures durant pour certains dans ces bus, sans repas, sans sanitaires, sans sommeil, et pour beaucoup debout…
« Ce qui se passe rappelle des pages sombres de l’histoire de la Russie et pour les membres de Mémorial France, la menace d’une nouvelle régression de l’État de droit en Russie se confirme », a déclaré Nicolas Werth, Président de Mémorial France.
Dans un contexte marqué par des législations liberticides adoptées à la chaîne ces derniers mois et concernant non seulement la vie publique, mais aussi l’éducation, la vie familiale et les affiliations confessionnelles des citoyens russes, – aggravation du contrôle sur les prétendus « agents étrangers » ou « indésirables », qui s’appliquent désormais non seulement à des associations mais aussi à des individus, la brutalité des forces de l’ordre ces dernières semaines tourne une nouvelle page.
La quantité de policiers et de forces anti-émeute déployés, le véritable encerclement militaire de certains quartiers et les condamnations massives et ouvertement abusives ont planté le décor. À Ekaterinbourg, des journalistes ont filmé une unité de police anti-émeute en tenue de combat, ainsi que des policiers munis de fusils d’assaut. Sur une autre image, un policier vise en pleine rue un manifestant avec une arme à feu. Tout ceci n’a qu’un but : envoyer un message fort indiquant que toute contestation du pouvoir, aussi pacifique qu’elle soit, sera violemment réprimée.
Un large arsenal a également été utilisé en amont des manifestations : arrestations préventives, actes d’intimidation et menaces contre les activistes, sanctions contre les étudiants et même les écoliers ; ordre de ne pas manifester transmis par les employeurs… Mais les menaces n’ont pas empêché des milliers des citoyens de descendre dans les rues et de manière notable dans de très nombreuses villes de Russie.
Exaspérés par les révélations choquantes de meurtres ou de tentatives de meurtres commis par une unité spéciale de services secrets d’État sur les opposants, activistes et journalistes indépendants ; par la corruption massive dénoncée par A. Navalny et le refus catégorique de l’État d’enquêter sur ces faits ou de reconnaitre ces crimes, les nombreux citoyens russes qui sont descendus massivement dans la rue après l’annonce de l’arrestation de Navalny étaient pour la plupart parfaitement pacifiques. Tous les témoignages indiquent que la réponse des autorités a été violente, planifiée et en rien justifiée.
Un vrai tournant, dans l’histoire assez préoccupante de l’État de droit en Russie, a été franchi. Tout semblant de procès équitable est abandonné.
Mémorial France rappelle que les droits des citoyens russes sont garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que par la Constitution de la Fédération de Russie.
Mémorial France exige la libération de tous les manifestants pacifiques arrêtés après les manifestations organisées depuis l’arrestation d’Alexeï Navalny, qui doit lui aussi être remis en liberté, comme tous les prisonniers politiques actuellement détenus en Russie. Mémorial France demande aux autorités françaises, européennes, et à la communauté internationale d’adapter sa politique de coopération avec la Russie en fonction de cette nouvelle donne : l’État qui tue et brutalise ses citoyens ne peut pas être un partenaire fiable.
Photo: Un policier frappe un manifestant non loin du boulevard Strastnoj à Moscou lors de la manifestation « Liberté pour Navalny » le 23 janvier 2021 / Avec l’aimable accord du photographe Evgueni Feldman.