Chroniques de la Russie qui proteste // 31 déc 2022 – 13 janv 2023
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
Actions de protestations
A Moscou, des fleurs et des jouets ont été déposés sur le monument en l’honneur de Lessia Oukraïnka, une écrivaine ukrainienne. A côté du monument, on a trouvé une photo de sa maison détruite à Dniepr.
Une activiste inconnue a laissé l’inscription “Tu ne tueras point, petit Goundïaev ?” contre la cathédrale du Christ Sauveur à Moscou. C’est le patriarche Cyrille (du nom de Vladimir Goundiaïev, avant son entrée dans le clergé) qui conduit les offices dans cette église, soutenant et justifiant l’agression militaire russe en Ukraine.
Cette action s’est achevée avec une affiche jetée dans la Moskova depuis le pont de Crimée, portant l’inscription “Poutine est un abruti”, avec des coeurs jaunes et bleus.
Olessia Krivtsova, une étudiante de 19 ans venant d’Arkhangelsk a publié des stories sur l’explosion du pont de Crimée (un autre pont, lui situé en Crimée), a fait des publications pacifistes sur des réseaux sociaux, ainsi que retweeté d’autres publications dans le groupe privé de sa classe. Pour cette raison, elle a été inscrite dans le registre des extrémistes et des terroristes.
Olessia Krivtsova a probablement été dénoncée par des étudiants de son université. Un chat a refait surface dans les réseaux sociaux, dans lequel des étudiants d’histoire débattaient sur le meilleur endroit où la dénoncer: la police, ou directement le FSB.
Le 26 décembre, la police a fait irruption dans l’appartement de l’étudiante. Un des policiers tenait un long marteau. D’après ce que Krivtsova a plus tard raconté à des journalistes, il aurait déclaré que le marteau était « une salutation du groupe Wagner ».
Selon ses membres, le groupe Praematerna est apparu «en réaction au pathos militaire». Plusieurs de ses artistes ont mené des actions pacifistes à côté d’un monument du complexe mémoriel de Volgograd dédié aux morts de la Seconde Guerre Mondiale.
Les artistes du groupe Praematerna, qui est apparu, selon les termes de ses membres, « pour contraster la rhétorique militariste », ont organisé une action anti-guerre devant le monument de Volgograd dédié aux morts de la Seconde Guerre mondiale. Des activistes se sont tenus en face de la statue de la Mère Patrie (connue sous le nom de « La mère-patrie [nous] appelle! ») avec des pancartes « Non, elle ne [nous] appelle pas ». Sur le site du groupe un commentaire de l’action a été publié :
« Une mère n’appelle pas à tuer des innocents. Une mère n’appelle pas à mourir pour des profits étrangers. Une mère donne la vie et se réjouit du bien-être de ses enfants ».
Au printemps 2022, dans la région de Moscou, sont apparus des hommages à l’action Slogan-1977 (Лозунг-1977) du groupe « Actions collectives » (Коллективные действия), sous la forme d’une bannière rouge portant le slogan « Je hurle de douleur et je déteste ça, même si j’ai vécu et grandi ici, et même si je pensais tout connaître de ces lieux. » Le 9 janvier 2023, une artiste au pseudonyme @89gradusov a publié une photo de cette action sur Instagram en commentant : «Le 24 février, la Russie a attaqué l“Ukraine. En mars 2022, notre douleur face à cette guerre sanguinaire s’est répandue jusqu’au monde extérieur sous la forme d’un hommage ».
Les piquets solitaires
L’activiste de Kazan Alexandre Fomitchev a mené deux actions anti-guerre : le 3 janvier, l’homme a fait le piquet devant le Cabinet des ministres du Tatarstan avec la pancarte « Moi, nous, pour la paix ». Le 5 janvier, l’activiste s’est rendu au Kremlin de Kazan avec la pancarte « Les vieux ont déclaré la guerre, mais les jeunes meurent ». Alexandre et sa femme ont été arrêtés par la police.
Des activistes anonymes ont fait des piquets avec les pancartes « Armistice pour toujours » devant l’église de Doubrovka (région de Léningrad). Précédemment, le patriarche Cyrille a invité les parties belligérantes à établir une « trêve de Noël » du 6 au 7 janvier. Poutine a donné l’ordre de respecter cette trêve, mais dans les faits l’armée russe a poursuivi ses bombardements sur les territoires ukrainiens.
Viatcheslav Pogorov, un habitant de Novossibirsk, a fait le piquet avec la pancarte « Non à la guerre ! Je suis pour la paix » sur la place Lénine. L’homme a été arrêté.
Plusieurs piquets contre la guerre se sont tenus à Ekaterinbourg. Les pancartes affichaient : « Je demande à Ded Moroz d’arrêter la guerre ! Que la Russie et l’Ukraine vivent en paix ! », « Le peuple de la Russie est pour la paix ! Nous sommes contre la guerre ! », « La paix dans le monde ! » (en référence au slogan soviétique).
Un piquet anti-guerre a également eu lieu à Novossibirsk. L’homme, qui était sorti sur la place Lénine avec la pancarte « Non à la guerre ! Arrêtez cette folie !!! », a été arrêté.
Toujours à Novossibirsk, une femme a fait le piquet sur la place Lénine avec la pancarte « Non à la guerre ! Plus de morts insensées ! ». La jeune femme a été arrêtée.
En Bouriatie s’est tenu un piquet anti-guerre : « Bouriatie, réveille-toi ! Dis “Non à la guerre !”
L’activiste moscovite Andreï Ivankine a fait le piquet sur la place Tverskaïa. L’homme a été arrêté.
Un habitant de Voronej, Andreï Poustovalov, a fait le piquet avec la pancarte « Nous ne serons pas pardonnés ».
Les rues qui protestent
À Kazan, des signes anti-guerre ont fait leur apparition.
Des graffitis anti-guerre sont également apparus à Voronej.
À Saint-Pétersbourg, on a remarqué des signes de solidarité avec les protestations anti-guerre. Sur le mur d’une des maisons, on a remarqué l’inscription : « Seigneur ! Libère l’Ukraine des occupants ! Que les maudites bombes se transforment en ballons gonflables, et qu’ils n’atteignent jamais la Terre ! »
À Ekaterinbourg, les rues appellent au cessez-le-feu :
À Rostov-sur-le-Don, un slogan anti-guerre est apparu à un arrêt de transport en commun : « Non à l’opération militaire spéciale. Poutine est un abruti !!! »
« Non à la guerre ! » à Perm.
Activités partisanes
Dans la région d’Irkoutsk, une personne anonyme a incendié un des bureaux de recrutement militaire de la ville de Bratsk, en y jetant un cocktail Molotov.
De même, dans le village de Magdagatchi de la région de l’Amour, une personne anonyme a incendié un bâtiment de recrutement militaire. A cinq heures du matin, la personne a brisé une vitre et y a jeté une bouteille remplie de liquide inflammable.
La structure en forme de Z (symbole pro-guerre) à Tcheboksary a été définitivement détruite.
Les habitants de Tcheboksary ont attaqué deux fois la structure à la vue du ruban de Saint-Georges qui recouvrait la lettre Z. Peu après, la lettre a été déplacée du centre-ville vers la périphérie, où elle a été définitivement détruite.
Dans la ville de Zeya de la région de l’Amour, des partisans ont réduit à néant une bannière de propagande « Z ».
Protestation du parti « Iabloko »
Emilia Slabounova, une députée de Carélie du parti « Iabloko », a fait une déclaration lors d’une réunion des comités à l’Assemblée législative régionale, appelant à utiliser les finances de l’État pour la construction d’écoles, et non pour la guerre. Suite à une dénonciation d’un député de Russie Unie, une procédure administrative a été ouverte contre elle pour « faux sur l’armée russe ».
Slabounova et Inna Boloutchevskaïa, des députés de Carélie de “Iabloko” ont proposé d’introduire la responsabilité pénale à l’encontre des personnes appelant à utiliser l’arme nucléaire. L’article prévoit une amende de 100 à 300 mille roubles, des travaux d’intérêts généraux, ou bien une détention pouvant atteindre 3 ans. Les médias et les fonctionnaires peuvent être menacés d’une amende d’un million de roubles ou d’une détention pouvant atteindre 5 ans.
Bonus : vous le pouvez aussi (vidéo)
Un habitant d’Omsk a mis en ligne une vidéo, sur laquelle il montre sa convocation le 10 janvier à un bureau de recrutement militaire, avant de la brûler et d’en jeter les cendres dans les toilettes. « D’ici le 10, je ne serai plus en Russie », dit-il.
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France. Remerciements à Riva Evstifeeva et Emilia Koustova pour leur travail de coordination et de relecture.
© Memorial / © Memorial France pour la version française.