Voix de guerre #16, Volodymyr Zaïka : Un grand-père a été projeté à une centaine de mètres par l’explosion d’un obus
Volodymyr Zaïka est un habitant du village de Moshchun, dans la région de Kyiv. Il affirme que seules 5% des maisons de Moshchun n’ont pas été endommagées. Volodymyr lui-même a dû éteindre un incendie sous les bombardements, après que des obus ennemis ont touché sa maison. De toute la propriété de Volodymyr, seule la grange est restée debout.
Volodymyr Zaïka est un habitant du village de Moshchun, dans la région de Kyiv. Il affirme que seules 5% des maisons de Moshchun n’ont pas été endommagées. Volodymyr lui-même a dû éteindre un incendie sous les bombardements, après que des obus ennemis ont touché sa maison. De toute la propriété de Volodymyr, seule la grange est restée debout.
Pensiez-vous qu’il y aurait une invasion russe à grande échelle ?
Mais non, personne n’aurait pu l’imaginer. Même lorsque les explosions ont commencé, personne ne pensait que ce serait comme ça, que les maisons seraient détruites. Personne ne pensait qu’ils nous attaqueraient comme ça. Auparavant, on nous avait dit de nous préparer, de faire une valise d’urgence avec nos documents pour être prêts à partir. Mais nous n’avons pas rassemblé nos documents. Et puis ils ont brûlé.
Comment avez-vous vécu le premier jour de la guerre à grande échelle ?
Comme un jour ordinaire. Nous nous sommes réveillés, je n’avais pas de travail à faire, ce n’était pas la saison, alors on a fait ce qu’il y avait à faire dans la maison. Je me suis occupé de mes cailles, j’ai nourri les chiens et les chats : les tâches quotidiennes.
Que s’est-il passé les jours suivants ?
Nous avons passé les jours suivants dans la cave. Dès que les bombardements commençaient, nous descendions directement à la cave. Au début, il y avait du réseau, puis l’électricité a été coupée. Et sans électricité, plus de communication. Des drones nous survolaient.
Au début, je me suis engagé dans la Défense territoriale, où on nous a donné un fusil d’assaut pour trois personnes, on ne savait même pas s’il fonctionnait ou pas… Et à partir du 25 février, les explosions se sont rapprochées, et elles sont devenues de plus en plus proches, et le 6 mars, c’était si bruyant quand les « orcs » sont entrés dans notre village ! Ils nous ont lourdement bombardés avec des lance-roquettes « Grad » et ont balancé des mines.
Ce jour-là, ma maison a brûlé, puis j’ai quitté le village parce que les troupes russes y étaient entrées. C’était terrifiant. J’ai vu des hélicoptères se diriger vers l’aérodrome de Hostomel. D’abord cinq qui volaient ensemble, puis j’en ai compté dix-neuf autres. Notre village est comme dans un trou, et ils volaient très bas au-dessus de la forêt, accrochant la cime des arbres. C’est probablement parce que nous sommes dans un trou et que Hostomel est plus haut que la défense aérienne ne les a pas vus tout de suite. Mais ensuite, il paraît que trois hélicoptères ont été abattus. J’ai même vu leurs troupes débarquer.
Comment avez-vous pu vous sauver, vous et vos enfants ?
La veille, j’avais emmené ma femme et mon fils à Poushcha-Vodytsia. Il y a un abri anti-bombes là-bas. Et puis je suis rentré chez moi et je suis resté avec mon voisin Andreï.
Lorsque le premier obus est tombé sur ma réserve de bois, j’ai dit à Andreï (il n’a pas de femme) : « Emmène les enfants chez ta belle-mère à Kyiv ou chez ta mère, tu vois bien ce qui se passe ! ». Puis une mine a explosé dans mon jardin, j’en ai reçu un éclat dans le front et mon voisin dans le bras. Ce n’est qu’après cela qu’il a emmené ses enfants et que je suis resté seul. Quand la maison a brûlé, j’ai voulu éteindre le feu pour que la réserve de bois et la cave, tout près, ne prennent pas feu. Pour cela, j’allais chercher de l’eau à la pompe. Et alors que la maison brûlait encore et que j’ai entendu de violents échanges de coups de feu dans un champ voisin, j’ai pris la décision de partir. Je me suis dirigé vers la maison de ma mère et en route j’ai rencontré la sœur de ma femme. Elle m’a dit que si nous ne partions pas tout de suite, nous ne pourrions plus sortir ensuite. Nous avons décidé de partir.
Nous ne pouvions pas emprunter la rue principale goudronnée, car les « orcs » y couraient et y tiraient déjà, alors nous sommes passés par les bois, puis avons retrouvé la route et nous sommes allés à Horenka. Il y a un abri anti-bombes dans l’hôpital. Nous avons été les derniers à partir ce jour-là.
Avez-vous été directement témoin des crimes des militaires russes contre des civils ?
J’en ai entendu parler, mais je n’ai rien vu moi-même. Mais j’ai vu des obus et des mines exploser. Ma réserve de bois a été bombardée. Ma belle-fille avait accouché, le bébé n’avait pas encore un mois, et on était dans la cave. Le soir, on allumait le feu pour que le petit ait chaud, et la nuit, on rentrait dans la maison pour se réchauffer. Un soir, je suis allé chercher du bois (je n’entends pas bien quand ma tension artérielle augmente), mais là, un drone volait si bas que même moi, je l’ai entendu. Et le lendemain, ils ont tiré sur la réserve de bois.
Le 5 mars, la maison de voisins, où avait été tournée la série « Svaty », a brûlé. Quatre maisons voisines ont brûlé, frappées par des lance-roquettes « Grad ». Il y avait là un grand-père et sa femme, qui étaient restés dans le village, ils ne voulaient pas partir. Après le bombardement, la grand-mère a été retrouvée dans la cave, et le grand-père avait été projeté à une centaine de mètres par l’onde de choc…
Leurs véhicules blindés de transport de troupes et de combat portant la lettre V sont entrés dans le village à deux cents mètres de notre maison. Ils sont passés vite, pensant qu’il y avait un passage plus loin, mais ils se sont retrouvés dans les marécages. Ils se sont un peu embourbés, mais ils ont fini par sortir de là.
Dans quel état est votre propriété ?
La maison a brûlé, touchée par un « Grad ». Et alors que j’éteignais l’incendie, j’ai entendu quelque chose voler, siffler. J’ai couru rapidement à la cave, et avant de pouvoir fermer la porte, elle m’a été arrachée des mains avec le chambranle. Une mine avait atterri dans le garage, qui a été détérioré, avec les portes comme une passoire, on pourrait y égoutter du vermicelle.
Que comptez-vous faire à présent ?
Nous allons reconstruire. L’État a dit qu’il nous aiderait, mais je ne sais pas à quelle hauteur… Il faut bien continuer à vivre d’une manière ou d’une autre. Les gens, Dieu merci, m’aident, me donnent de la nourriture, on m’a donné un panneau solaire, ils m’apportent des lampes de poche, des piles, et l’électricité doit être rétablie au village, d’ici la fin du mois, nous promet-on, mais je n’ai plus qu’une grange, la seule chose qui est restée debout… Nous allons réfléchir, reconstruire…
Vos sentiments à l’égard de la Russie et des Russes ont-ils changé ?
Bien sûr qu’ils ont changé. Dès le premier coup d’œil, on a l’impression que ce sont des êtres inhumains, qui tuent des enfants et violent des femmes. Même les peuples primitifs n’étaient probablement pas comme ça. Qu’est-ce que leurs dirigeants et la télévision leur ont mis dans la tête ? Ils ont été totalement zombifiés… Nous ne sommes jamais allés chez eux pour tuer et violer…
Vous voudriez vous adresser aux Russes ?
Qu’est-ce qu’on pourrait bien leur dire ? Ils ne sont pas humains. Ils ne comprendront pas. Ils disent qu’ils sont venus pour nous sauver… Sauver qui, et de qui ? À quoi bon leur parler, si ce ne sont pas des personnes, mais des bêtes ?
Comment les militaires russes se comportaient-ils pendant l’occupation de Moshchun ?
Des Russes sont venus chez une de mes voisines, une grand-mère. Ils étaient quinze. C’est elle qui me l’a raconté. Elle a entendu quelqu’un marcher dans la maison. Elle a une maison à deux étages et un sous-sol. Quand les Russes sont venus chez elle, elle est sortie du sous-sol, ça leur a même fait peur. Ils lui ont demandé à manger. Elle leur a dit : « Prenez des pommes de terre crues, mangez-les ! ». Et puis : « Les garçons, rendez-vous, et vous resterez en vie ! » Je ne sais pas comment elle a osé dire ça. Ils auraient pu la tuer, c’est arrivé plus d’une fois. Ils sont partis, elle s’est souvenue de leurs visages, et au matin, ils avaient tous été tués. Fin avril ou début mai, deux Bouriates ont été attrapés dans les champs. Je ne sais pas s’ils se sont rendus ou s’ils ont juste été rattrapés. Ils doivent avoir eu peur : ils auraient pu être abattus, mais là, ils ont survécu.
Le territoire du village est-il en cours de déminage ?
Oui, ici, ils trouvent quelque chose presque chaque jour. Il y a quelques jours, une grand-mère a trouvé un obus en passant à côté. Ils déminent.
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous êtes revenu au village après sa libération par l’armée ukrainienne ?
Oh, les mots me manquent pour l’exprimer… Quand je suis parti, je savais que ma maison était en ruines, mais ma mère était restée ici pendant l’occupation [il pleure], nous n’avons pas pu entrer en contact avec elle pendant un mois, nous avions contacté des volontaires, mais elle n’a pas voulu partir et elle est restée ici. Dieu merci, tout va bien. Lorsque nous sommes revenus, il restait peu de maisons intactes dans le village, environ 5%.
Avez-vous sollicité l’aide de l’État pour la reconstruction de vos biens détruits ?
Quand on appelle, ils nous disent d’attendre [l’entretien a été enregistré en juin 2022]. Lorsque nous étions dans la région de Vinnytsia, après avoir été évacués, je suis allé voir la police là-bas, j’avais des photos de ma maison détruite, on a fait des dépositions, fourni des preuves, ils nous ont donné un rapport et ils ont envoyé les documents à Kyiv. Mais l’examen de ces dossiers se fera probablement une fois la guerre terminée. J’ai également déposé un dossier à Vychneve. J’ai des preuves documentées que c’est l’armée russe qui a détruit ma maison.
Ce témoignage fait partie de « Voix de guerre », un projet associant Memorial France, Memorial Italie, Mémorial République Tchèque, Mémorial Pologne et Mémorial Allemagne autour du Groupe de défense des droits de l’homme de Kharkiv (Memorial Ukraine)
Pour en savoir plus sur le projet Voix de guerre, rendez-vous ici