Voix de guerre #30, Olha Leous : « Mon mari a été tué par un sniper »
Nous avons rencontré Olha Leous, une habitante de Marioupol, au centre « YaMarioupol » de Lviv, où le Groupe de défense des droits humains de Kharkiv s’est rendu pour aider les habitants de Marioupol qui vivent à Lviv après avoir quitté leur ville natale.
Le Groupe de défense des droits humains de Kharkiv rassemble des preuves de crimes de guerre russes, notamment à Marioupol. Olha Leous vivait à cinq minutes du théâtre dramatique. Son immeuble a été bombardé et son mari a été tué par un sniper. Nous nous sommes entretenus avec Olga Leous au centre « YaMarioupol », à Lviv, où le Groupe de défense des droits humains de Kharkiv est venu pour aider les habitants de Marioupol qui vivent à Lviv après avoir quitté leur ville natale.
Nous avons cru, nous avons voulu croire de tout notre cœur que ça n’arriverait pas, mais c’est arrivé. Mon appartement a été touché par un obus. Mon mari Volodymyr est sorti dans la cour pour voir dans quel état était l’immeuble. Il était peut-être temps de rassembler nos affaires et de fuir. Et à ce moment-là, il a été tué par le tir d’un sniper.
Je m’appelle Olha Leous. Le premier jour de la guerre a été presque normal. Parce que je vivais et travaillais dans le centre de la ville, et la guerre a commencé à la périphérie. Et jusqu’à la fin de la journée, on ne savait pas que c’était vraiment sérieux.
Et où viviez-vous ? À quel endroit ?
Je vivais en plein centre ville, à cinq minutes à pied du théâtre dramatique.
À Marioupol ?
Oui, à Marioupol.
La journée de travail a commencé. Vers l’heure du déjeuner, la panique a commencé à se faire sentir. Des files d’attente se sont formées devant les pharmacies, les magasins et les distributeurs automatiques. Les magasins n’acceptaient plus les paiements par carte, uniquement les espèces. Il y avait des combats dans plusieurs quartiers à la périphérie. Dans les quartiers de Kalmiouski, de Levoberejni. Nous on croyait, on voulait vraiment croire de tout notre cœur, que ce qui s’est passé après n’arriverait pas. Que la guerre s’arrêterait là-bas. La situation empirait d’heure en heure. On entendait des explosions de plus en plus proches. Des immeubles voisins ont été touchés, comme le cinéma « Pobeda » près de chez nous, il a été touché par une mine. Au début, nous restions chez nous parce que nous nous y sentions relativement en sécurité.
Le 20 mars, un obus est tombé dans mon appartement. La pièce touchée était déjà recouverte de couvertures parce qu’il faisait très froid. La mine est tombé en plein dans l’appartement. Cette pièce a été détruite.
Mon plus jeune fils a été blessé ce jour-là, il avait huit ans ; il a été blessé à la jambe. Les combats se déroulaient déjà au centre de la ville, et les occupants nous empêchaient de recevoir des soins médicaux. Nous avons appris par des personnes qu’un hôpital de campagne avait été installé au centre culturel Molodijny (en face de chez nous) et que des blessés y étaient transportés. Nous y sommes allés, mais nous n’avons pas emmené notre fils avec nous, juste pour demander conseil, se procurer des médicaments et des pansements. Là, une jeune femme nous a parlé et nous a donné des conseils sur ce qu’il fallait faire. Le lendemain (ou le surlendemain), le centre culturel Molodijny a brûlé. Je ne sais même pas ce qui est arrivé aux gens qui s’y trouvaient. J’espère vraiment qu’ils ont réussi à quitter le bâtiment.
Notre quartier a été très lourdement bombardé. Quelque chose a touché l’immeuble. On l’entendait trembler. C’est un immeuble stalinien. À un moment donné, on s’est dit qu’il fallait absolument partir. Nous avions peur que les étages supérieurs nous tombent dessus.
Mon mari Volodymyr est sorti dans la cour pour voir dans quel état était l’immeuble. Il était peut-être déjà temps de rassembler nos affaires et de fuir. Et à ce moment-là, il a été tué par le tir d’un sniper.
Nous avons entendu ce coup de feu. Il y en a eu un, peut-être deux. Plus tard, en me rappelant ces événements, il m’a même semblé l’avoir entendu crier. J’ai cru entendre une voix étonnée : « Ils m’ont eu ! ». Après (plus tard dans la journée), il y a eu des combats de rue dans notre quartier. Ils ne tiraient pas avec de l’artillerie à longue portée, c’était du combat rapproché, des mitrailleuses, ce genre de choses. On a entendu des gens, on les a vus courir. On a vu nos soldats aider un blessé. J’ai longtemps espéré que c’était ce soldat que j’avais entendu crier. Ensuite, on a vu qu’il était emmené quelque part.
Le lendemain, quand ça s’est un peu calmé, Nina, la mère de mon mari (qui vivait avec nous), a entendu des pas, alors elle est sortie : elle voulait poser des questions, demander aux gens des nouvelles de son fils. On ne croyait pas et on refusait même l’idée qu’il avait pu mourir. Nous pensions qu’il avait pu se réfugier dans un immeuble, dans un abri anti-bombes, se cacher quelque part. Elle a trouvé son enfant unique mort, près de l’entrée de notre immeuble. Après cela, nous n’avons pas pu quitter l’appartement pendant très longtemps (environ une semaine) ; nous préparions à manger dans l’entrée sur un barbecue. Dieu merci, nous avions de la nourriture, des conserves. Les enfants n’ont pas souffert de la faim.
C’était très effrayant, il y avait des avions qui volaient tout le temps. Parfois loin, parfois tout près. Nous pouvions entendre le bruit des bombes aériennes et nous commencions à faire la distinction entre les mines et les bombes.
Ce n’est qu’au bout de six jours qu’on a pu enterrer mon mari, grâce à l’aide de gars qui vivaient dans l’abri anti-aérien de notre immeuble. Nous l’avons enterré dans la cour, avec une croix orthodoxe sur la tombe. Nous lui avons rendu un dernier hommage du mieux que nous pouvions.
Avez-vous eu des contacts avec l’armée d’occupation ?
Très peu. Un jour, ils sont venus dans notre cour, les gens sont sortis et ont commencé à poser des questions, car on n’avait absolument aucun réseau, aucune information, aucune nouvelle. Nous nous sommes approchés, 10 à 15 personnes se sont rassemblées autour d’eux. Ils nous ont dit joyeusement qu’ils nous avaient libérés ! Et que maintenant tout irait bien pour nous.
Ce témoignage fait partie de « Voix de guerre », un projet associant Memorial France, Memorial Italie, Mémorial République Tchèque, Mémorial Pologne et Mémorial Allemagne autour du Groupe de défense des droits de l’homme de Kharkiv (Memorial Ukraine)
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