Chronique de la Russie qui proteste // 11 – 17 novembre 2024
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Perm (District fédéral de la Volga)
Le ruban vert est un symbole de la résistance anti-guerre.
Perm (district fédéral de la Volga) et Kstovo (région de Nijni Novgorod)
Monuments commémoratifs
Le 17 novembre, en signe de solidarité avec la marche anti-guerre à Berlin, des militants ont déposé des fleurs sur le monument dédié à Lesya Ukrainka [NdlR, poétesse, chantre de l’Ukraine) à Moscou.
Photo du compilateur du digest.
Poursuites
Huit ans pour un post accusant Poutine de haute trahison
La Moscovite Anastasia Berezhinskaya, metteuse en scène et mère de deux enfants (âgés de 8 et 10 ans), a publié quatre messages anti-guerre et anti-Poutine sur le réseau social VKontakte. Un extrait du texte de l’un des messages est connu : « Vos putains de forces armées ont déjà ravagé la moitié de l’Ukraine, emportant avec elles des femmes, des enfants et une multitude de civils, réduisant les gens en bouts de viande. » Berezhinskaya a également été accusée d’avoir écrit plusieurs commentaires dans lesquels elle accuse Poutine de haute trahison, de génocide, de crimes de guerre et d’autres crimes, ainsi que d’avoir prétendument appelé au meurtre de Vladimir Poutine dans l’un de ses propres posts. Le tribunal a condamné Anastasia Berezhinskaya à huit ans de détention en colonie pénitentiaire.
Un paroissien d’une église de Moscou arrêté pour déclarations anti-guerre
Le 10 novembre, Alexeï Sevastyanenko,un paroissien de l’église de la Sainte-Trinité Vivifiante à Khokhly, a été arrêté pour avoir exprimé des opinions « contre l’opération militaire spéciale » et accusé le président de la Fédération de Russie et le patriarche de « meurtres de civils en Ukraine ». Il a été conduit au commissariat de police de Basmanny. Dans un premier temps, Alexis a supposé que l’archiprêtre Andreï Tkatchev, avec qui il avait discuté de la guerre en Ukraine, avait rédigé une dénonciation contre lui. Plus tard, il s’est avéré que l’auteur de la dénonciation était un témoin de leur conversation.
Alexeï a été relâché du commissariat le lendemain avec l’obligation de se présenter au tribunal. Un procès-verbal a été établi contre lui pour « discrédit » à l’encontre de l’armée.
Des habitants de Almetyevsk (République du Tatarstan) condamnés à une amende pour « discrédit » à l’encontre de l’armée
Une habitante de Almetyevsk a été condamné à une amende de 30.000 roubles (l’équivalent d’1,56 fois le salaire minimum) pour « discrédit » à l’encontre de l’armée, en raison d’une vidéo accusant Michoustine, Nabiullina et « d’autres complices de Poutine », où elle leur disait : « … chaque jour, vous continuez à être complices des crimes commis par Poutine. Chaque jour, vous tuez par votre silence des Ukrainiens et des Russes. […] »
Un autre habitant de Almetyevsk a été condamné à une amende de 35.000 roubles (1,82 au salaire minimum) en vertu du même article pour un commentaire sur Instagram contenant un drapeau ukrainien et la mention « GLOIRE ! »
Une pédiatre condamnée à cinq ans et demi de prison sur une accusation infondée
Nadezhda Buyanova, âgée de 68 ans, pédiatre dans une polyclinique de quartier, a été dénoncée par Anastasia Akinshina, la mère d’une de ses patientes.La dénonciatrice a accusé la médecin d’avoir qualifié le père de l’enfant, tué en Ukraine, de « cible légitime pour l’Ukraine ». Nadezhda Buyanova nie avoir eu cet échange.
L’accusation n’a présenté aucune preuve de la culpabilité de la médecin. Cependant, le 12 novembre, le juge a rendu un verdict de culpabilité : 5 ans et 6 mois de détention en colonie pénitentiaire. L’avocat de Nadezhda Buyanova prévoit de faire appel du verdict.
Un post condamnant la guerre en Ukraine évalué à 400.000 roubles par le tribunal
Un militant de la République de Mari El, Yuri Blagodarov, un retraité, a écrit un commentaire contre la guerre en Ukraine : « Nos cartes [bancaires] ne soutiennent pas une guerre fratricide menée pour l’expansion de l’influence de la nation russe. »
Le tribunal a reconnu le militant coupable de « discrédit » à l’encontre de l’armée et d’incitation à la haine, le condamnant à une amende de 400.000 roubles (l’équivalent de 20,8 fois le salaire minimum) pour discrédit à l’encontre de l’armée et incitation à la haine, et à verser 66.000 roubles pour couvrir les frais judiciaires.
L’unique revenu de Yuri Blagodarov est une retraite de 18.000 roubles par mois. Selon la décision du tribunal, il doit payer l’amende sur une période de 40 mois. Après que Yuri a commencé à recevoir des dons pour régler l’amende, sa carte bancaire a été bloquée.
Amende pour arrachage d’une bannière du ministère de la Défense
Yana L., une habitante de Belgorod, a été condamnée à une amende de 30.000 roubles (l’équivalent d’1,56 fois le salaire minimum) pour « discrédit » à l’encontre de l’armée. Elle avait arraché une bannière publicitaire du ministère de la Défense appelant à partir à la guerre, placée à un arrêt de transport public. Des témoins avaient alerté la police.
Un Moscovite arrêté par contumace pour deux posts anti-guerre
Alexandre Zakondraev, un Moscovite de 35 ans, avait publié deux commentaires anti-guerre contenant des liens vers des actualités concernant une frappe de missiles à Taganrog et une attaque de drones sur Moscou en juillet 2023. Il écrivait : « Il ne reste plus que des ruines de la maison, à Taganrog, alors que le ministère de la Défense prétend que le missile a été intercepté en vol » !
En mars de cette année, les forces de sécurité avaient perquisitionné le domicile d’Alexandre et ouvert une procédure pénale contre lui pour diffusion de « fausses informations » contre les forces armées de la fédération de Russie. Alexandre avait réussi à quitter la Russie.
Le 14 novembre, un tribunal du district de Lioubliyanai à Moscou a ordonné son arrestation par contumace.
Amende et arrestation pour arrachage d’une affiche prônant l’engagement dans l’armée
Alexei Zyamzin, un habitant de la région de Tula âgé de 45 ans, a arraché une affiche prônant le service militaire contractuel à un arrêt de bus, le 12 novembre. De plus, sa photo de profil sur Telegram comportait le symbole de la Légion Liberté de la Russie [NdlR, Formation paramilitaire russe combattant aux côtés de l’armée ukrainienne].
Alexeï a été accusé de « discréditer » l’armée russe et de « propagande » de symboles interdits. Le tribunal l’a condamné à une amende de 45.000 roubles (l’équivalent de 2,34 fois le salaire minimum) et à sept jours de détention.
Deux amendes pour avoir appelé la guerre par son nom
Marina Lolokhaeva, de Surgut, a été condamnée à deux amendes pour « discrédit » à l’encontre de l’armée.La première amende de 40.000 roubles (l’équivalent de 2,08 fois le salaire minimum) lui a été infligée pour deux commentaires dans un tchat Telegram. Elle y avait écrit que le nazisme et le fascisme étaient présents en Russie et avait souhaité la victoire de l’Ukraine, qualifiant l’agression russe de guerre et non d’opération militaire spéciale. La deuxième amende de 30.000 roubles (l’équivalent de 1,56 fois le salaire minimum) lui a été imposée pour la publication d’une image avec l’inscription « Non à la guerre ».
Arrêtée pour une critique du Régiment Immortel
Tatiana, une habitante de Ramenskoïe (ville de la région de Moscou), avait écrit, dans le tchat communautaire de la résidence Apelsin à propos d’une action du Régiment Immortel, qu’elle considérait comme une honte la participation à des « marches portant les noms de véritables héros-libérateurs ».
Deux mois plus tard, Tatyana avait été arrêtée, conduite au commissariat de police et accusée de « discréditer » l’armée. Elle avait signé tous les documents pour aller récupérer son fils de cinq ans à la crèche. Le tribunal l’a condamnée à verser une amende de 35.000 roubles (l’équivalent d’1,82 fois le salaire minimum).
Un grutier condamné à 24 ans de prison pour haute trahison
D’après l’enquête, Serguey Andreev, un grutier, aurait tenté, sur les indications d’un “ manipulateur ” des services spéciaux ukrainiens, de faire exploser le bâtiment d’un bureau de recrutement militaire à Moscou. Cependant, l’expertise n’a décelé aucune trace de substance explosive dans le produit de Sergey. Il s’agissait d’un composant utilisé pour les feux d’artifice domestiques.
Pourtant, Andreev a été reconnu coupable de « haute trahison », de « terrorisme », de « participation à une organisation terroriste », ainsi que de fabrication, de stockage, de port et de transport illégaux d’explosifs et de leurs composants. Le deuxième tribunal militaire du district ouest de Moscou l’a condamné à 24 ans de privation de liberté et au versement d’une amende de 1,2 million de roubles (l’équivalent de 62,4 fois le salaire minimum ).
Piquets de protestation solitaire et rassemblements
Piquet solitaire de soutien à Nadezhda Buyanova à Ekaterinbourg
Le 17 novembre, Dmitri Rykov a été arrêté à Ekaterinbourg, alors qu’il était sorti pour un piquet de soutien à la pédiatre Nadezhda Buyanova, condamnée à 5,5 ans de détention en colonie pénitentiaire sur la base d’une dénonciation. Elle aurait, dans une conversation avec la mère d’une patiente, Anastasia Akinshina, qualifié le père de l’enfant, tué en Ukraine, de “ cible légitime de l’Ukraine ”. Aucune preuve des propos de Nadejda Buyanova n’a été présentée par l’enquête, ce qui n’a pas empêché le juge de prononcer un verdict de culpabilité.
Les policiers ont confisqué la pancarte de Dmitri Rykov et l’ont relâché sans dresser de procès-verbal.
Attentats et sabotage
Un adolescent de 16 ans arrêté pour tentative de sabotage sur le Transsibérien
Le 15 novembre, des agents du FSB de la région de Kirov ont arrêté un adolescent de 16 ans : il aurait planifié l’incendie d’armoires de signalisation, de centralisation et de blocage automatique des voies principales du chemin de fer « sur ordre des services spéciaux ukrainiens ». Les forces de sécurité attendaient l’adolescent sur le lieu présumé de l’incendie.
Une procédure pénale a été ouverte « pour tentative de sabotage » contre le lycéen qui a été placé en garde à vue. Au cours de l’interrogatoire, il a reconnu sa culpabilité.
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.