Chronique de la Russie qui proteste // 14-20 janvier 2024

Chronique de la Russie qui proteste // 14-20 janvier 2024

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La Bachkirie bouillonne

Le 17 janvier, à Baymak, dans la République de Bachkirie, le militant écologiste bachkir Faïl Alsynov a été condamné à 4 ans de colonie pénitentiaire de régime général en vertu de l’article 282 du Code pénal russe, « Incitation à la haine ou à l’hostilité ».

Le verdict a suscité des protestations parmi les manifestants rassemblés sur une place de la ville (entre 6 000 et 10 000 personnes selon différentes estimations). Après que les manifestants ont bloqué le passage du fourgon cellulaire avec l’activiste arrêté, des affrontements ont éclaté avec les forces de l’ordre. Ces dernières ont fait usage de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes contre les manifestants. Environ 20 personnes ont demandé une aide médicale, 8 personnes ont été arrêtées.

Le 19 janvier, à Oufa, capitale de la Bachkirie, quelques centaines de personnes sont également sorties en soutien à Faïl Alsynov. Cette manifestation s’est déroulée sans affrontements avec la police. Plusieurs personnes ont été arrêtées

En octobre 2022, Faïl Alsynov a écrit une lettre ouverte appelant les Bachkirs à ne pas participer à la guerre en Ukraine.

La ville parle

Des inscriptions anti-guerre dans la forêt de Tcheliabinsk.


Inscription sur un mur à Khabarovsk.


Des inscriptions anti-guerre et des rubans verts sont également apparus à Kourgan, Moscou, Omsk, Perm, Saint-Pétersbourg et Togliatti.

Manifestations

Le 20 janvier, les épouses des mobilisés sont venues au quartier général électoral de Poutine et ont laissé une note exigeant le retour de leurs maris à la maison. Une employée du QG a dit aux épouses des mobilisés que leurs maris voulaient combattre et leur a conseillé de prier pour leur santé.

Diversions et Sabotages

Un habitant de Saint-Pétersbourg a été condamné à 8 ans de prison pour tentative d’incendie du bureau de recrutement militaire. Les agents du FSB ont arrêté cet infirmier de la polyclinique de Saint-Pétersbourg, Maxime Asryan, le 7 octobre 2022 à l’aéroport de Pulkovo. Une enquête a été ouverte contre lui pour « tentative d’attentat » parce qu’il été retrouvé près du bureau de recrutement militaire de Frunzensky à Saint-Pétersbourg avec un liquide inflammable.

Persécutions 

La Cour suprême de Khakassie a condamné l’ancien pilote de l’aviation civile Igor Pokoussine à huit ans et un mois de prison pour « préparation à la trahison sous forme de passage à l’ennemi ». Selon l’enquête, Pokoussine, 61 ans, avait l’intention de rejoindre les forces armées ukrainiennes. Le FSB interceptait illégalement les conversations téléphoniques du retraité, né à Odessa mais résidant à Abakan, ayant des parents et des amis en Ukraine.


Le tribunal de la ville de Tcherepovets, région de Vologda, a condamné le défenseur des droits de l’homme Gregory Marcus Severine Winter à trois ans de prison pour son implication dans une affaire de « fake news » liées à l’armée. En plus de cela, Winter s’est vu interdire d’administrer des sites web pendant deux ans. Le procureur avait demandé une peine de six ans et trois mois de prison pour la diffusion haineuse d' »informations manifestement fausses » sur l’armée russe (alinéa « d » de l’article 207.3 du Code pénal), en raison d’un commentaire sur les civils tués à Boutcha et de huit partages de publications sur le bombardement du théâtre à Marioupol.


Après avoir reçu deux amendes pour des actions anti-guerre et avoir été perquisitionnée dans le cadre d’une affaire d’apologie du terrorisme, Elina Yasonova a été placée de force dans un hôpital psychiatrique à Kazan, République du Tatarstan. L’activiste pense que son hospitalisation aurait pu être initiée par son cousin, Artem Prokofiev, député de la Douma.

Protestations sur le web

Une députée de la région de Kamtchatka, Alexandra Novikova, a publié sur son canal Telegram l’appel d’un volontaire de Kamtchatka combattant en Ukraine, qui se plaignait de lourdes pertes. Après avoir été dénoncée par le vice-gouverneur de la région, Sergueï Nekhaïev, un protocole de discrédit des forces armées de la Fédération de Russie a été dressé contre elle.


L’activiste Danila Afonine de Pskov risque jusqu’à 5 ans de prison ou une amende pouvant aller jusqu’à 300 000 roubles (l’équivalent de 15,5 fois le SMIC) pour avoir « discrédité » à nouveau l’armée russe en raison de publications sur VKontakte. L’enquête a été ouverte en décembre 2023. Le 17 janvier, une perquisition a été menée dans l’appartement de l’activiste et du matériel a été saisi. La communication avec Danila a été interrompue pendant plusieurs heures, puis les journalistes ont rapporté qu’une enquête avait été ouverte contre lui.


Une habitante de Bachkirie a utilisé les réseaux sociaux pour appeler les mobilisés à rentrer chez eux et à protéger leur peuple. Selon elle, les militaires russes en Ukraine se battent pour les ambitions d’une seule personne, tandis qu’au Bachkortostan, les forces de l’ordre battent les Bachkirs avec des matraques.

Culture

En Thaïlande, les spectacles de l’humoriste Maxime Galkine, qui s’est prononcé contre la guerre et a quitté la Russie en 2022, ont été annulés. Des représentations de l’artiste étaient prévues pour le 24 janvier à Pattaya et le 25 janvier à Phuket. Les propriétaires des hôtels ont annulé les concerts de Galkine, supposément en raison du contenu politique de ses spectacles.


En République de Bouriatie (une région de la Fédération de Russie), le concert de Christina Orbakaite a été annulé « à la demande des résidents et des organisations publiques ». Des membres de l’organisation « Fratrie de la Guerre », de l’Union des vétérans de la République, de la Chambre publique de la Bouriatie ont porté plainte contre l’artiste. Les raisons de ces plaintes portent sur le fait que la chanteuse n’a pas exprimé sa position sur la guerre en Ukraine, aurait prétendument financé les forces armées ukrainiennes et aurait obtenu une nationalité étrangère.

Monuments et mémoriaux ephémères

Le 14 janvier, les habitants de Moscou ont apporté des fleurs au monument dédié à Lessia Ukrainka pour rendre hommage aux Ukrainiens décédés exactement un an auparavant, à la suite d’une frappe de missile sur Dnipro. L’impact sur un immeuble résidentiel à plusieurs étages a entraîné la mort de 46 personnes, dont 6 enfants, et 80 personnes ont été blessées.

Divers

La journaliste scientifique Asya Kazantseva a annoncé son départ de Russie « jusqu’à ce que des temps meilleurs arrivent ». Les raisons de cette décision sont l’annulation de ses interventions, la publication de son adresse personnelle par le député de la Douma d’État de la Fédération de Russie Andrei Lugovoi et le fait d’avoir un enfant en bas âge. La journaliste estime que la pression exercée sur elle fait partie d’une campagne visant à éliminer les éléments indésirables de Russie avant les élections présidentielles. Kazantseva s’est ouvertement opposée à la guerre alors qu’elle vivait à Moscou, et elle a été arrêtée à plusieurs reprises par les forces de l’ordre.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France. Remerciements à Riva Evstifeeva et Emilia Koustova pour leur travail de coordination et de relecture.
© Memorial / © Memorial France pour la version française.