Chronique de la Russie qui proteste // 20 – 26 janvier 2025
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Ivanovo (district fédéral central)


Le Ruban vert est un symbole de la résistance anti-guerre.
Serpoukhov (région de Moscou)

Nijni Taguil (région de Sverdlovsk)

“Non à la guerre”
Monuments commémoratifs
Une pancarte anti-guerre sur la statue de Lomonossov

Une militante anonyme a suspendu à la statue de Lomonossov, près de l’Université d’État de Moscou, une pancarte portant cette inscription “Liberté pour les détenus politiques de l’Université d’État de Moscou, D. Ivanov et A. Miftakhov”. L’action coïncidait avec la célébration de l’anniversaire des 270 ans de l’université, célébré le 25 janvier, à l’occasion de la Journée des étudiants.
Dmitry Ivanov est connu comme l’auteur de la chaîne Telegram L’Université d’État de Moscou qui proteste. Les forces de l’ordre l’ont arrêté pour 12 posts condamnant la guerre contre l’Ukraine et appelant à participer à des manifestations anti-guerre. Le tribunal l’a condamné à 8 ans et demi de prison pour diffusion de “fausses informations sur l’armée”.
Piquets de protestation solitaire et rassemblements
Région de Moscou : protestation solitaire en soutien aux détenus politiques gravement malades

Le 20 janvier, la militante non-voyante, Oksana Osadtchaya, a tenu un piquet de protestation solitaire à Ramenskoïe, en banlieue de Moscou, munie d’une pancarte portant cette inscription “Liberté à tous les détenus politiques gravement malades”, ainsi qu’un QR-code renvoyant vers une pétition demandant la libération de 125 détenus souffrant de graves maladies.
De nombreux noms figurant sur cette liste sont ceux de prisonniers politiques emprisonnés pour avoir exprimé leur opposition à la guerre en Ukraine. Parmi eux figurent le député moscovite Alekseï Gorinov et Igor Barychnikov, originaire de Kaliningrad, tous deux condamnés pour diffusion de “fausses informations sur l’armée russe”.
Les forces de l’ordre ont arrêté Oksana Osadtchaya ainsi que la journaliste Ioulia Belova, qui couvrait l’action. Elles ont été emmenées au poste de police où elles ont subi des pressions avant d’être finalement relâchées.
Piquet en soutien à la détenue politique Maria Ponomarenko

Le 23 janvier, un groupe de militants de Novossibirsk (Sibérie de l’Ouest) a organisé un piquet en soutien aux détenus politiques, à l’occasion de l’anniversaire du dissident soviétique Anatoly Martchenko, qui avait fait une grève de la faim de 117 jours pour protester contre les répressions politiques.
L’un des participants à l’action tenait une pancarte en soutien à la journaliste Maria Ponomarenko, avec sa photo et l’inscription « Liberté ».
Maria a été condamnée à 6 ans de colonie pénitentiaire pour avoir publié un message sur le bombardement du théâtre d’art dramatique de Marioupol. La journaliste a été envoyée, à maintes reprises, en cellule disciplinaire et a mené plusieurs grèves de la faim.
Sabotages et actions clandestines
Saint-Pétersbourg : incendie d’une locomotive assurant le soutien logistique de l’armée russe

Une locomotive assurant le soutien logistique de l’armée russe a brûlé le 18 janvier, à la station ferroviaire de Routchy, dans le district de Kalinine, à St-Pétersbourg. Selon les services de renseignements ukrainiens, la cabine de la locomotive a été incendiée volontairement. De ce fait, le feu a détruit l’ensemble du système de contrôle, rendant la locomotive “irréparable”. Le 20 janvier, l’auteur présumé de l’infraction, un habitant de l’endroit, âgé de 22 ans, a été arrêté. Un dossier d’instruction pour acte terroriste a été ouvert contre lui.
Poursuites judiciaires
Des adolescents ont tenté d’incendier une armoire à relais sur une voie ferrée
En mars 2024, deux adolescents, âgés de 15 et 17 ans, avaient tenté d’incendier des armoires à relais et à batteries sur un tronçon ferroviaire, entre les stations
“Atchinsk-1” et “Taroutino”. Ils auraient agi sur ordre et devaient recevoir une récompense «d’une autre personne sur Internet».
La semaine dernière, le tribunal a rendu son verdict concernant le suspect de 17 ans : il a été reconnu coupable de “tentative de sabotage préméditée, commise en groupe” et a été condamné à 4 ans de détention en colonie éducative.
Le jeune de 15 ans ayant participé à la “tentative de sabotage” a été inscrit sur une liste de surveillance préventive.
Un programmeur incendie un Z et écope de six ans et demi de prison

Un programmeur, Ilya Tchouboukov, a mis le feu à une installation protestataire en forme de Z, dans une rue de Belgorod. À la suite de cet acte, il a été arrêté et condamné à une amende de 50.000 roubles (soit l’équivalent de 2,2 fois le salaire minimal) pour vandalisme.
De plus, Tchouboukov a été condamné à 6 ans et demi d’emprisonnement en colonie pénitentiaire pour détention d’explosifs. Il avait précédemment affirmé que ces explosifs avaient été déposés à son insu chez lui par les forces de sécurité et que ses “aveux” devant la caméra lui avaient été extorqués sous la torture. Le programmateur prévoit de faire appel de la décision du tribunal.
6 ans de colonie pénitentiaire pour des publications sur l’explosion du pont de Crimée

Oleg Tretiakov, un blogueur âgé de 56 ans, originaire de la région de Perm, s’est exprimé sur les réseaux sociaux à propos de l’explosion du pont de Crimée. Pour cela, il a été condamné à 6 ans de détention en colonie pénitentiaire.
Tretiakov avait quitté la Russie en 2022, après l’annonce de la mobilisation. Il avait voyagé en moto à travers le Kazakhstan et raconté son périple sur les réseaux sociaux. Mais il est finalement retourné en Russie pour aider sa fille malade. Il a été arrêté à ce moment-là.
Un habitant de Riazan arrêté pour avoir crié “Gloire à l’Ukraine ! Gloire aux héros !”
Un habitant de Riazan, Evguéni Ovtchinnikov, a crié dans la rue : “Gloire à l’Ukraine ! Gloire aux héros !” et a été condamné à 7 jours de détention.
Les forces de sécurité ont estimé que ces mots étaient “une forme de salut caractéristique de l’organisation extrémiste : Organisation ukrainienne Assemblée nationale ukrainienne – Autodéfense ukrainienne”.
Refus de combattre
Automutilations pour ne pas combattre
“Idite lesom…”, [NdR. Expression ironique pouvant être rendue par “Va te faire foutre…”] une organisation qui aide les Russes à échapper à la conscription et à la mobilisation, a raconté l’histoire d’un officier de l’armée russe, qui aidait ses subordonnés à quitter le front en les envoyant à l’hôpital pour la moindre égratignure, avant de finalement se mutiler lui-même pour ne pas combattre. “Alors que nous nous approchions des positions ukrainiennes, je me suis blessé moi-même. C’était risqué, on pouvait comprendre que c’était une blessure volontaire […]. Mais j’ai eu de la chance. J’ai été envoyé à l’hôpital, puis en rééducation. J’ai été classé en catégorie G [NdR. La catégorie G signifie une dispense temporaire d’activité], j’ai pris un congé et j’ai démissionné”, a raconté l’homme qui a souhaité rester anonyme.
“Idite lesom” a également rapporté des cas de militaires qui se sont fait exploser eux-mêmes à l’aide d’engins explosifs d’exercice pour ne pas combattre.
“On m’a emmené à l’hôpital, et là-bas, tout le monde était comme moi”, a raconté l’un d’eux.
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.