Chronique de la Russie qui proteste // 29 juillet – 4 août 2024

Chronique de la Russie qui proteste // 29 juillet – 4 août 2024

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


LA VILLE S’EXPRIME

Moscou, Iekaterinbourg, Stavropol, Kodinsk (région de Krasnoïarsk),  Mytichtchi (région de Moscou), Perm (district fédéral de la Volga)


Stavropol (district fédéral du Sud)

Poursuites

5 jours de détention pour un slogan de nationalistes ukrainiens

Bakhtior Yurtchenko, natif de Marioupol, a scandé dans une cour d’immeuble à Velikié Louki (région de Pskov)  “ un slogan nationaliste ukrainien qui est le salut officiel d’organisations interdites ». Le tribunal municipal local l’a condamné à 5 jours de détention pour expression de symboles interdits. 

Une infirmière de Kaliningrad en détention pour un commentaire sur telegram

Elena Nikolaïenkova, une infirmière de 53 ans originaire de Kaliningrad, a écrit un commentaire dans un tchat Telegram : « RDK, des gars géniaux ! ». RDK désigne le « Corps des volontaires russes », une formation militaire intégrée aux Forces armées ukrainiennes, elle a été créée par des nationalistes russes d’extrême-droite. L’unité est inscrite sur la liste des organisations terroristes et est interdite en Russie. Dans la nuit du 2 août, le domicile d’Elena a été perquisitionné, elle a été arrêtée et une procédure pénale a été ouverte contre elle pour apologie du terrorisme. Le tribunal a ordonné son maintien en détention provisoire jusqu’au 1er octobre.

Un blogueur arrêté pour une vidéo anti-guerre

Vadim Khartchenko, un blogueur de la région de Krasnodar, reconnu comme agent de l’étranger, a publié sur sa chaîne YouTube Opinion personnelle une vidéo intitulée : « Reddition de Kherson ? Qui est coupable ? Les troupes russes quittent Kherson. Choïgou, Sourovikine, Stremoousov, Saldo. » Une procédure pénale a été ouverte contre Vadim pour incitation publique à l’extrémisme, « discrédit répété des forces armées russes », diffamation et offense aux sentiments religieux. Le tribunal régional de Krasnodar a ordonné son placement en détention provisoire et son transfert en centre de détention (SIZO). 

Un député condamné à sept ans de prison pour des publications sur les bombardements de Marioupol

Un député du conseil municipal d’Omsk, Dmitri Petrenko, avait publié sur sa chaîne Telegram personnelle plusieurs photos et vidéos sur les bombardements de Marioupol et les enfants qui en ont été victimes. Le 30 juillet, le tribunal du district Kouïbychev, dans la région d’Omsk, a condamné Dmitri à sept ans de réclusion en colonie pénitentiaire  pour « diffusion volontaire de fausses informations sur les Forces armées russes, en utilisant sa position officielle, et motivée par une hostilité politique ». Il a également été interdit d’administrer des sites Internet pendant quatre ans. Le verdict a été rendu par contumace, car  Petrenko avait quitté la Russie après l’ouverture de la procédure pénale.

30 000 roubles d’amende pour un post exigeant l’arrêt de « l’opération spéciale »

Un historien et ethnographe de 62 ans, Sergueï Ryabchikov, a publié sur le réseau social VKontakte le message suivant : « J’ai exigé et continue d’exiger l’arrêt immédiat de “ l’opération spéciale ” de la Russie sur le territoire ukrainien. » Les forces de l’ordre ont arrêté Ryabchikov, le retenant plus de 24 heures au poste de police sans lui permettre de dormir. Le tribunal l’a condamné à une amende de 30.000 roubles (l’équivalent de 1,6 le salaire minimal) pour discrédit de l’armée russe.

Un habitant de la région de Nijni Novgorod envoyé en traitement psychiatrique pour un post anti-guerre

« Des morts en grand nombre parmi les habitants et une  destruction totale. Bref, les coupables sont les occupants russes et le gouvernement russe dans son ensemble. Ils commettent des actes inhumains. » Pour ces propos sur VKontakte, Alexeï Volsky, un habitant de la région de Nijni Novgorod, a été arrêté pour « diffusion de fausses informations sur l’armée ». Suite à une expertise psychiatrique, il a été interné de force dans un hôpital. Le 31 juillet, le tribunal régional de Nijni Novgorod a confirmé cette mesure de sanction.

Un Ukrainien de 45 ans arrêté pour critique de la guerre en Ukraine

Un Ukrainien vivant dans la région de Smolensk (son nom n’a pas été communiqué) s’est dressé contre la guerre en Ukraine, “ a appelé les militaires russes à déposer les armes et rejoindre les formations armées reconnues comme terroristes en Russie ” mais a également “ lancé de fausses informations sur les Forces armées de la Fédération de Russie ”. L’homme a été arrêté. 

Huit ans de colonie pénitentiaire pour des publications anti-guerre pour un natif d’Ukraine

Piotr Opaltchik, un homme de 45 ans ayant la double nationalité ukrainienne et russe, s’est exprimé sur les réseaux sociaux contre la guerre en Ukraine, appelant les militaires russes à déposer les armes et à se rendre. Il a été arrêté à la suite d’une dénonciation d’un fils mobilisé de son ex-femme. Il a été accusé de collaboration confidentielle avec un État étranger et de tentative d’instruction aux militaires russes sur la façon de se rendre volontairement. Le tribunal a condamné Piotr à 8 ans de détention en colonie pénitentiaire à régime général et à un an de restriction de liberté.

Accusation de vandalisme pour des graffitis anti-guerre à Saint-Pétersbourg

Un habitant de Saint-Pétersbourg âgé de 28 ans a peint des graffitis pacifistes et des inscriptions anti-Poutine sur les murs d’un passage près de la place de la Victoire. Arrêté par les agents du Centre « E », une perquisition à son appartement a permis de  trouver six bombes de peinture. Une instruction pénale pour vandalisme a été ouverte contre lui. Le suspect a été libéré sous engagement de ne pas quitter le territoire. 

Une nouvelle procédure pénale contre la jeune Darya Kozyreva (18 ans)

La militante Daria Kozyreva, après son expulsion de l’université d’État de Saint-Pétersbourg pour avoir critiqué sur les réseaux sociaux les lois contre le « discrédit » et les « fausses informations » concernant l’armée russe, a donné une interview à la chaîne YouTube  Realia. Elle a affirmé être décidée à dire la vérité sur le pouvoir, la dictature et la guerre en Ukraine : “ Ce massacre sanglant, totalement insensé pour le peuple, se poursuit ” a-t-elle déclaré. Darya Kozyreva est en détention provisoire pour avoir “ discrédité l’armée ” lors d’une action anti-guerre devant le monument de Tarass Chevtchenko, où elle a récité son poème Testament. Une seconde procédure pénale a été ouverte contre elle  pour « discrédit de l’armée », elle risque jusqu’à 5 ans de prison. 

Saccages et sabotages

« J’ai incendié un navire. »

Alexandre Terekhov, un homme de 30 ans, ayant servi à la base navale de la Baltique, a contacté la légion Liberté de la Russie [NdlR. organisation paramilitaire russe se battant du côté des Ukrainiens] après le début de la guerre en Ukraine. Il a collecté et transmis des informations sur les navires de la flotte russe de la Baltique. En avril 2024, il a mis le feu au navire Serpoukhov et emporté des documents secrets qu’il a ensuite remis à la partie ukrainienne. Fin juillet, le projet ukrainien Je veux vivre, qui aide le personnel militaire russe et biélorusse à se rendre volontairement, a publié une interview d’Alexandre dans laquelle il déclare avoir rejoint la légion Liberté de la Russie et affirme qu’il défendra désormais l’Ukraine.

Huit adolescents arrêtés pour tentative d’incendie sur une voie ferrée dans la région de Sverdlovsk.

En juillet 2024, deux groupes d’adolescents, composés respectivement de cinq et trois personnes, ont tenté d’incendier des locomotives et des armoires de relais dans un dépôt ferroviaire à Krasnoouralsk et à la gare de Pervoouralsk. Les agents du FSB ont arrêté les lycéens avant qu’ils ne commettent les sabotages, saisissant un liquide inflammable et des pieds-de-biche en leur possession. Selon l’enquête, les suspects avaient reçu des instructions via Telegram d’une personne basée en Ukraine. Les adolescents sont accusés de « préparation à un acte terroriste commis en groupe et en concertation préalable ». La peine maximale prévue pour cette accusation est de 20 ans d’emprisonnement.

Un habitant de Tcherniakhovsk arrêté pour tentative de destruction d’un bâtiment administratif

n habitant de Tcherniakhovsk (région de Kaliningrad), âgé de 36 ans, a été arrêté parce que soupçonné d’avoir préparé un attentat contre le bâtiment de l’administration du district municipal de Tcherniakhovsk, prétendument sous les ordres du « Corps des volontaires russes » [NdlR. unité paramilitaire russe basée en Ukraine]. Le suspect aurait été trouvé en possession d’un engin explosif improvisé, de 210 cartouches et de composants pour la fabrication d’explosifs. Une procédure pénale a été ouverte pour « tentative d’acte terroriste » et possession illégale d’explosifs. Le détenu risque jusqu’à 20 ans de prison.

14 ans de prison et 300.000 roubles d’amende pour tentative de sabotage et incitation à rejoindre la légion Liberté de la Russie

Artiom Sanjaraev, un habitant de Tchita (territoire de Transbaïkalie), ayant rejoint la légion  Liberté de la Russie [NdlR. organisation paramilitaire russe se battant du côté des Ukrainiens],  a distribué des tracts à Krasnoïarsk appelant à rejoindre la légion. Alors qu’il tentait de mettre le feu à deux armoires de relais, il a été arrêté par les forces de l’ordre. Le tribunal militaire du deuxième district oriental l’a reconnu coupable de collaboration confidentielle avec une organisation étrangère, d’incitation publique au terrorisme et de tentative de sabotage. Il l’a condamné à 14 ans de prison et à une amende de 300.000 roubles (l’équivalent de 15,6  fois le salaire minimum).

20 ans de prison pour une tentative d’empoisonnement de l’eau destinée aux militaires

Un cuisinier de campagne de 42 ans, Dimitri Seleznev a mélangé un insecticide à l’eau potable destinée aux militaires. D’après l’enquête, Seleznev aurait été recruté par des Ukrainiens, et dans des échanges écrits avec eux, critiquait la guerre et la politique russe. Il a filmé son acte et a envoyé la vidéo aux Ukrainiens via Telegram. En définitive, personne n’a été contaminé, car l’eau n’a été utilisée ni pour la préparation de la nourriture ni pour la boisson. Le tribunal du 2e district militaire a jugé l’affaire à huis clos et a condamné Dimitri Seleznev à 20 ans de réclusion, dont 4 en prison et 16 dans une colonie pénitentiaire à régime sévère.

Un mécanicien de Voronej risque la réclusion à perpétuité pour une préparation d’attentat contre un bureau de recrutement militaire

Artiom Lozovoï, un mécanicien automobile de 38 ans, a été arrêté pour avoir préparé un attentat et stocké des explosifs. Selon l’enquête, il projetait de faire exploser le bureau de recrutement militaire du district de Komintern à Voronej. L’affaire d’Artiom a été transmise le 2 août pour examen au tribunal du 2e district militaire occidental. Il risque une peine de réclusion à perpétuité.

DIVERS

Pavel Kouchnir, pianiste et militant anti-guerre,  est mort en détention provisoire à Birobidjan

Le pianiste de 39 ans, soliste de la philharmonie de Birobidjan, Pavel Kouchnir, avait publié sur sa chaîne Youtube quatre vidéos critiquant les autorités et condamnant la guerre, déclarant : « Le fascisme est la mort de notre patrie. Poutine est un fasciste. À bas la guerre en Ukraine ! À bas le régime fasciste de Poutine ! » En mai 2024, il avait été arrêté par les agents du FSB. Une procédure pénale avait été ouverte contre lui pour appels publics à des activités terroristes, et il avait été envoyé en détention provisoire (SIZO). Là, Pavel Kouchnir aavit entamé une grève de la faim, exigeant la fin du régime fasciste, l’arrêt de la guerre en Ukraine et la libération des prisonniers politiques. Après cinq jours d’une grève de la faim sans hydratation, il est décédé le 27 juillet. La mort de Pavel Kouchnir n’a été rendue publique que le 2 août.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.

Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.