Chronique de la Russie qui proteste // 6 – 12 janvier 2025

Chronique de la Russie qui proteste // 6 – 12 janvier 2025

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La ville s’exprime

Moscou

Le ruban vert est l’un des symboles de la protestation contre la guerre  en Russie.

Ivanovo (District fédéral central)

Le ruban vert est l’un des symboles de la protestation contre la guerre  en Russie.

Tcheliabinsk (District fédéral de l’Oural)

Le ruban vert est l’un des symboles de la protestation contre la guerre  en Russie.

Dégradations et sabotages

À Vyborg (district fédéral du Nord-Ouest), incendie des bâtiments d’un fonds de soutien aux combattants

Le 9 janvier, à Vyborg (région de Léningrad), le bâtiment principal de la Fondation Vyborg Rubej, qui collecte du matériel pour les combattants en Ukraine, a brûlé. L’incendie s’est propagé sur une superficie de 600 m2. Tout le matériel militaire qui se trouvait à l’intérieur a été entièrement détruit. Une enquête criminelle pour acte terroriste a été ouverte. Un habitant de Vyborg, âgé de 48 ans, et un élève de 15 ans, qui avait filmé l’incendie, ont été arrêtés. L’adolescent a été rapidement libéré, mais l’adulte a fait l’objet de poursuites pénales pour discrédit à l’encontre  de l’armée.

En Bouriatie : déraillement de 22 wagons d’un train de marchandises 

Un train de marchandises a déraillé en gare d’Angarakan, en Bouriatie (District fédéral d’Extrême-Orient). L’accident a endommagé 250 mètres de voie ferrée, 100 mètres de caténaires et trois pylônes. La circulation des trains de marchandises et de voyageurs a été suspendue sur ce tronçon. Il n’y a pas eu de victime.

Les autorités d’enquête ont ouvert une procédure pénale pour violation des règles de sécurité de la circulation et de l’exploitation du transport ferroviaire. La chaîne Telegram Ligue des Nations Libres a affirmé qu’il s’agissait d’un acte de sabotage.

Incendie d’une  voiture d’un colonel des Forces armées russes, à Rostov-sur-le-Don

Photo : Rospartizan

Le 12 janvier, à Rostov-sur-le-Don (District fédéral du Sud), des inconnus ont incendié la voiture du colonel des Forces armées russes, Alexandre Choutovsky, adjoint du commandant des troupes du district militaire sud. Les forces de l’ordre enquêtent sur les circonstances et les motivations de l’incendie criminel. Le propriétaire du véhicule n’a pas été blessé lors de l’incendie.

Poursuites

Un vétéran de 70 ans, du mouvement national tatar, en détention provisoire pour sa position anti-guerre

Photo : Mouvement Azatlyk

Le 5 décembre 2024, le tribunal de Bugulma (district fédéral de la Volga) a placé en détention provisoire Fazil Valiakhmetov, un historien local, âgé de 70 ans et militant du mouvement national tatar, pour avoir publié des documents anti-guerre.

Un tribunal militaire commence l’examen du dossier d’un activiste de 18 ans

Photo : Zone Solidarité

Le tribunal militaire de Moscou a commencé, à huis clos, l’examen du dossier de Gagik Grigoryan, un membre âgé de 18 ans de l’Action socialiste de gauche, originaire de Koursk (District fédéral central). Gagik avait été arrêté à l’automne 2023, accusé de préparer l’élimination d’un lieutenant-colonel de l’armée russe.

Juste après son 18e anniversaire, Grigoryan a été transféré au centre de détention provisoire de Lefortovo ; depuis, sa famille ne reçoit plus de lettres de sa part. Les compagnons de Gagik considèrent que son dossier est complètement falsifié et que les enquêteurs ainsi que les agents du centre de détention provisoire cachent délibérément des informations sur son dossier.

Un habitant de Tcheboksary condamné à une amende pour discrédit à l’encontre de l’armée

En raison d’un piquet de protestation solitaire avec une pancarte Non à la guerre !!! Not war, Anatoly Popov, de Tcheboksary (district fédéral de la Volga), a été condamné à une amende de 30.000 roubles (soit l’équivalent d’1,3 fois le salaire minimum) pour discrédit porté à l’encontre des forces armées de la Fédération de Russie. L’information sur l’amende a été publiée par OVD-Info le 9 janvier.

Une habitante de Krasnodar condamnée à quatre amendes pour des publications anti-guerre

Les forces de sécurité ont arrêté Inna Tishkina, de Krasnodar (District fédéral du Sud), pour des publications anti-guerre sur le réseau social X. L’affaire a été ouverte suite à une dénonciation de Sergueï Klimov, député du Parti Nouvelles gens. Le tribunal a reconnu Tishkina coupable de trois infractions : deux pour discrédit à l’encontre de l’armée, et une pour outrage envers les autorités. Le montant total des amendes s’élève à 120.000 roubles (soit l’équivalent de 5,3 fois le salaire minimum). Par la suite, des chaînes Telegram  associées aux forces de l’ordre ont publié une vidéo où cette femme présente ses excuses et chante l’hymne russe devant la caméra. Les condamnations n’ont été connues que le 9 janvier.

Peine avec sursis  pour un post anti-guerre, infligée à un habitant de Stavropol, victime d’un AVC

Le 9 janvier, OVD-Info a rapporté des poursuites contre Sergueï Shesterov, de Stavropol (District fédéral du Sud), pour un post anti-guerre. En novembre 2024, Sergueï a été condamné à neuf mois de prison avec sursis, accompagné de l’interdiction d’utiliser Internet pendant un an, en raison d’un  post anti-guerre. Shesterov a reconnu sa culpabilité et a demandé que son affaire soit examinée dans le cadre d’une procédure spéciale en raison d’un accident vasculaire cérébral antérieur : il n’est pas en mesure d’effectuer des travaux  imposés ni de payer l’amende qui lui a été infligée.

Nouvelle affaire contre un artiste condamné pour un portrait de Poutine en forme de pénis

Une troisième affaire pénale a été ouverte contre l’artiste Vladimir Yarotsky, de Krasnodar (District fédéral du Sud), pour fausses informations sur l’armée. La raison de cette nouvelle poursuite reste encore inconnue.

Vladimir Yarotsky est connu pour avoir publié sur VKontakte un tableau représentant un artiste réalisant un portrait de Vladimir Poutine d’après nature, mais, en fait, la toile représente un organe génital masculin. Les deux tableaux sont ornés d’un ruban de Saint-Georges en forme de nœud. Pour cette publication, une affaire pénale a été ouverte contre Yarotsky pour profanation publique de symboles de la gloire militaire. Une deuxième accusation a suivi peu après, cette fois pour apologie du terrorisme.

Un habitant de la région de l’Amour arrêté pour suspicion de préparation d’un sabotage sur le Transsibérien

Un habitant de 39 ans de la région Amour prévoyait de saboter le tronçon ferroviaire Belogorsk-Ukraine du Transsibérien. Cette section est « d’une importance capitale pour assurer la continuité du transport fédéral, l’approvisionnement militaire et logistique de l’opération militaire spéciale et des nouvelles régions de la Fédération de Russie ».

Le FSB a arrêté le suspect qui agissait soi-disant sous les ordres d’une « organisation terroriste ukrainienne ». Le rapport du service affirme que le suspect avait lui-même suggéré à son supérieur ukrainien de commettre un attentat terroriste sur ce tronçon, et qu’après le sabotage, il avait prévu de se rendre en Ukraine pour participer aux opérations militaires aux côtés des forces armées ukrainiennes.

Deux affaires pénales ont été ouvertes contre lui : l’une pour préparation d’un sabotage et l’autre pour participation aux activités d’une organisation terroriste.

Culture

Un concert en mémoire du prisonnier politique Pavel Kushnir a eu lieu à Moscou

Le 9 janvier, un concert en l’honneur de Pavel Kushnir, prisonnier politique décédé, s’est tenu secrètement dans une salle de concert de Moscou. L’objectif des organisateurs était de faire revivre et comprendre la figure et l’héritage de Pavel Kushnir, et de rassembler du monde autour des pratiques mémorielles collectives. Lors du concert, les intervenants ont évoqué les concerts et les émissions de radio de Pavel et ils ont interprété des morceaux du répertoire du pianiste.

Pavel Kushnir était pianiste, écrivain et militant politique. Il avait été arrêté pour appels publics à des activités terroristes. Il est décédé le 27 juillet 2024 des suites d’une grève de la faim alors qu’il se trouvait au centre de détention provisoire de Birobidjan (district fédéral d’Extrême-Orient).

Tous les fonds collectés lors du concert seront consacrés au développement du projet Musique sans violence, qui vient en aide aux musiciens restés en Russie.

Divers

Le suspect dans l’affaire des « fausses informations », Sergeï Nevorotin, est décédé d’un cancer

Photo : «Politzek-Info»

Sergei Nevorotin, ancien entraîneur de powerlifting, de la région de Tver (District fédéral central), avait été condamné à six ans de prison pour avoir publié des vidéos anti-guerre sur VKontakte, et ce, malgré son cancer.

Parmi les publications de Sergey figuraient des vidéos intitulées : « Boutcha après l’invasion de zombies et de mercenaires payés à cet effet, 2022 », « Destruction totale de la propagande russe », « Guerre. Jour 84. Troisième phase de la guerre : pertes catastrophiques de matériel russe, soldats transformés en chair à canon », et d’autres encore.

Après avoir passé plus de six mois en prison, Sergueï avait finalement été libéré pour raisons de santé, en septembre 2024. « Nevorotin ne pouvait pas être maintenu  dans la colonie pénitentiaire, dans des conditions normales, car il n’y avait là-bas aucun moyen de le soigner. Il y serait tout simplement mort lentement », avait déclaré son avocat.

Une habitante de la région d’Irkoutsk contrainte de s’excuser devant la caméra pour avoir offensé un soldat russe tué en Ukraine

Ksenia Kuznetsova de la ville d’Oust-Kout (District fédéral de Sibérie) a publié une vidéo sur ses réseaux sociaux dans laquelle elle commentait un panneau d’affichage Gloire aux héros de la Russie  montrant un soldat russe tué en Ukraine.

« Qu’est-ce que j’en ai à f… d’une telle gloire si c’est pour finir dans un cercueil ? Qu’est-ce que c’est que ce bordel, je ne comprends rien. Qu’est-ce qu’on fout là-bas, pu… ? « La gloire, c’est quand un homme devient adulte, construit une maison, a un fils, l’élève dignement, et quand sa femme, belle et intelligente,  fait ce qu’elle souhaite : si elle veut, elle travaille, si elle veut, elle reste à la maison, si elle veut, elle  se fait les ongles, si elle veut, elle accouche, si elle veut, elle n’a pas d’enfants », dit Kuznetsova dans sa vidéo.

Le 10 janvier, Ilya Filipenko, un blogueur d’Irkoutsk, a dénoncé Ksenia. Quelques heures après sa déclaration, Kuznetsova a été arrêtée par la police. Par la suite, les forces de l’ordre ont publié une vidéo dans laquelle la détenue présente ses excuses aux parents du défunt et à ses compagnons d’armes.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.

Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.