Chroniques de la Russie qui proteste // 26 mai – 1 juin 2025
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Kaliningrad (District fédéral du Nord-Ouest)



Le ruban vert est un symbole de résistance à la guerre.
Novossibirsk (District fédéral de Sibérie)



Le ruban vert est un symbole de résistance à la guerre.
Balachikha (District fédéral central)



Le ruban vert est un symbole de résistance à la guerre.
Piquets de protestation solitaire
Samedi de protestation à Novossibirsk (District fédéral de Sibérie) pour la liberté des prisonniers politiques anti-guerre


Le 31 mai, des militants de Novossibirsk ont tenu des piquets solitaires en soutien aux prisonniers politiques anti-guerre, dans le cadre d’un « samedi de protestation ».
Le piquet de Vladimir Soukhov était consacré à la journaliste Maria Ponomarenko, condamnée pour des « fake news » sur la guerre et récemment transférée dans une colonie pénitentiaire après une condamnation dans une affaire montée de toutes pièces concernant une prétendue attaque contre des agents du Service pénitentiaire fédéral (FSIN).
Elena Tardassova-Youn a manifesté contre le fait que quelques publications puissent vous valoir une peine équivalente à celle infligée pour un meurtre. L’inscription sur sa pancarte citait le poète Apollon Maïkov :
« Quelques familles sans talent,
Par la richesse et les courbettes,
Marchandent ma patrie.
Placées au-dessus de toutes les lois,
Formant un mur autour du tsar,
Telles des carlins — avides et méchants,
Et disant naïvement :
“Car nous seuls, sommes la Russie.” »
Sabotages
Un relais ferroviaire incendié dans la région de Toula (District fédéral central)

Le canal Telegram « ATESH » [NdlR. “feu” en langue criméotatar, groupe de résistance à l’occupation russe, actif en Crimée et en Ukraine occupées] a rapporté que des agents du mouvement avaient incendié une armoire à relais ferroviaire près de Iasnogorsk, ce qui a perturbé les communications et le contrôle du trafic des trains de marchandises, qui transportaient des armes et du matériel militaire à destination de la région de Koursk.
Poursuites
5 ans et demi de colonie pénitentiaire pour avoir crié dans un bar « Gloire à l’Ukraine ! — Gloire aux héros ! »

Konstantin Ledkov, bibliothécaire du village arctique de Krasnoïé (District fédéral du Nord-Ouest), s’était rendu dans un bar local et avait crié à plusieurs reprises :
« Gloire à l’Ukraine ! — Gloire aux héros ! », ce qui lui avait valu d’être d’abord battu par des éleveurs de rennes du village, puis dénoncé une première fois. Deux autres dénonciations avaient suivi : l’une pour avoir partagé une photo du chanteur Chaman, assortie de symboles nazis, l’autre pour avoir reposté une interview du blogueur ukrainien Volodymyr Zolkin avec le pilote russe qui avait détourné un hélicoptère Mi-8 pour rejoindre l’Ukraine.
En juin 2024, une enquête avait été ouverte contre Konstantin pour trois chefs d’accusation : récidive de discrédit à l’encontre de l’armée, appels à des activités portant atteinte à la sécurité de l’État, et récidive de propagande de symboles interdits.
Le 29 mai, Konstantin Ledkov a été condamné à 5 ans et demi de colonie pénitentiaire.
Amende pour une pancarte « Non à la guerre ! »
Une habitante de Nijni Novgorod (District fédéral de la Volga), dont le nom n’est pas divulgué à sa demande, a manifesté devant le centre commercial TRK « Nebo » avec une pancarte portant l’inscription « Non à la guerre ! »
Elle a été interpellée, puis conduite au commissariat pour l’établissement d’un procès-verbal. La militante a été condamnée à une amende de 30 000 roubles (soit 1,3 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) pour discrédit à l’encontre de l’armée russe.
Deux affaires pénales pour publication du drapeau blanc-bleu-blanc et de slogans pro-ukrainiens

Pour avoir publié des images du drapeau blanc-bleu-blanc accompagnées des slogans « Gloire à l’Ukraine » et « Gloire aux héros », Elena Chouvalova, une habitante de Nijni Novgorod (District fédéral de la Volga), a fait l’objet d’une procédure pour diffusion de symboles extrémistes. Elle a été condamnée à une amende de 2 000 roubles (soit 0,09 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie). Le 28 mai, un deuxième procès-verbal a été établi contre la militante pour discrédit à l’encontre de l’armée russe, cette fois pour des publications montrant à la fois le drapeau blanc-bleu-blanc et le drapeau ukrainien, accompagnés des messages « Laissez l’Ukraine en paix » et « Pour la paix ». La date de l’audience n’a pas encore été fixée.
Un étudiant dénonce son professeur pour son cours sur l’histoire de l’Ukraine et de la Russie

Un étudiant a dénoncé Sergueï Abramov, un maître de conférences de 62 ans à l’Université d’État des mines de l’Oural, après avoir été choqué par ses propos pendant un cours sur l’histoire de l’Ukraine et de la Russie. Le tribunal a condamné Sergueï à 10 mois de travaux d’intérêt général, pour diffusion de « fake news » à caractère militaire.
Photo : It’s my city
Deux ans de prison pour un commentaire sur la légion « Liberté de la Russie » et le « Corps des volontaires russes »
Alexandre Eremin, un habitant de la région de Volgograd (District fédéral du Sud), a été condamné à deux ans de prison pour un commentaire favorable à la légion « Liberté de la Russie » et au «Corps des volontaires russes». Il a été reconnu coupable d’appel à des activités terroristes, et s’est vu interdire la gestion de sites web pendant deux ans.
«Le ministère public surestime mon importance»
En mars 2025, Larisa Pimonova, une habitante de Saint-Pétersbourg âgée de 70 ans, a été condamnée à deux ans de prison avec sursis et interdite de toute publication sur Internet, en raison de ses publications anti-guerre.
Le parquet a fait appel auprès du tribunal de la ville pour demander une peine de prison ferme, mais le tribunal a refusé.
Lors des débats, Larisa Pimonova a déclaré : « Le ministère public surestime mon importance. D’ailleurs, ça fait un an et demi que je ne publie plus rien sur Internet ni n’écris de commentaires. »
Deux ans de travaux forcés pour un message sur les crimes de l’armée russe à Boutcha, publié dans un groupe de discussion d’immeuble
Zakhar Petoukhov, un habitant d’Obninsk (District fédéral central), a été arrêté en mars 2025 pour avoir publié un message dans un groupe de discussion d’immeuble, mentionnant les meurtres de civils à Boutcha (Ukraine). Il a été jugé pour discrédit à l’encontre de l’armée russe, diffusion de « fake news » à caractère militaire et condamné à deux ans de travaux forcés.
Un habitant de Saint-Pétersbourg arrêté pour appels au meurtre de participants à “l’opération militaire spéciale”
Un homme né en 1971 et résidant à Saint-Pétersbourg (District fédéral du Nord-Ouest) a été arrêté pour avoir publié sur VKontakte « des appels publics au meurtre de participants à l’opération militaire spéciale, ainsi que des propos proposant de faire exploser un bâtiment d’un service de sécurité à Saint-Pétersbourg ». Il est également accusé d’avoir justifié l’attentat commis par Daria Trepova en avril 2023, au cours duquel le blogueur pro-guerre Vladlen Tatarskiy avait été tué et des dizaines de personnes blessées.
Il est poursuivi pour apologie du terrorisme et appels publics à la violence, il risque jusqu’à 12 ans de prison.
Affaire pour tentative d’incendie d’une armoire à relais dans la région de Rostov (District fédéral du Sud)
Un dossier pénal a été ouvert contre un jeune homme de 19 ans, pour tentative d’incendie d’une armoire à relais à la gare de Taganrog, dans la région de Rostov.
Il est accusé de tentative d’acte terroriste.Il a été interpellé par la police des transports dans un dépôt ferroviaire. Selon le procès-verbal, on a trouvé en sa possession « des bouteilles vides d’acétone et de liquide d’allumage, des bouteilles en plastique contenant un liquide transparent et scotchées ensemble, une serviette éponge et un briquet ».
L’accusé affirme avoir été contraint par chantage et menaces de 25 ans de prison pour soutien à l’Ukraine, d’acheter ce matériel et de commettre l’incendie.
Une nouvelle procédure engagée contre la prisonnière politique Daria Kozyreva pour sa déclaration finale au tribunal

Lors de son procès pour « discrédit » à l’encontre de l’armée russe, Daria Kozyreva, une prisonnière politique anti-guerre, avait affirmé que Poutine avait déclenché la guerre, que la Russie avait envahi des territoires ukrainiens, et elle avait qualifié les soldats russes d’occupants.
Le 30 mai, un nouveau procès-verbal a été établi contre elle pour récidive de discrédit à l’encontre de l’armée.
Photo : SOTAvision
Un couple de Stavropol (District fédéral du Sud) condamné pour préparation d’attentat sur une voie ferrée
Selon l’enquête, Alekseï Touchov (51 ans) et Elena Sen (49 ans), des habitants de la ville de Mikhaïlovsk (territoire de Stavropol), avaient reçu, sur instruction du SBU (les services de sécurité ukrainiens), une bombe artisanale destinée à faire exploser des wagons-citernes transportant du carburant. Le tribunal les a reconnus coupables de haute trahison, de préparation d’un attentat terroriste, de complicité dans un acte terroriste, ainsi que de tentative d’acquisition illégale d’explosifs. Ils ont été condamnés à des peines allant de 13 à 16 ans de prison, et à 600 000 roubles d’amende chacun (soit 26,7 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie).
Huit ans de colonie éducative pour un adolescent accusé d’avoir incendié un chasseur Su‑34
Un adolescent de 17 ans originaire de Buinaksk (District fédéral du Caucase du Nord) a été condamné à 8 ans de colonie éducative pour l’incendie d’un avion de chasse Su‑34 sur une base militaire située à Tcheliabinsk (District fédéral de l’Oural). Au cours de l’enquête, il a déclaré qu’un utilisateur inconnu sur Telegram lui avait promis une récompense de 4,5 millions de roubles pour cet acte de sabotage. Le montant des dommages estimés s’élève à 62 millions de roubles.
Amende pour un poème intitulé « Aux idiots-Z »

Nikolai, 34 ans, habitant de Toula (District fédéral central), avait publié sur Telegram un poème satirique dont les personnages boivent, se disputent avec leur mère à propos de politique, partent à la guerre en Ukraine… et y meurent. Il a été reconnu coupable de discrédit à l’encontre de l’armée russe et condamné à une amende de 30 000 roubles (soit 1,3 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie).
On était chez nous,
Buvant bière et vodka,
On criait : « M’man !
On n’a rien à grignoter ! »
On a longtemps attendu maman —
Elle n’est pas rentrée.
À midi, elle était partie voter.
Fous de rage,
La bouteille achevée,
D’un commun accord
On est sortis cogner
Pourquoi, maman,
Tu nous as joué ce sale tour ?
Pourquoi, maman,
Es-tu allée voter ?
Là-bas tout est joué,
Sans nous, depuis longtemps c’est décidé.
Celui sur le bulletin,
C’est juste un dégénéré.
Lui ou un autre ?
C’est pas notre débat, non ?!
Pourvu que l’alcool
Ne manque pas !
…
Et une semaine après,
On s’est retrouvés.
Un type en uniforme
Est venu nous chercher !
Et depuis ce jour-là,
On a plus seulement de l’alcool
On est aussi tous devenus
Des héros du « SMO » ! (opération militaire spéciale)
…
Maman, maman, ma petite maman !
Ma maman chérie !
Il n’y a plus de moi
Dans ce monde aujourd’hui !
Je pensais
recevoir des sous,
tirer sur des nazis…
Alors qu’en fait,
Je me suis trompé,
Alors qu’en fait
Je ne suis qu’un abruti !
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.




