L’expulsion d’un réfugié tchétchène de la France vers la Russie : une atteinte manifeste au droit international

L’expulsion d’un réfugié tchétchène de la France vers la Russie : une atteinte manifeste au droit international

 
Vendredi 9 avril au matin, Magomed Gadaev, un réfugié tchétchène de 37 ans a été expulsé vers la Russie sur ordre du préfet de la Haute-Vienne et du Ministère de l’Intérieur. La veille il avait été arrêté en allant pointer au commissariat pour remplir les obligations de l’assignation à résidence à laquelle il était soumis. Son avocat n’a pas eu le temps de former de recours en urgence devant la CEDH ni même prendre connaissance de l’avis officiel de la décision.

Cette affaire a pris de l’ampleur en France comme en Russie et a déclenché une mobilisation d’une dizaine d’ONG de défense des droit humains : russes, françaises et internationales comme Human Rights Watch et Amnesty International. Leur communiqué commun publié le jeudi 15 avril condamne sévèrement la décision des pouvoirs publics français du point de vue du droit international.

Cette expulsion, loin d’être la première, est emblématique à plus d’un titre et au croisement de plusieurs problèmes ayant  trait aux droits fondamentaux, en Tchétchénie, en Fédération de Russie mais aussi en France.

Plusieurs articles dans la presse française (Le Monde et Marianne notamment) ont relaté l’enchainement des faits ayant conduit à l’expulsion de M. Gadaev et notamment le fait que malgré le retrait de son statut de réfugié par la Pologne, sa qualité de réfugié et donc la nécessité pour la France de le protéger au titre des conventions de Genève était maintenue. Un avis très récent de l Cour Nationale du Droit d’Asile venait d’ailleurs de confirmer cela et de considérer comme infondée l’expulsion de Gadaev vers la Russie et ce quels que soient les faits de droit commun qui pouvaient lui être reprochés et même les faits pouvant constituer une menace à l’ordre public ou à la sécurité. On trouvera ici un argumentaire élaboré par des juristes spécialisés. La CEDH a rendu le 15 avril également un avis allant dans le même sens pour une affaire similaire.

L’affaire Gadaev est en effet la dernière d’une longue série de cas semblables ou proches : depuis les attentats de 2015 et plus encore depuis l’assassinat de Samuel Paty par un jeune réfugié d’origine tchétchène, avocats et défenseurs des droits de l’homme constatent un nombre croissant de cas d’expulsion, parfois d’extradition (donc à la demande de la Fédération de Russie). De plus en plus souvent, ces expulsions font suite à des retraits de statuts de réfugiés ou à des réponses négatives de demandes de réexamen.

Sur place, en Tchétchénie, le scénario déjà maintes fois éprouvé dans de pareils cas suit son cours. Après plusieurs heures de « rétention » entre les mains du FSB à l’aéroport de Moscou,  Magomed Gadaev a tenté, en compagnie d’un avocat dépêché par les défenseurs des droits humains, de rejoindre son frère dans une ville éloignée de l’Oural où il a été rapidement retrouvé par les hommes de Ramzan Kadyrov, avec la complicité de la police et du FSB. Une infraction pénale opportunément ressortie (« détention d’armes au domicile » alors qu’il a quitté la république depuis 11 ans) leur a permis de le ramener en Tchétchénie. Après avoir cherché 48h durant son client dans les centres de détention provisoire en Tchétchénie, l’avocat l’a finalement trouvé mais a été dessaisi par M Gadaev lui-même qui aurait signé un document en ce sens. Le même soir, une vidéo diffusée en Tchétchénie filmait M Gadaev dans un escalier et lui faisait dire qu’il allait très bien et n’était en rien menacé. Les organisations des droits humains, comme le Centre des droits humains Memorial qui suivent depuis des années des dizaines de cas semblables sont persuadés que ce dessaisissement a été obtenu sous la contrainte et la menace.

Le cas de M Gadaev a d’autant plus attiré l’attention des défenseurs russes qu’il était un témoin capital dans la seule affaire pour faits de torture impliquant directement Ramzan Kadyrov qui ait fait l’objet d’une procédure pénale à l’intérieur de la Fédération de Russie.

Pour tous ceux qui cherchent à faire respecter l’état de droit en Russie et éviter que la Cour de Strasbourg soit le seul recours, très incomplet car les responsables ne sont quasiment jamais poursuivis, l’amertume est aujourd’hui très palpable, a fortiori venant d’un pays comme la France.