Oleg Orlov, citoyen d’honneur de la Ville de Paris
Hier, 13 décembre 2024 a eu lieu à l’Hôtel de Ville la cérémonie de remise à Oleg Orlov de son titre de citoyen d’honneur de Paris
À cette occasion, Oleg Orlov a prononcé un discours de remerciements dont nous publions ici la traduction en français :
C’est en prison que j’ai appris que le Conseil de Paris nous avait décerné, à Ilya Yashin et à moi-même, le titre de citoyen d’honneur de votre ville. Cette nouvelle m’a réjoui, mais a aussi été une joie pour les autres prisonniers politiques détenus dans la même prison. J’ai reçu des messages de félicitations d’autres cellules.
Peu de temps avant cela, j’avais appris que mes amis et collègues avaient organisé ici, à Paris, une petite exposition dédiée à mon procès, où plusieurs de mes dessins étaient exposés. Mes dessins sont exposés à Paris ! Et je deviens citoyen d’honneur de Paris ! Vous ne pouvez pas imaginer à quel point j’étais fier et heureux. Et cela, apparemment, se reflétait sur mon visage, ce qui a surpris les geôliers lors d’un énième contrôle. Ils m’ont demandé pourquoi j’étais si heureux. Et je leur ai parlé de l’exposition et de la décision du Conseil de Paris. Et j’ai vu l’étonnement sur leurs visages.
Après tout, Paris n’est pas seulement une ville, c’est un phénomène de la culture mondiale, y compris russe. Paris, le mythe de Paris, les rêves de Paris. Le thème de Paris est puissamment présent dans la poésie, la prose, la peinture et la musique russes.
Devenir un citoyen d’honneur de votre ville est à la fois un bonheur et un grand honneur. C’est aussi une double responsabilité. Cela devient même effrayant. De plus, ce titre me met sur un pied d’égalité avec les personnes incroyables qui ont consacré leur vie à la lutte pour la démocratie, la liberté et les droits humains.
Très vite, des gens que je connaissais et d’autres, que je ne connaissais pas, ont commencé à m’envoyer en prison des lettres contenant des poèmes de poètes russes sur Paris.
Permettez-moi de citer un court poème de Maïakovski.
Le voici :
Adieu
Pour le taxi
le dernier franc est changé.
– A quelle heure le train pour Marseille ?
Paris
s’enfuit,
m’accompagnant
de toute
son impossible beauté.
Monte
aux yeux,
jus de larmes
que soutire la séparation,
sentimentalité,
serre-moi le cœur et le cou !
Je voudrais
vivre
et mourir
à Paris
si n’existait pas
ce pays:
Moscou *
Ceci correspond tout à fait à mon état d’esprit actuel. Je pense que de nombreux autres participants à cette nouvelle vague d’émigration russe ressentent la même chose.
Malgré la beauté et la liberté de l’Europe, j’ai vraiment envie de rentrer chez moi, en Russie.
Et j’espère que nous y retournerons pour construire une nouvelle et belle Russie du futur.
Mais c’est l’avenir..
Et maintenant, mon pays mène une guerre d’agression terrible, cruelle et sanglante contre l’Ukraine. Et nous, tous ceux qui aiment la Russie, devons, sommes obligés de lutter contre cette agression, de souhaiter la défaite du régime Poutine dans cette guerre.
Et se souvenir toujours des prisonniers politiques, tant en Russie qu’en Biélorussie. Beaucoup d’entre eux prisonniers politiques russes se sont retrouvés en captivité précisément à cause des protestations contre la guerre en Ukraine et de leur opposition à cette agression.
Nous devons veiller à ce que les prisonniers politiques soient inclus dans l’amnistie qui sera probablement accordée en Russie et en Biélorussie au printemps prochain, à l’occasion du 80e anniversaire de la victoire sur le nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale.
Faisons tout ce qui est possible pour sauver les prisonniers politiques russes et biélorusses dont la vie et la santé sont particulièrement menacées, en utilisant à cet effet les processus d’échange. Je sais que l’échange qui a eu lieu récemment a été l’objet de controverses en Europe, et je comprends pourquoi. Et pourtant, j’espère vraiment que de la même manière, il sera possible de sauver des cachots de Poutine et de Loukachenko ceux qui n’y survivront peut-être pas.
Je comprends que la répression politique dans ces pays ne prendra fin que lorsque ces régimes cesseront d’exister. J’espère vivre et assister à ces changements.
En attendant, aidons les prisonniers politiques en profitant de toutes les opportunités qui s’offrent à nous.
Je comprends que le Conseil de Paris, en nous conférant ce titre honorifique ainsi qu’à Ilya Yashin, a exprimé sa solidarité avec tous les prisonniers politiques russes. Merci Paris pour cette solidarité ! Merci pour l’hospitalité qu’il montre aux réfugiés ukrainiens et aux émigrés russes. La grande tradition française consistant à offrir refuge et asile aux victimes des dictatures et aux combattants de la liberté à travers le monde date de près de 250 ans, et j’espère que la France ne s’écartera jamais de cette tradition.
Je voudrais remercier tout particulièrement Paris et la France pour l’aide et le soutien apportés à mes collègues de Memorial, contraints de quitter la Russie après le déclenchement de la guerre à grande échelle.
Pour finir, je ne peux m’empêcher de rappeler qu’il y a 12 ans, mon ami, le militant biélorusse des droits humains Ales Bialiatski, lauréat du prix Nobel de la paix 2022, est devenu citoyen d’honneur de cette belle ville. Aujourd’hui, Ales est en prison dans des conditions difficiles. Sa santé est mise à mal. Si nous ne parvenons pas, ensemble, à le faire libérer, il ne survivra peut-être pas à la longue peine auquel il a été condamné.
* traduction de Claude Frioux