Un nouveau déni de justice

Un nouveau déni de justice

La Cour Suprême de Carélie vient de récidiver en cassant, le 29 septembre 2020, le second jugement du Tribunal de Petrozavodsk, en date du 22 juillet 2020, qui avait condamné Iouri Dmitriev à une peine de 3 ans et demie de réclusion criminelle pour « actes de violence de caractère sexuel à l’encontre d’une personne mineure de moins de 14 ans » (Art 132, § 4 du CP de la Fédération de Russie), et en aggravant, en appel, la peine infligée à l’historien et président de la branche carélienne de l’ONG Memorial International, portée à 13 ans de réclusion criminelle dans une colonie pénitentiaire à régime sévère. 

Mémorial International avait, dès le prononcé du jugement du 22 juillet 2020, dénoncé ce verdict inique, fondé sur un chef d’accusation présenté, en dehors de l’instruction, à la suite de l’enregistrement d’extraits d’un « interrogatoire » mené par des représentants de la police et du Parquet de la fille adoptive de Iouri Dmitriev, alors âgée de treize ans, coupée de tout contact, depuis plus de dix-huit mois, avec les membres de sa famille adoptive et isolée, sous la tutelle de sa grand-mère, dans un village reculé de Carélie, à plus de 600 kms de Petrozavodsk.

En juin 2018, cette même Cour Suprême, saisie en appel par le Parquet, avait déjà cassé un premier jugement du Tribunal de Petrozavodsk qui avait relaxé  – fait exceptionnel dans les annales judiciaires russes pour ce type d’affaire – Iouri Dmitriev des deux chefs d’accusation « d’utilisation d’un mineur dans le but de fabriquer des matériaux pornographiques » ( Art 242, §2 du CP) et « d’actes de débauche sans violence par une personne majeure sur un mineur » ( Art.135 du CP).

Iouri Dmitriev est incarcéré depuis décembre 2016. Dès le début de cette affaire, de très nombreux éléments pointent une grossière fabrication visant à salir l’honneur d’un chercheur reconnu nationalement et internationalement pour son travail historique irréprochable sur les répressions staliniennes qui a, en outre, découvert l’un des plus importants charniers de la Grande Terreur de 1937-1938, Sandarmokh, devenu depuis deux décennies un lieu majeur de mémoire des répressions staliniennes, et à l’écarter durablement non seulement de son travail mais aussi de toute vie sociale en l’incarcérant pour de nombreuses années.

Parmi ces éléments, citons:

  • le fait que la procédure initiale engagée fin 2016 à l’encontre de Iouri Dmitriev l’a été à la suite d’une lettre anonyme et d’une « visite » de son ordinateur personnel alors qu’il s’était absenté de son domicile ;
  • le fait que le nouveau chef d’accusation retenu contre Iouri Dmitriev après sa relaxe en avril 2018 est apparu inopinément, en dehors de toute procédure, à la suite de pressions exercées par des représentants de la police et du Parquet sur sa fille adoptive, mineure.

 En outre, de très nombreuses irrégularités de procédure  ont été constatées au cours de la session d’appel de la Cour Suprême de Carélie qui a abouti au verdict du 29 septembre 2020. Parmi ces irrégularités, citons :

  • le fait que la demande de l’avocat de Iouri Dmitriev, malade, de repousser de quelques jours la session d’appel, a été rejetée par la Cour Suprême, qui a transmis le dossier de la défense de l’accusé à un avocat commis d’office, lequel n’a eu que 48 heures pour prendre connaissance du dossier ;
  • le fait que Iouri Dmitriev n’a pas, au prétexte de mesures sanitaires liées à la pandémie de Covid-19, été autorisé à être présent lors de la session d’appel. Il a été formellement autorisé à intervenir par moyens vidéo, mais ceux-ci étant défectueux, il n’a pas pu prendre la parole.

Plus généralement, depuis le début de cette affaire, la défense de Iouri Dmitriev a été handicapée par le fait que les deux procès et les appels se sont déroulés dans les conditions du huis clos imposées par les chefs d’accusation (crimes et délits de nature sexuelle sur personne mineure). Des chefs d’accusation régulièrement utilisés dans ce type d’affaire visant à éliminer des personnes gênantes pour le Pouvoir.

Mémorial France condamne fermement le verdict inique et scandaleux du 29 septembre 2020 qui fait planer une menace mortelle sur Iouri Dmitriev, aujourd’hui âgé de 64 ans et dont la santé s’est aggravée au cours des quatre années qu’il a déjà passées en prison dans l’attente de ces deux jugements.

Mémorial France condamne fermement  ce déni de justice dénoncé par Mémorial International dans son communiqué du 29 septembre 2020. Comme Mémorial International, Mémorial France considère Iouri Dmitriev comme un détenu politique.

Mémorial France continuera, aux côtés de Mémorial International, le combat jusqu’à l’acquittement de Iouri Dmitriev et sa libération inconditionnelle.