Voix de guerre #31 : Jouer Bach au son des explosions. L’accordéoniste Ihor Zavadskyi
Chaque jour depuis le début de la guerre, cet accordéoniste ukrainien joue des chansons et les met en ligne sur sa chaîne pour soutenir les gens moralement. Les morceaux qu’il a joués pendant la guerre ont servi de base à un nouvel album d’une durée record.
La première chose que j’ai faite lorsque j’ai appris qu’une agression à grande échelle avait commencé en Ukraine a été de trouver une œuvre qui correspondrait à mes sentiments. Ce fut « Echo », de Bach. Lorsque, le 1er mars, j’ai enregistré ce morceau dans l’entrée de mon immeuble, il y avait des explosions dehors. La musique qui vient du cœur et de l’âme est une lumière. Et chaque morceau que je joue est une petite lumière. Alors j’ai joué un nouveau morceau chaque jour, pendant quatre mois. En réponse aux forces du mal, aux forces des ténèbres. Et j’ai diffusé cet « écho » via YouTube, via Facebook. J’ai écrit des posts tous les jours : premier jour de la guerre, deuxième jour de la guerre. Je n’ai pas manqué un seul jour.
Mon front musical tient bon. Un album de musique est né de cet « écho » dans mon cœur, de ces événements. C’est l’album « Echo ». Il bat tous les records.
Je pense qu’il n’existe aucun autre album au monde qui dure 9h30. Il y a ici l’équivalent de 3 CD. C’est mon 16e album, tout tient sur deux DVD. Et comme le bien doit être accompagné de poings, il y a la photo d’un poing sur la pochette. L’album contient 123 morceaux, que j’ai enregistrés chaque jour pendant quatre mois.
Il est important pour un musicien, comme pour tout le monde, d’avoir son front propre. Pour nous, c’est un front musical. Chacun sur son front doit faire en sorte que notre victoire se rapproche, et ensemble, nous vaincrons. J’ai préparé ce nouveau morceau pour l’ouverture de ma saison de concerts à la Maison des acteurs, au 7, Yaroslavov Val. Le 30 septembre, j’ouvrirai ma saison de concerts. Je voulais jouer quatre ou cinq nouveaux morceaux et de nombreux autres de mes albums de différentes années. Aujourd’hui, j’ai décidé de faire un cadeau à mes spectateurs sur YouTube. Je vais vous dire deux mots sur ce morceau « Souvenirs ».
Il existe une théorie scientifique selon laquelle, lorsqu’une personne est déclarée morte, lorsqu’il n’y a plus de pouls, plus de battements de cœur, le cerveau vit encore pendant un certain temps. Au moins 100 secondes.
J’ai donc décidé d’en créer une image musicale, d’imaginer ce qu’une personne peut ressentir lorsque tout le monde pense qu’elle est déjà morte, alors que toute sa vie défile devant elle pendant ces 100 secondes. Ce morceau, que je vais vous jouer maintenant, dure environ 100 secondes. Des souvenirs depuis le premier battement de cœur jusqu’au dernier.
Peut-être que la tragédie à Tchernihiv et sur le front a eu cet effet sur moi, et c’est pourquoi je vois cette image aujourd’hui. J’imagine comment les amis de nos combattants mortellement blessés doivent constater leur mort. Ils peuvent être en train de courir ou être dans une tranchée. Et leur pouls bat très vite, à cause de la tension, du stress, de la guerre, du bruit des bombes, de ceux qui sont touchés, des nombreuses morts. Moi aussi j’aurais ce pouls, le cœur qui bat à un rythme accéléré. J’ai créé une partie méditative qui apparaît pendant ces 100 secondes de temps à autre, et sur laquelle est construite presque toute la base de cette œuvre. Il s’agit d’une petite séquence musicale qui évoque les souvenirs et les événements les plus marquants de la vie d’une personne.
Ce témoignage fait partie de « Voix de guerre », un projet associant Memorial France, Memorial Italie, Mémorial République Tchèque, Mémorial Pologne et Mémorial Allemagne autour du Groupe de défense des droits de l’homme de Kharkiv (Memorial Ukraine)
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