Voix de guerre #41, Natalia et Irina Ostapovska : « Un missile a tué mon père. Cela ne s’effacera jamais ni de ma mémoire ni de mon cœur »

Voix de guerre #41, Natalia et Irina Ostapovska : « Un missile a tué mon père. Cela ne s’effacera jamais ni de ma mémoire ni de mon cœur »

Natalia et Irina Ostapovska sont des habitantes du village de Krasna Girka. Sans retenir leurs larmes, la mère et la fille racontent leur histoire : sous leurs yeux, un missile a détruit leur maison, leurs animaux et l’être qui leur était le plus cher, leur père et mari. « En mémoire de ceux qui sont morts, il ne faut pas baisser les bras, mais au contraire continuer vers la victoire », disent les deux femmes femmes, malgré le chagrin qu’elles n’ont pas encore surmonté.


Ce qui a fait notre malheur s’est déroulé sous nos yeux. Malheureusement, personne ne sait pourquoi cela s’est passé comme ça. Pourquoi le malheur est-il arrivé dans chaque maison ? Tout s’est passé en un instant. En quelques secondes… Ce missile est arrivé très vite. Il a frappé mon père. Il l’a déchiqueté. L’onde de choc a brûlé la maison, et tout ce qu’il avait construit. Nos animaux aussi ont brûlé : les oies, les poules, les cochons, les lapins. Nous avions beaucoup d’animaux. Les machines ont brûlé. Lui, le pauvre, s’est retrouvé au fond du cratère. Le pire, c’est qu’il n’est plus là. Mais il est toujours avec nous, tout près. Nous nous disons qu’il nous a protégées : nous sommes saines et sauves. Mais c’est si triste qu’il ne soit plus là.

Ce jour-là, nous étions à la maison, nous prenions notre petit-déjeuner. Nous sommes sortis tous ensemble de la maison. Ma sœur, ma nièce et mon beau-frère sont allés à la cave, mon père est allé vers la grange voir les animaux. Je n’étais pas loin de lui. Mais quand j’ai couru vers lui, il n’était plus dans le cratère : il ne restait que des vêtements et des morceaux de corps. Ses mains, ses pieds. Cela ne s’effacera jamais ni de ma mémoire ni de mon cœur. Tout restera. Bien sûr, nous nous le rappelons souvent. Avec douleur. Nous nous souvenons de lui. Nous ne nous sommes pas remises du choc. Mais nous travaillons, nous ne lâchons rien. Nous faisons ce que nous pouvons. Parfois, nous sourions et nous rappelons les bons moments.

Notre village a été occupé. Nous sommes reconnaissants à Natalia et Viatcheslav Sidorenko qui, après la destruction de notre maison, nous ont hébergés, aidés, nourris, donné des vêtements. Ils nous ont aidés à enterrer mon père, ils lui ont fabriqué un cercueil. Nous leur en sommes très reconnaissants. Ils continuent à aider tout le monde aujourd’hui, comme ils nous ont aidés à ce moment-là. Ils nous ont fait sortir de la zone occupée.

Natalia et Irina Ostapovsky, habitantes du village de Krasna Girka

Ces événements ont eu lieu le 27 février 2022. Et nous sommes partis le 4 mars 2022. Le 3 mars, mon père a été enterré au cimetière. Natalia Sidorenko et son mari, Viatcheslav, nous ont donné une voiture. Bien sûr, c’était très effrayant, car les Russes tiraient et leurs avions volaient. Mais malgré tout, ils nous ont aidés à bien faire les choses. Ils sont partis le 4 mars et nous avons pu partir, nous aussi. Nous ne savions pas où nous allions, ni même pourquoi partir… Le choc, la perte… Nous ne comprenions rien. Mais grâce à eux, nous sommes partis.

Nous sommes revenues chez nous le 16 avril 2022. Nous sommes allées rechercher le cadavre de mon père à la morgue parce qu’il y avait eu une exhumation. Nous sommes venues par Makariv. C’était horrible. Sur la route, nous n’avions pas vu toutes les maisons détruites ici. Mais là, nous avons vu des voitures incendiées. Il est clair que c’était le fait de missiles ou de bombes à dispersion. Il y avait des mines, des fils-pièges. Lorsque nous sommes entrées dans la maison, nous avons vu une image complètement différente de celle que nous avions vue en état de choc. De nouveau, on s’est rappelé tout cela. Nous n’avons pas déblayé le terrain tout de suite, parce qu’on pensait qu’il y avait peut-être des mines avec des fils-pièges, mais Dieu merci, ce n’était pas le cas. Ni fils-pièges, ni mines dans notre jardin. Donc après avoir pris un peu de repos, mentalement et physiquement, nous avons commencé à nettoyer le terrain. Petit à petit, nous avons pu nettoyer la cour. Merci à tous les gens qui nous ont aidés. Des parents et des amis de mon père. Et on a pu tout nettoyer.

Nous espérions pouvoir reconstruire la maison incendiée. Mais malheureusement, les murs ont commencé à s’effondrer. Mon père avait fait quelques travaux avant le Nouvel an. Il avait construit un nouveau poêle. Malheureusement, tout s’est effondré. Nous avons dû le démonter. Il ne nous reste plus que les fondations. Mais elles aussi ont commencé à s’effondrer. Quand je regarde ces ruines, je n’ai ni mots, ni émotions. Nous espérons que les agresseurs russes seront punis pour cela et qu’il y aura réparation. Nous espérons que la victoire sera bientôt là.

Nous avons reconstruit la cuisine d’été, qui avait été épargnée. S’ils avaient bombardé plus longtemps, elle aurait disparu aussi. On nous a donné des préfabriqués. Il n’y avait pas d’électricité, il faisait froid. Mais nous avons trouvé du bois pour allumer notre fourneau.

Nous ne baissons pas les bras, nous n’abandonnons pas. Les Ukrainiens sont une nation forte. L’essentiel est de ne pas abandonner. Comme on dit, la vie est devant nous. Quoiqu’il arrive, on garde toujours en mémoire ses parents et ses amis. Nos proches disparus nous voient, prennent soin de nous, nous aident. En souvenir d’eux, nous ne pouvons pas abandonner, et nous devons aller jusqu’à la victoire.


Ce témoignage fait partie de « Voix de guerre », un projet associant Memorial France, Memorial Italie, Mémorial République Tchèque, Mémorial Pologne et Mémorial Allemagne autour du Groupe de défense des droits de l’homme de Kharkiv (Memorial Ukraine)

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