Voix de guerre #43, Mikhailo Pourychev : « Au checkpoint, j’ai dit aux Russes que j’allais à Azovstal »

Voix de guerre #43, Mikhailo Pourychev : « Au checkpoint, j’ai dit aux Russes que j’allais à Azovstal »

Ce volontaire superstar de Marioupol raconte comment il s’est rendu à plusieurs reprises dans la ville assiégée, sous les bombardements incessants de l’armée russe.

https://youtu.be/21FCXsEwNRY

Mikhaïlo Pourychev, volontaire très populaire sur Instagram, a réussi à emmener sa famille dans l’ouest de l’Ukraine au début de l’invasion. Mais quelques jours plus tard, il a décidé de revenir volontairement dans la ville déjà encerclée, que l’aviation et l’artillerie russes étaient en train de rayer de la surface de la terre.

Au cours des mois suivants, Mikhaïlo s’est rendu sept fois à Marioupol pour transporter de l’aide humanitaire et évacuer des civils et des enfants, avant d’être capturé par le FSB.


« Lorsque je suis revenu à Marioupol la première fois, on m’a dit : tu es fou ! »

Jusqu’en 2022, Mikhaïlo n’avait pas beaucoup d’expérience en matière de volontariat : il organisait des événements pour les jeunes à Marioupol et enseignait les bases de l’informatique à des orphelins. Le 23 février 2022, il venait d’acheter une nouvelle Mercedes Classe CLS et il rentrait chez lui dans sa ville natale. Dans nuit, il a reçu un appel l’informant que la guerre avait éclaté.

« J’ai dit : « Quelle guerre ? Ils vont tirer deux ou trois fois et ça sera fini ». Évidemment, je ne pouvais pas imaginer à l’époque ce qui allait se passer, comment les événements allaient se dérouler. Mais deux jours plus tard, je voyais ce qui était en train de se passer, alors je suis allé chercher la famille de mon frère, sa femme enceinte, pour les évacuer », se souvient Mikhaïlo.

« La famille de mon frère se trouvait à Volnovakha, une ville qui a été l’une des premières à recevoir les frappes russes. C’est ce trajet jusqu’à Volnovakha qui m’a fait comprendre pour la première fois ce qu’est vraiment la guerre », se souvient Mikhaïlo. Il a dû évacuer la femme et les enfants de son frère sous les bombardements au moment même de l’assaut, alors que les occupants tentaient de s’emparer rapidement de la ville. Il a dû évacuer la femme enceinte de son frère et ses enfants vers la région des Carpates, où il a également évacué sa propre famille.

« Au bout de quelque temps, j’ai acheté un bus et j’ai dit que je retournais à Marioupol. On m’a dit que j’étais fou, que la ville était encerclée, que je n’avais aucune chance d’y accéder. Mais j’ai acheté des produits de première nécessité, et de l’insuline. Des gens ont contribué en me donnant de la nourriture et des médicaments. Et je suis parti ».

Mikhaïlo Pourychev, source : Mrpl.City

Par un miracle absolu, l’homme a réussi à regagner la ville le 8 mars 2022, et à livrer notamment de l’insuline à l’hôpital local. L’homme plaisante en disant que son acte était plus déraisonnable qu’héroïque.

« Pour être honnête, je ne comprenais pas grand chose à l’époque. Je ne savais pas ce qu’étaient les mines. Je ne savais pas ce qu’était une frappe aérienne. Disons que j’avais mon idée, grosso modo, d’après les films que j’avais vus. Mais je n’en avais aucune expérience. Honnêtement, si j’en avais eu alors les connaissances que j’ai aujourd’hui, il m’aurait fallu probablement beaucoup plus de détermination pour recommencer cela », déclare le volontaire.

L’homme se souvient de sa première rencontre avec les militaires russes, après le dernier checkpoint ukrainien à Orikhiv. Il raconte que les militaires ukrainiens étaient persuadés que les occupants allaient le tuer, sans même chercher à connaître le but et les raisons de son voyage.

« À chaque checkpoint, il y avait une histoire différente, une conversation différente. Il faut aussi comprendre qu’à cette époque, beaucoup d’entre eux ne comprenaient pas non plus ce qui se passait ni ce qu’ils devaient faire. Je n’étais clairement pas un militaire, et je ne les intéressais pas personnellement. Certains m’ont juste pris pour un fou. À l’un des checkpoints, j’ai vu les canons russes frapper la ville, et ils m’ont dit : « Tu peux y aller, mais tu seras forcément tué là-bas, soit par nous, soit par les Khokhly [mot péjoratif par lequel les Russes appellent les Ukrainiens] »

L’homme ne cache pas non plus que sa bonne connaissance du terrain l’a aidé : il a su éviter les zones particulièrement dangereuses ou les zones de combat.

Une tentative audacieuse pour évacuer des enfants d’une ville encerclée

Chaque voyage suivant a montré que la situation dans la ville et les besoins de la population avaient depuis longtemps dépassé les limites de l’acceptable. En avril 2022, les derniers défenseurs de Marioupol et les habitants se sont réfugiés à Azovstal, l’une des plus grandes usines métallurgiques d’Europe. Le système d’abris souterrains à plusieurs niveaux laissait espérer au moins une certaine protection contre les bombardements russes. Dans le même temps, les Russes ont encerclé l’usine et intensifié les bombardements de son territoire, larguant des centaines de tonnes d’explosifs sur Azovstal.

La communauté internationale et les autorités ukrainiennes ont tenté de sauver les civils restés dans les sous-sols et les bunkers de l’usine. Parmi eux se trouvaient des enfants. La partie russe accusait les militaires ukrainiens de ne pas permettre l’organisation de l’évacuation des civils d’Azovstal, prétendant qu’ils les utilisaient comme boucliers humains. Mikhaïlo Pourychev a alors décidé d’entreprendre l’opération la plus désespérée qui soit.

Mikhaïlo Pourychev, source : réseaux sociaux de Mikhaïlo Pourychev

« C’était le premier mai. J’avais passé tous les checkpoints, une fois de plus. Ils avaient fini par me connaître, d’une manière ou d’une autre. Les Russes étaient surtout intéressés par les cargaisons militaires (munitions, armes). Évidemment, je n’avais rien de tel. Je suis arrivé au dernier checkpoint russe avant la ville et j’ai dit : « Je vais chercher les enfants d’Azovstal ». Je savais que j’allais être arrêté », se souvient Mikhaïlo.

Comme on pouvait s’y attendre, les occupants n’ont pas fermé les yeux sur les plans de Pourychev. L’homme a été arrêté par le FSB et maintenu en détention pendant plusieurs jours. Mikhaïlo affirme que cela faisait partie de son plan. Il a proposé aux Russes de le laisser entrer à Azovstal avec un groupe de journalistes internationaux qui filmeraient la tentative de sauvetage des enfants.

« Je leur ai dit : « si, comme vous le dites, Azov ou quelqu’un d’autre empêche que les enfants soient évacués, nous le documenterons et ça sera clair pour tout le monde ». Je savais bien sûr que la réalité était différente. Lors des premiers interrogatoires, ils se sont juste moqués de moi. Mais ensuite, ils se sont mis à me demander : « Comment tu vois ça ? Quel est ton plan ? »

Pendant l’arrestation illégale de Mikhaïlo, les Russes ont autorisé l’évacuation des civils avec l’aide de la Croix-Rouge. Bien entendu, les militaires ukrainiens n’ont pas empêché l’évacuation, ce qui a prouvé une fois de plus les mensonges de l’occupant. Pourychev a été libéré, mais depuis lors, tout voyage humanitaire ou autre à Marioupol est devenu totalement impossible. Les Russes ont pris le contrôle de la ville, le nombre de checkpoints a considérablement augmenté et toute communication avec les territoires non occupés de l’Ukraine a été coupée.

Interview : Serhiy Okounev.


Ce témoignage fait partie de « Voix de guerre », un projet associant Memorial France, Memorial Italie, Mémorial République Tchèque, Mémorial Pologne et Mémorial Allemagne autour du Groupe de défense des droits de l’homme de Kharkiv (Memorial Ukraine)

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