Chronique de la Russie qui proteste // 13 – 19 janvier 2025

Chronique de la Russie qui proteste // 13 – 19 janvier 2025

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La ville s’exprime

Tomsk (Sibérie Occidentale), Saint-Pétersbourg, Perm (Sibérie Occidentale) et Moscou

Moscou

Le ruban vert est un symbole de résistance à la guerre.

Samara (région de la Moyenne Volga)

Le ruban vert est un symbole de résistance à la guerre.

Novissibirsk (Sibérie Occidentale)

Le ruban vert est un symbole de résistance à la guerre.

Poursuites

Un habitant de Iougra condamné à une amende pour avoir critiqué l’armée et Poutine

Photo : tirée de la page VKontakte d’Evgeny Angelov.

Un employé de Surgutneftegaz, Evgueni Angelov, âgé de 40 ans, a envoyé  à un collègue sur Viber une vidéo contenant des critiques sur Poutine et les actions de l’armée russe . 

 On a appris, le 13 janvier, que le tribunal avait reconnu Evgueni coupable de discrédit à l’encontre de l’armée et avait ratifié une amende de 30 000 roubles (soit l’équivalent d’1,34 fois le salaire minimum).

Angelov estime que l’affaire a été engagée suite à la dénonciation d’un collègue, en guise de vengeance après qu’il se soit plaint de ses retards.  

Assignation à résidence pour des publications sur la centrale hydroélectrique de Kakhovska et Kramatorsk

Photo : « Sever. Realities »

Pour ses publications sur la destruction de la centrale hydroélectrique de Kakhovska et la frappe sur Kramatorsk, Irina Bystrova, directrice d’une école d’art et militante, a été placée en résidence surveillée jusqu’au 5 février. Elle est accusée de diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe.

Une infirmière condamnée à une amende pour avoir qualifié les combattants du RDC de “beaux gosses”

Photo: SOTAvision

Elena Nikolaenkova, une infirmière de 53 ans, a qualifié les combattants du Corps des volontaires russes (RDC) [NdR. Organisation paramilitaire combattant aux côtés de l’armée ukrainienne] de « beaux gosses » dans un groupe de discussion Telegram dédié aux fans de Masyanya, [NdR. une série animée russe]. Cette phrase faisait référence à une actualité sur l’avancée des membres de cette formation en territoire russe.

Depuis août 2024, Elena était en centre de détention provisoire (SIZO) après avoir été accusée de  » justification du terrorisme « .  

Le 13 janvier, le tribunal militaire de la flotte de la Baltique l’a condamnée à une amende de 60.000 roubles (soit 2,68 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) et a ordonné sa libération immédiate en salle d’audience.  

Cinq ans de colonie pénitentiaire pour des propos sur “Azov” et la diffusion de vidéos ukrainiennes 

Vladimir Konovalov, déjà condamné à douze ans de prison, a déclaré lors d’une conversation avec d’autres détenus : « Les soldats d’Azov ont raison de tuer et de torturer les prisonniers de guerre. »

En outre, avec l’aide de son camarade Roman Morozov, il a diffusé dans la colonie pénitentiaire deux vidéos issues de chaînes d’information et de propagande ukrainiennes sur l’invasion russe en Ukraine.  

Pour ces faits, il a été reconnu coupable “d’apologie du terrorisme » et de « diffusion de fausses informations » motivées par la haine politique, en groupe organisé. Il a été condamné à cinq ans de prison, ainsi qu’à une interdiction d’administrer des sites et des chaînes en ligne pendant trois ans.  

En tenant compte du total de ses condamnations, Vladimir devra purger encore sept ans en colonie pénitentiaire à régime sévère et payer une amende de 20.000 roubles (soit 0,89 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie).  

À Novossibirsk, une condamnation pour un “faux” incendie

Au printemps 2023, quatre habitants de Novossibirsk, Saveliy Ryapolov, Pavel Solovyov, Viktor Skorobogatov et Kirill Veselov, ont incendié une armoire à relais sur le tronçon Seïatel-Berdsk, une station de base de téléphonie mobile et un avion Su-24.  

Les autorités ont nié le fait que l’avion ait été incendié.  

Le 13 janvier 2024, la cour régionale de Novossibirsk a rendu son verdict, condamnant Ryapolov à sept ans, Solovyov à sept ans et demi, Skorobogatov à cinq ans et Veselov à six ans et demi de colonie pénitentiaire à régime sévère pour sabotage, estimant que leurs actions visaient à porter atteinte à la sécurité économique et à la capacité de défense de la Russie.  

Une militante des droits humains condamnée à deux ans de prison avec sursis pour avoir partagé une vidéo anti-guerre

Photo: capture d’écran d’une vidéo de RusNews

Natalia Gousseva, une militante des droits humains originaire de Zlatoust, a été condamnée à deux ans de prison avec sursis pour avoir partagé une vidéo anti-guerre sur le réseau social Odnoklassniki.  

Elle avait accompagné son post du commentaire suivant : « Poutine doit immédiatement retirer ses troupes d’Ukraine, cesser de tuer le peuple et l’État ukrainiens, ainsi que d’assassiner son propre peuple et de mettre en danger la souveraineté même de la Russie ! »

Natalia Gousseva a été condamnée à deux ans de prison avec sursis. 

Douze et treize ans de prison pour avoir incendié un bureau de recrutement militaire à Goryatchi Klioutch

Photo : SOTAvision

Boris Goncharenko et Bogdan Abdurakhmanov ont été reconnus coupables de l’incendie d’un bureau de recrutement militaire à Goryatchi Klioutch (région de Krasnodar) en octobre 2022.  

Selon l’enquête, ils auraient lancé quatre cocktails Molotov contre la porte du bâtiment, provoquant son embrasement qui a été éteint par une employée. Leur acte aurait été motivé par leur « opposition à l’opération militaire spéciale en Ukraine et à la mobilisation partielle en Russie ».  

Le tribunal a condamné Abdurakhmanov à treize ans de prison pour terrorisme et Goncharenko à douze ans pour complicité d’activité terroriste.  

Les quatre ans et demi du début de leur peine seront purgés en prison, suivis d’un transfert en colonie pénitentiaire à régime sévère.  

Un agent de sécurité jugé à Saint-Petersbourg pour avoir repartagé un post anti-guerre

Alexandre Glouchkine est jugé pour avoir publié sur VKontakte des posts liés aux événements survenus dans la ville ukrainienne de Boutcha.  

Le témoin à charge principal s’avère être Olga Savelyeva, employée d’une école, qui a découvert ces publications.  

Lors du procès, l’épouse de l’accusé, Ekaterina, a témoigné en expliquant que son mari souffre de problèmes cardiovasculaires.  

Un jeune homme de 20 ans, originaire du Kouban, condamné à treize ans de prison pour avoir incendié une bannière pro-guerre

Photo: «Zones de solidarité»

Leon Darsht, un jeune homme de 18 ans originaire du Kouban, a été arrêté en 2022 pour avoir incendié une bannière pro-guerre portant l’inscription « Nous n’abandonnons pas les nôtres ». Initialement accusé de dégradation de biens, plusieurs autres charges ont ensuite été ajoutées, notamment des accusations de sabotage et de préparation d’un attentat terroriste.  

Selon les forces de l’ordre, Darsht avait incendié un transformateur électrique sur une voie ferrée dans le but de « nuire à la sécurité économique ». Il avait également mis le feu à un magasin et à une maison où vivaient des migrants, motivé par « une haine à caractère national ». De plus, les autorités affirment qu’il projetait de faire exploser un commissariat de police et avait tenté d’acheter un engin explosif sur Internet. Il aurait ainsi cherché à interrompre les livraisons de matériel militaire et à manifester son opposition à la guerre.  

Le 17 janvier, Leon Darsht a été condamné à treize ans de prison et à une amende de 400.000 roubles (soit 17,83 fois l’équivalent du salaire minimum ).

Un étudiant de 18 ans de Lipetsk écopant d’une amende pour des graffitis anti-guerre

Leonid Volobouev, un étudiant de Lipetsk, a été condamné à quatre amendes de 15.000 roubles (soit 0,67 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie, chacune) pour avoir inscrit « НЕТ ВОЙНЕ » (« Non à la guerre ») à la peinture en aérosol sur l’asphalte et les murs en août 2024.  

Le tribunal a pris en compte son âge, le fait qu’il suive des études payantes, ses bonnes références et son état de santé.  

Les objets saisis lui ont été partiellement restitués, mais la bombe de peinture a été détruite.

Un journaliste de Carélie condamné à une amende pour des posts anti-guerre

Le journaliste carélien Denis Pogrebnoï a été condamné à une amende de 30.000 roubles (soit 1,34 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) pour avoir publié sur VKontakte des poèmes et messages anti-guerre. Il a été reconnu coupable de discrédit à l’encontre de de l’armée russe.  

Parmi ses publications figurait un post en soutien à sa collègue Natalia Sevets-Yermolina, reconnue comme « agent de l’étranger » par les autorités. Dans ce message, Pogrebnoï affirmait que ce statut représentait la liberté de pensée et non la trahison.

Un ingénieur de Sotchi condamné à cinq ans et demi de prison pour des posts anti-guerre

Alexeï Chouss, un ingénieur de Sotchi, a été condamné à cinq ans et six mois de colonie pénitentiaire pour avoir publié des messages anti-guerre. Il a été reconnu coupable de diffusion de fausses informations sur l’armée russe, motivées par la haine. 

Dans sa dernière déclaration au tribunal, Chouss a qualifié son procès de tentative de répression pour opinions dissidentes et liberté de pensée.

Accusation aggravée contre Solim Kamina pour un post du projet Je veux vivre

Solim Kamina, autrefois connu pour avoir joué le jeune Pouchkine dans son enfance et avoir participé à la comédie musicale Le Pays des Merveilles a publié sur VKontakte une image contenant des informations sur le projet ukrainien Je veux vivre.  

Il fait désormais face à une nouvelle accusation d’incitation à des activités contre la sécurité de l’État.  

Le projet Je veux vivre encourage les soldats russes à se rendre aux forces armées ukrainiennes.

Solim Kamina est en détention provisoire (SIZO) depuis plus de quatre mois, accusé de diffusion de « fausses informations »  concernant une frappe de missile sur un immeuble résidentiel à Ouman.

Quinze jours de détention pour port d’un écusson aux couleurs de l’Ukraine

Le 9 décembre, Vladislav Yemelianenko a été interpellé pour avoir porté un écusson arborant le drapeau ukrainien sur ses vêtements, ce qui a conduit à son arrestation pour exhibition publique de symboles interdits.  

Lors de la fouille, deux téléphones, un ordinateur portable et des cartes bancaires lui ont été confisqués. On a découvert, dans son téléphone, des vidéos montrant des graffitis,  l’un étant antifasciste et l’autre contenant l’inscription  Dieu est mort, le fascisme est ressuscité sur un mur d’église.  

Suite à cela, Vladislav a été placé en détention et on l’a informé qu’il était maintenant témoin dans une affaire pénale pour offense aux sentiments des croyants.

« Regarde ce que tes « Ruskovs » ont fait en Ukraine : ils rasent des villes, bombardent des civils. »

[NdR. Le terme employé est rousnia, nom collectif marquant le mépris]

Photo : SOTAvision

Dmitri Bogmout, technicien à l’Institut de physique nucléaire, a écrit plus de cent commentaires anti-guerre, parmi lesquels :  

– « Les Ruskovs adorent les meurtriers et les violeurs. » 

– « Zelensky a une tâche difficile, il dirige un pays en guerre, toute la nation est derrière lui. »  

– « Combien de milliers de vies Poutine a-t-il déjà prises en Ukraine ? Combien  en prendra-t-il encore ? »

Le 14 janvier, le tribunal de Gatchina a commencé l’examen de l’affaire intentée contre Dmitri pour diffusion de ‘fausses informations’ sur l’armée russe.  

Dmitri Bogmout est en détention provisoire (SIZO) depuis avril 2024 ; elle a été prolongée jusqu’à fin juin 2025.

Refus de combattre

Un militaire des forces stratégiques déserte après une tentative de l’envoyer en Ukraine

En 2021, Ivan (nom modifié) avait signé un contrat pour servir dans les Forces des missiles stratégiques russes.  

Lors de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, il avait exprimé son opposition à la guerre sur Instagram.  

À l’expiration de son contrat, son commandement l’avait forcé à signer un nouveau contrat, allant jusqu’à falsifier sa signature à deux reprises pour prolonger son engagement.  

Lorsqu’il avait tenté de démissionner, on lui avait annoncé qu’il avait soi-disant signé une demande de transfert dans les unités d’assaut.  

 Ivan a abandonné son unité militaire et quitté la Russie avec l’aide du projet idite lesom [NdR. Mettez les voiles,  ou Allez vous faire voir, ou Allez vous faire foutre. Ce projet est un réseau d’aide aux objecteurs et déserteurs russes].

Culture

Une exposition fermée à Voronej en raison des positions anti-guerre de l’artiste

À Voronej, l’exposition Garden of Eden de l’artiste Pavel Brat a été fermée après qu’un contrôle de ses réseaux sociaux par le service de sécurité du lieu a révélé ses positions anti-guerre.  

En décembre 2022, l’Union des architectes avait déjà annulé l’une de ses expositions sur une dénonciation selon laquelle « l’artiste était un extrémiste et s’était exprimé sur la guerre en février et mars ».  

Pavel Brat est connu pour ses compositions florales réalisées à partir de fleurs de cimetière trouvées dans des décharges.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.

Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.