Chronique de la Russie qui proteste // 4 – 11 février 2024

Chronique de la Russie qui proteste // 4 – 11 février 2024

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


« Le chemin du retour est un chemin vers la paix. »

Le mouvement des femmes de mobilisés Le chemin du retour prend de l’ampleur et gagne de nouveaux soutiens, tandis que la rhétorique des participantes devient de plus en plus anti-guerre. Cela semble gagner à leurs actions un nombre croissant de citoyens russes opposés à la guerre en Ukraine.

Les actions de protestation ont lieu chaque samedi à midi : des femmes en foulards blancs déposent des fleurs sur la Tombe du Soldat inconnu à Moscou. Lors de la manifestation du 3 février, on comptait, selon les estimations, entre 100 et 200 personnes. 
Reportage sur la manifestation du 03.02.24: https://www.youtube.com/live/-DzMYjtQDxE?si=oF7QQrTx531JAP4J.

Depuis la place Rouge, les épouses de mobilisés et leurs soutiens se sont rendus au quartier général de campagne de Poutine, rue Iliinka. À l’issue de l’action, une trentaine de personnes ont été interpellées par la police ; les femmes n’ont pas été touchées, seuls des hommes et des membres de la presse ont été arrêtés.


Le 10 février, des actions du mouvement Le chemin du retour ont eu lieu dans plusieurs villes de Russie. La veille, des journalistes et des militants ayant participé aux précédentes actions avaient reçu des avertissements de la police concernant leur responsabilité en cas de participation à des manifestations « illégales » ou « non autorisées ».


À Iekaterinbourg, près du monument Tulipe noire, lors du dépôt de fleurs, Polina Bereskina, Natalia et Elizaveta Kazantseva, Ivan Boukine et Albert Yakoupov ont été interpellés. Yakoupov a été condamné à huit jours de détention.

Les épouses de mobilisés décrivent leurs actions avec plus de détails sur la chaîne Telegram « Le chemin du retour. ». 

Un Candidat pour la paix 

Boris Nadejdine, le seul candidat à la présidentielle porteur d’un programme anti-guerre, s’est vu refuser l’enregistrement par la Commission électorale centrale (CEC), au motif d’un trop grand nombre de signatures jugées invalides. Nadejdine a écrit sur sa chaîne Telegram :

« Je vous en prie, ne baissez pas les bras. Il s’est produit ce que beaucoup se refusaient à croire : les citoyens ont senti que le changement était possible en Russie.

C’est vous qui avez fait la queue pendant de longues heures pour proclamer au monde entier : “La Russie sera un grand pays, pacifique et libre.”

Et aujourd’hui, dans la salle de la Commission électorale centrale, je vous ai tous imaginés à mes côtés. ».

Le journal de campagne de Boris Nadejdine a été saisi en tant que « matériel extrémiste ». Le quartier général du candidat avait fait imprimer un tirage de 400 000 exemplaires en Oudmourtie et les avait confiés au service de livraison Baïkal Service, d’où, selon les employés de l’entreprise, ils ont été saisis par les forces de l’ordre. Toutefois, l’entreprise a refusé de fournir des documents confirmant la saisie, puis a complètement cessé de communiquer avec les collaborateurs de Nadejdine.

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La ville s’exprime 

Un symbole pacifiste et le slogan «Non à la guerre» dans le parc de l’Université d’État de Moscou (MGU). 

Piquets de protestation solitaire 

Le 7 février, à Moscou, à la station de métro « Bibliothèque Lénine », Teïmouraz Kordzaïa a été interpellé alors qu’il tenait un piquet de protestation solitaire avec une pancarte : « Poutine, c’est le mensonge, la pauvreté, la guerre, les sanctions, la répression… on en a assez !!! ».

    Poursuites 

    Raïssa Mikhalëva, originaire de Novokouznetsk, a été condamnée à un an et deux mois de détention. La retraitée a été reconnue coupable de vandalisme pour avoir écrit, en 2022, des messages anti-guerre au marqueur dans des cages d’escalier. Après son interpellation, Raïssa Mikhalëva n’a pas nié son soutien à l’Ukraine et a exprimé son opposition à la guerre lors de son entretien avec les forces de l’ordre. 


    Depuis le début de la guerre, 115 affaires administratives pour « discrédit à l’encontre de l’armée » ont été ouvertes contre des habitants de la région d’Irkoutsk et de la Bouriatie. Natalia, une habitante d’Irkoutsk, en emmenant son enfant à l’école maternelle, avait remarqué la présence massive de jouets militaires. L’éducatrice lui avait expliqué que l’établissement menait une éducation patriotique et apprenait aux enfants qu’ils devaient servir dans l’armée et se préparer à mourir pour la Patrie sans crainte. Natalia avait exprimé son désaccord et s’était disputée avec le personnel. Elle a finalement été poursuivie et condamnée à une amende de 35 000 roubles (soit deux fois l’équivalent du salaire minimum en Russie). 


    Une femme de 32 ans originaire d’Engels (région de Saratov) a été condamnée à une amende de 30 000 roubles (soit deux fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) après avoir été reconnue coupable de « discrédit à l’encontre de l’armée russe » en raison de publications sur les réseaux sociaux


    Ilya D., originaire de Nijnevartovsk, fait l’objet de poursuites pénales pour récidive de « discrédit à l’encontre de l’armée » en raison de commentaires publiés dans un groupe en ligne, considérés comme « visant à discréditer les forces armées de la Fédération de Russie ». Il est actuellement placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire. 


    Le patriarche Kirill a approuvé la décision de suspendre a divinis l’archiprêtre Alexeï Ouminski, qui avait refusé de lire la prière pour la Sainte Russie. Le 13 janvier, le tribunal ecclésiastique de Moscou l’avait démis de ses fonctions sacerdotales, officiellement pour avoir violé ses promesses presbytérales : il avait en effet refusé d’exécuter le décret patriarcal ordonnant de lire, pendant la liturgie, la prière pour la « victoire de la Sainte Russie ». 


    L’ancien officier des gardes-frontières Andreï Perevoztchikov a été condamné à une amende de 250 000 roubles (soit 16 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie), ainsi qu’à une interdiction de gérer des sites internet pendant un an et demi. Il a été reconnu coupable de récidive de « discrédit à l’encontre de l’armée » et de diffusion de « fausses informations » sur les militaires, en lien avec des publications anti-guerre sur les réseaux sociaux. 


    Maria Baranova, ancienne journaliste du projet de défense des droits humains en Russie Pravozachiti Otkrytki et de Russia Today, ainsi qu’ancienne inculpée dans l’affaire de la place Bolotnaïa, a été condamnée à deux amendes : 50 000 roubles (soit 3 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) pour « discrédit à l’encontre de l’armée russe », et 20 000 roubles (soit 1,25 fois le salaire minimum en Russie) pour participation à une action publique non autorisée. Le motif en est une photo prise sur la place Rouge, où Baranova apparaît tenant un téléphone affichant un drapeau arc-en-ciel et un sac portant l’inscription « Non à la guerre ». 

    Divers 

    Le père Piotr (Stepanov), un prêtre de la province ecclésiastique du Bachkortostan de l’Église orthodoxe russe, a adressé une lettre ouverte au métropolite Nikon (Vassioukov), l’accusant de racket, de soutien à la guerre contre l’Ukraine et de destruction de la foi orthodoxe. Le prêtre a déclaré qu’il renonçait à l’Église orthodoxe russe. La publication a été relayée par la chaîne Chrétiens contre la guerre


    Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.

    Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
    © Memorial / © Memorial France pour la version française.