Alexandre Tcherkassov : « Les chefs d’accusation contre nous sont ridicules – c’est l’État qui veut nous détruire ».
Le 18 novembre 2021, avant les audiences sur la liquidation de Memorial International et du Centre des Droits humains « Memorial », a eu lieu une conférence de presse, intitulée “ Liquidation de Memorial : des demandes absurdes, illégales et dangereuses pour la société civile ”.
Sont intervenus :
- Elena Zhemkova – Directrice exécutive de Memorial international
- Tatiana Glouchkova – membre du Conseil d’administration du Centre des Droits humains « Memorial », avocate principale du programme « Défense des droits de l’Homme à l’aide des mécanismes internationaux ».
- Alexandre Tcherkassov – Président du Conseil d’administration du Centre des Droits humains « Memorial ».
- Tatiana Margolina – Membre du Conseil d’administration de Mémorial Perm, Commissaire aux droits de l’homme dans la région de Perm de 2005 à 2017.
Ils ont été rejoints en ligne par Dunja Mijatović – Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, et Mary Lawlor – Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits humains. Elles ont toutes les deux rappelé l’importance du travail de Natalia Estemirova, qui fût jusqu’à son assassinat en 2009 la collaboratrice du Centre des Droits humains « Memorial » assurant le suivi et l’analyse du conflit en Tchétchénie.
Des dizaines de journalistes russes et européens ont assisté à l’événement. Étaient également présents des représentants de l’UE en Russie et des représentants des ambassades d’Autriche, d’Espagne, de Lituanie, des Pays-Bas, de Norvège, de Pologne, de Suisse et d’Estonie.
Il est possible de revoir la conférence en russe ou en anglais ici
Vous trouverez ci-dessous l’analyse des chefs d’accusation effectuée par les juristes de Memorial.
Voici les principaux sujets évoqués par les intervenants :
Elena Zhemkova : « On ne peut pas fermer une organisation qui vient en aide aux gens depuis de nombreuses années en invoquant des raisons techniques ».
- Mémorial est un lieu de savoir, un lieu de compétences. Depuis plusieurs années, nous travaillons de manière honnête et transparente, à Moscou et dans les régions.
- Nous ne travaillons pas sur commande, nous ne sommes l’agent de personne. C’est le contraire : nous créons nous-mêmes les projets et puis proposons aux personnes et aux institutions de nous aider à les réaliser.
- Les chefs d’accusation qui ont été formulés contre nous sont de nature administrative et technique. On nous reproche une infraction ordinaire, pour laquelle nous aurions pu ne pas être sanctionnés. Nous avons cependant reçu plusieurs amendes que nous avons toutes réglées. Aujourd’hui, cette question est de nouveau soulevée et les mêmes allégations sont renouvelées.
- On ne peut pas fermer une organisation qui vient en aide aux gens depuis de nombreuses années en invoquant des raisons techniques.
Tatiana Glouchkova : « Le seul motif qui nous conduit à qualifier des personnes de prisonniers politiques, c’est l’évaluation du bien-fondé de leurs condamnations ».
- La loi sur les agents étrangers est rédigée de telle sorte qu’il est impossible de l’appliquer en pratique : il est impossible de comprendre ce qu’il faut signaler. Jusqu’en 2019, il n’y avait pas d’obligation explicite de signaler ce statut sur les réseaux sociaux. Nous avons appris son existence des procès-verbaux administratifs du Roskomnadzor.
- Le Centre des Droits humains « Memorial » est accusé de violer la loi « sur le système judiciaire ». Le procureur a qualifié de « refus d’exécuter des décisions de justice » le fait de reconnaître qu’une personne est persécutée pour des motifs politiques. Il s’agit d’une interprétation absurde : le fait de discuter si une décision est juste ou légale ne constitue pas un refus d’exécuter une décision de justice.
- Puisque certains prisonniers politiques ont été condamnés pour des actes extrémistes, le Centre des Droits humains « Memorial » est accusé de justifier la participation à des organisations terroristes et extrémistes. Cela est faux. Le seul motif qui nous conduit à qualifier des personnes de prisonniers politiques, c’est l’évaluation du bien-fondé et de l’équité de leurs condamnations.
- L’un des points les plus absurdes des deux allégations est l’accusation de violation d’une série de textes internationaux, y compris la Convention sur les droits de l’enfant. Toutefois, l’État est la seule entité qui peut respecter ou violer des conventions internationales, une personne ou une organisation ne le peut en aucun cas.
Alexandre Tcherkassov Président du Conseil d’administration du Centre des Droits humains « Memorial » : « Les motifs d’accusation sont dérisoires : c’est seulement une volonté de l’Etat »
- Le Centre des Droits humains « Memorial » n’a pas commis sciemment de graves infractions justifiant la dissolution d’associations.
- Les poursuites contre le Centre des Droits humains « Memorial » contiennent des accusations précises sur la liste de prisonniers politiques que nous dressons depuis 2008. Ce n’est pas la première fois que cela nous est reproché. Le 30 avril 2013 le Parquet avait demandé notre inscription sur la liste des agents étranger à cause de cette liste de prisonniers.
- A présent les chefs d’accusation sont différents. La liste contiendrait des indices qui justifieraient les accusations de terrorisme et d’extrémisme. Outre les différents épisodes évoqués par Tatiana Glouchkova avant moi, il y a d’autres détails. L’accusation se base sur une expertise de mauvaise qualité, établie par le tristement célèbre Centre d’études socioculturelles qui a mené les expertises dans les procès des Pussy Riot et de Iouri Dmitriev, entre autres.
- Les lettres, les chiffres, les paragraphes, les dates, tout confirment que les motifs sont dérisoires. C’est une volonté de l’Etat qui se manifeste depuis dix ans à travers la loi dite des « agents étranger ». Il s’agit de faire passer sous contrôle tout ce qui ne l’est pas, mettre les ONG sous le contrôle du gouvernement. Et celles qui ne passent pas sous contrôle, il faut les liquider.
- Nous lutterons pour nos droits.
Dunja Mijatović (en ligne) Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe : « J’ai l’intention de m’adresser au Parquet général pour demander l’arrêt des poursuites contre Memorial. »
- La liquidation de Memorial aurait des conséquences considérables non seulement pour ces organisations mais aussi pour l’ensemble de la société civile ainsi que pour la défense des droits humains dans le pays. De nombreuses victimes d’injustices se trouveraient sans défense, y compris devant la CEDH.
- Memorial œuvre pour la conservation de la mémoire historique. La liquidation de l’association aurait un énorme effet négatif sur l’éducation de la jeune génération qui serait privée d’information sur les violations des droits humains dans le passé.
- L’application de la loi sur les agents étrangers a atteint des proportions sans précédent. La loi stigmatise des associations, des medias, des personnes, elle limite la liberté d’expression, elle a un effet répressif sur la société civile, enfin elle n’est pas conforme aux standards européens de défense des droits humains. Cette loi doit être abolie.
- En tant que membre du Conseil de l’Europe, la Russie doit appliquer les standards dans le domaine de la défense des Droits humains et garantir un espace aux défenseurs des droits humains.
- J’ai l’intention de m’adresser aux autorités, au Parquet général pour demander l’arrêt des poursuites contre « Memorial ».
Mary Lawlor (en ligne) – Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits humains : « Je suis convaincue que « Memorial », quelles que soient les circonstances, trouvera le moyen de continuer sa tâche ».
- Les associations Memorial ne sont pas des agents étrangers ni des ennemis de l’Etat. Elles méritent un immense respect pour leur travail au service de la défense des droits humains et la conservation de la mémoire et de la vérité du passé.
- le gouvernement russe les persécute délibérément. Si l’association doit cesser son activité, combien de temps tiendront les dernières organisations de défense des droits en Russie ?
- Je suis convaincue que ces personnes déterminées trouveront le moyen de continuer leur tâche.
Tatiana Margolina – Membre du Conseil d’administration de Mémorial Perm, Commissaire aux droits de l’homme dans la région de Perm de 2005 à2017 : « Les poursuites contre Memorial sont un signal envoyé à ceux qui nient l’existence de la répression en Russie. »
- Parmi les membres de Memorial Perm, 5 % sont des survivants des répressions politiques. parmi les autres, 90 et quelque pour cent sont des membres des familles de victimes. Cette association réunit des personnes de grande valeur : historiens, archivistes, journalistes, éducateurs, ethnographes. Quand nous avons appris la nouvelle du procès, les membres de ces familles ont commencé à m’appeler. La petite-fille de l’un d’eux m’a dit : « Mais alors, nous devons être deux fois réprimés ? D’abord nos grands-pères, nos pères, et maintenant c’est à notre tour de subir la répression pour vouloir exercer notre droit constitutionnel de liberté d’association ? »
- Le procès pour la liquidation de Memorial est un signal envoyé à ceux qui nient l’existence des répressions en Russie. C’est la négation d’un travail de longue haleine mené par Memorial conjointement avec le gouvernement, surtout ces dernières années où a été adopté le principe de commémoration de la mémoire des victimes des répressions politiques. Cela divise la société. Ceux qui considèrent qu’aujourd’hui on peut nier cette page dramatique de notre histoire, ceux-là relèvent la tête et haussent le ton.
- Tout travail de défense des droits politiques des citoyens est traité comme une activité politique. C’est un grave problème car cela permet de placer l’activité d’une association de défense des droits dans la catégorie d’activité politique.