Chronique de la Russie qui proteste // 15 – 21 juillet 2024
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Région de Perm, forêt de Tchernyaevsky
Inscription anti-guerre provenant de la chaîne Telegram Perm 36,6 Contre la guerre : « Nique la guerre. »
Tcheliabinsk
Inscriptions anti-guerre provenant de la chaîne Telegram Tcheliabinsk de l’avenir : « Non à la guerre », « Stop à la guerre »
Kodinsk, région de Krasnoïarsk
Inscription anti-guerre provenant de la chaîne Telegram Ruban vert : « La vie est précieuse ». [NdlR. Le ruban vert est le symbole des opposants à la guerre]
Saint-Pétersbourg
Des inconnus ont arrosé de peinture blanche le monument funéraire dédié à l’ancien chef de la société militaire privée Wagner, Eugène Prigojine, et lui ont mis un godemichet dans la main.
Saint-Pétersbourg
Inscription anti-guerre « Non à la guerre » dans un parc de Saint-Pétersbourg. Photo d’une lectrice du journal « Boumaga [Papier] ».
Piquets de protestation et manifestations
Piquet de protestation pour la libération de Maria Ponomarenko à Novossibirsk
À Novossibirsk, lors du traditionnel « samedi de protestation », un militant, Vladimir Sukhov, a tenu un piquet de protestation solitaire en soutien à la journaliste de RusNews Maria Ponomarenko, originaire de Barnaoul, condamnée à 6 ans de détention en colonie pénitentiaire pour avoir diffusé de « fausses informations » sur l’armée.
Piquet de protestation à Moscou : des soins pour Igor Barychnikov !
À Moscou, une militante non-voyante, Oksana Osadchaya, a tenu un piquet de protestation solitaire afin d’exiger des soins médicaux pour le détenu politique Igor Baryshnikov, condamné à 7 ans et demi de prison pour diffusion de « fausses informations ». Baryshnikov devait subir une opération qui aurait permis de lui retirer un cathéter urinaire (tuyau pour évacuer les urines). Mais cinq mois se sont écoulés, et l’opération n’a toujours pas eu lieu.
Saccages et sabotages
Incendie criminel dans un centre de recrutement militaire à Kostroma
À Kostroma, une inconnue a lancé une bouteille contenant de l’essence contre un bâtiment utilisé pour le recrutement de soldats sous contrat, destinés à la guerre contre l’Ukraine. La bouteille a brisé une vitre.
Poursuites
Nouvelle affaire pénale contre Nadine Geisler
Une nouvelle affaire pénale a été ouverte contre Nadejda Rossinskaïa (Nadin Geisler), membre de l’« Armée des beautés », pour avoir publié en ligne des appels à faire des dons au bataillon « Azov » (jugé organisation terroriste en Russie). Elle est accusée pour soutien à une activité terroriste et risque jusqu’à 6 ans de prison.
8 ans pour des vidéos sur Instagram
La condamnation de Richard Rose, un habitant de Kirov, a été confirmée pour la publication de deux vidéos sur Instagram : l’une, du journaliste Alexandre Sotnik sur le meurtre des habitants de Boutcha et l’autre, du musicien ukrainien Sviatoslav Vakartchouk appelant à arrêter la guerre. Sous les vidéos, Rose avait laissé ces commentaires : « Le massacre de Boutcha ne sera jamais oublié dans le monde entier et ne sera jamais pardonné aux fascistes ruZZes ! » et « Il n’y a qu’une seule façon d’arrêter Poutler : le tuer physiquement. » [NdlR. Poutler est un néologisme fusionnant les noms de Vladimir Poutine et Adolf Hitler] Il a été condamné à 8 ans de détention en colonie pénitentiaire pour diffusion de « fausses informations » sur l’armée et justification du terrorisme.
Сinq ans pour « fausses informations » militaires
Selon les enquêteurs en charge du dossier, Daniil Vodolaguine ‒ un habitant de Volgograd, motivé par une haine ou une hostilité politique et idéologique ‒ aurait diffusé publiquement des informations délibérément fausses concernant l’emploi des Forces armées de la Fédération de Russie, les « formations et organisations volontaires » qui leur sont associées, ainsi que l’exercice des pouvoirs des organes gouvernementaux de la Fédération de Russie.
Discrédit venant d’un centre de détention provisoire (SIZO)
À cause d’une vidéo contenant des poèmes de Marina Melikhova, un procès-verbal a été dressé contre elle pour discrédit porté contre l’armée. La vidéo publiée sur la chaîne YouTube Liberté d’expression [Svoboda slova] a servi de prétexte. Cependant, elle a été mise en ligne alors que Marina se trouvait déjà en détention provisoire dans le cadre d’une affaire pénale où elle était accusée de discrédit porté contre l’armée pour des vidéos anti-guerre. Selon son avocat, Melikhova n’a pas demandé cette publication et ce n’est pas elle qui récite le poème dans la vidéo.
Colonie pénitentiaire pour des époux à cause de tracts anti-guerre
Aleksandr Dotsenko et sa femme Anastasia Dioudyaeva ont été reconnus coupables d’incitation au terrorisme pour avoir distribué des tracts pro-ukrainiens dans un magasin d’alimentation Lenta. Selon la version officielle, Dioudyaeva aurait rédigé ces tracts en langue ukrainienne, contenant notamment l’inscription “Poutine na gilyakou” (“Poutine à la potence”) et les aurait distribués dans le magasin. Tous deux ont été condamnés à des peines de détention en colonie-pénitentiaire: Dioudyaeva à trois ans et demi et Dotsenko à trois ans.
Amende pour autocollants anti-guerre sur une voiture
Valerya Savtchouk, une habitante de Moscou, a été accusée de “ discréditer ” l’armée et a été condamnée à verser une amende de 30.000 roubles (l’équivalent de 1,6 fois le salaire minimum).
Amende pour commentaires sur Vkontakte
Plusieurs commentaires publiés par Dmitri, un habitant d’Ivanovo (district fédéral central), sur le réseau social « VKontakte » ont motivé une amende. Dans le cadre d’un sondage portant sur l’attitude envers la « SVO » (opération militaire spéciale) et la compréhension de ses objectifs, Dmitri avait écrit :
« L’opération spéciale peut prendre fin dès que l’agresseur capitulera et que les territoires occupés reviendront à leurs propriétaires légitimes. Et ces propriétaires montrent que c’est tout à fait possible. C’est clair, non ? »
Le 16 juillet, le tribunal du district d’Octobre d’Ivanovo a réexaminé l’affaire, confirmant l’amende de 30 000 roubles (l’équivalent de 1,6 fois le salaire minimal), infligée à Dmitri le 16 février 2024, pour « discrédit de l’armée russe ».
12 ans et 5 ans de réclusion pour avoir tenté de rejoindre la légion “Svoboda Rossii” [Liberté de la Russie]
Selon les enquêteurs, en octobre 2023, Andrei Morozov, 24 ans, avait décidé de rejoindre la légion « Liberté de la Russie ». Il avait rempli un formulaire d’adhésion, l’avait envoyé avec des photos de documents à un recruteur et, après avoir été » accepté dans la légion « , s’était rendu à Briansk.
Il a été reconnu coupable de » tentative de participation à une organisation terroriste « , de tentative de franchissement illégal de la frontière et de » tentative de haute trahison » et condamné à 12 ans de prison.
De son côté, Anatoliy Poplavsky affirme avoir impulsivement envoyé sa candidature à la légion « Liberté de la Russie », sans intention réelle de s’y engager. Poplavsky a été condamné à 5 ans et demi de détention en colonie pénitentiaire pour » préparation à passer du côté de l’ennemi « . Selon SOTA [NdlR. Sota.vision est un média russe indépendant], après son arrestation, il aurait été torturé par des agents du FSB : brûlures de taser et contusions ont laissé des marques sur son corps. Il a des enfants et une ex-épouse habitant en Ukraine, précise Mediazona.
Accusation de haute trahison pour un habitant de Veliki Novgorod
Un habitant de Veliki Novgorod ayant envoyé sur Telegram une photo d’un poste de police et des données publiques sur la localisation d’une unité militaire trouvées sur 2GIS [NDLR: Société russe qui édite des cartes et des guides numériques des villes, principalement en Russie] . Il a été arrêté pour suspicion de » haute trahison « . Il aurait également prévu de transmettre des informations sur l’objet et le volume des produits fabriqués par l’entreprise dans laquelle il travaille. Il risque entre 12 et 20 ans de prison.
Internement psychiatrique pour une vidéo anti-guerre
En mai 2022, une affaire pénale pour “ fausses informations ” sur l’armée a été ouverte contre Victoria Petrova en raison d’une vidéo sur VKontakte portant sur la guerre en Ukraine. Au cours de l’hiver 2023, elle a été déclarée inapte et placée en soins obligatoires à l’hôpital psychiatrique I.I. Skvortsov-Stepanov n° 3. La durée de cet internement est indéterminée. Le 19 juillet 2024, le tribunal de Saint-Pétersbourg a confirmé cette décision lors d’une session à l’hôpital. Victoria affirme avoir été torturée à l’hôpital : elle a été forcée de se déshabiller pour un « examen corporel » devant des membres masculins du personnel, n’a pas été autorisée à changer de serviette hygiénique, a été sanglée sur son lit et s’est vu injecter des sédatifs.
6 ans de réclusion en colonie pénitentiaire à régime sévère pour des reposts sur la guerre
Ruben Poghosian, un habitant de Petrozavodsk, avait été arrêté et condamné à 6 ans de détention en colonie pénitentiaire à régime sévère. Le 15 juillet, on a appris que la Cour suprême de Carélie avait confirmé ce verdict en appel. “ La seule chose dont je suis coupable, c’est de ne pas rester indifférent aux morts ”, a déclaré M. Poghosian lors du procès. Le tribunal a également confirmé l’interdiction faite à M. Poghosian d’administrer des sites internet pendant un an.
250.000 roubles pour “ fausses informations ” sur l’armée russe
Arman Bourangaziev, un habitant de la région d’Orenbourg, a été condamné à une amende de 250.000 roubles (l’équivalent de 13 salaires minimum) pour diffusion de “ fausses informations ” sur l’armée russe.
Il a reconnu sa culpabilité et l’affaire a été jugée en procédure spéciale.
Amende pour un cri de soutien “Gloire à l’Ukraine !”
Lioudmila Kerler, de la région de Kemerovo, a crié « Gloire à l’Ukraine » sur la place de la Bourse à Saint-Pétersbourg. Elle a été condamnée à une amende pour affichage de symboles interdits.
Confirmation de la condamnation de Valeria Zotova.
Capture d’écran de la vidéo de la réunion https://t.me/sotavisionmedia/32922
Valeria Zotova avait été arrêtée en février 2023 pour avoir tenté d’incendier le bâtiment de l’administration rurale du village de Karabikha (région de Iaroslavl) où était collectée l’aide destinée à l’armée. En juin de la même année, elle a été reconnue coupable de tentative d’attentat terroriste. La Cour suprême a examiné son recours en vingt minutes et confirmé l’ancien verdict du tribunal militaire du deuxième district occidental.
Grigori Mikhnov-Vaitenko reconnu “ agent de l’étranger ”
Grigori Mikhnov-Vaitenko est clerc de l’Église orthodoxe apostolique, il défend les droits de l’homme et aide bénévolement les réfugiés ukrainiens.
Le ministère de la justice l’a accusé d’avoir “ participé à la création et à la diffusion de messages et de matériel d’agents étrangers, s’opposant à l’opération militaire spéciale en Ukraine, et de participer en tant que répondant à des plates-formes d’information fournies par des agents étrangers ”.
“ Ne vous en faites pas, je ne suis pas parti ; n’espérez pas, je ne partirai pas ! La décision du ministère de la justice sera contestée devant les tribunaux ”, a commenté le prêtre sur sa chaîne Telegram Prison, guerre et foi.
Confirmation de la condamnation d’Anastasia Ageeva à 8 ans de détention en colonie pénitentiaire
Depuis février 2022, la Moscovite Anastasia Ageeva a participé à de nombreuses manifestations anti-guerre. Après une nouvelle arrestation, la militante a été placée en détention spéciale pendant 15 jours, puis elle a quitté la Russie. En mars de cette année, elle a été reconnue coupable de “ fausses informations ” concernant l’armée en raison de deux publications sur les réseaux sociaux. Le 17 juillet, le tribunal municipal de Moscou a confirmé en appel la condamnation d’Anastasia à huit ans de détention en colonie pénitentiaire.
Amendes pour des noms anti-guerre donnés à des réseaux WI-FI
Les noms de réseaux Wi-Fi de l’exposition “ Connexion-2024 ” SLAVA UKRAINE [Gloire à l’Ukraine] et SLAVA UKRAINE_5G ont servi de motif à un tribunal de Moscou pour infliger une amende de 10.000 roubles (l’équivalent de 1,6 fois le salaire minimal) à la société “ Teletor ”.
Annulation du passeport russe d’une militante anti-guerre
En raison de déclarations anti-guerre tenues en décembre 2022, des poursuites pénales ont été engagées contre Olessa Krivtsova pour “ discrédit ” de l’armée et apologie du terrorisme. En janvier 2023, un tribunal l’a placée en résidence surveillée. Cependant, Krivtsova s’est échappée et a quitté la Russie.
Lorsqu’un passeport interne russe est déclaré invalide, son détenteur perd l’accès aux services publics en ligne, aux comptes bancaires russes ainsi qu’aux numéros de téléphone russes. Il est impossible d’obtenir un nouveau document tout en restant à l’étranger.
Auparavant, le 18 juillet, les passeports internes de Richard King et de Daniil Tchebykine, fondateurs de l’organisation “ Union civique d’Omsk ” (classée comme extrémiste en Russie) et se trouvant à l’étranger, avaient été annulés. Ils associent cette mesure à leur participation à des manifestations et à des déclarations anti-guerre.
Divers
Distribution de nourriture pour les sans-abris à Moscou sous le slogan “ De la nourriture, pas des bombes ”
Des militants de l’initiative internationale “ De la nourriture, pas des bombes ” ont distribué de la nourriture aux sans-abris et aux personnes démunies à Moscou. “ Un grand merci à tous ceux qui sont venus aider et qui ont apporté des vêtements ”, ont écrit les militantes sur leur chaîne Telegram.
“ Je suis pour la paix! ”
Sous le slogan anti-guerre “ Je suis pour la paix! ”, la section de Tcheliabinsk du parti Iabloko présente des candidats aux élections du conseil municipal de Tcheliabinsk.
Flyer anti-guerre pour un candidat du parti Iabloko approuvé à Irkoutsk
La commission électorale d’Irkoutsk a approuvé un flyer avec le slogan anti-guerre “ Je suis pour la paix, la liberté et la prospérité ” destiné à Pavel Kharitonenko, candidat de l’opposition au conseil municipal d’Irkoutsk, membre du parti Iabloko. Le premier point de son programme est la conclusion immédiate d’un accord de cessez-le-feu.
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
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