Chronique de la Russie qui proteste // 16 septembre 2024 – 22 septembre 2024

Chronique de la Russie qui proteste // 16 septembre 2024 – 22 septembre 2024

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La ville s’exprime

Belgorod

« Non à la guerre »

Piquets de protestation et meetings

Dépôt de fleurs à l’occasion de la Journée internationale de la paix

Le 21 septembre, lors de la Journée internationale de la paix, des Moscovites ont déposé des fleurs au pied du monument dédié à Lesya Ukraïnka et des colombes en papier devant la sculpture « Nous exigeons la paix ! » dans le parc des Arts Muzeon. L’action a été menée à la mémoire des habitants qui ont péri dans les villes ukrainiennes et russes ; leurs noms étaient écrits sur des colombes blanches en origami.

Piquet de protestation en soutien à Maria Ponomarenko

Le 21 septembre, lors d’un « samedi de protestation », l’activiste Vladimir Sukhov, de Novossibirsk, a tenu un piquet de protestation solitaire en soutien à la journaliste Maria Ponomarenko, opposée à la guerre. Maria a été condamnée à 6 ans de détention en colonie pénitentiaire  pour  « fausses informations » ; elle a été envoyée en cellule disciplinaire à plusieurs reprises. Le 16 septembre, lors d’une audience au tribunal, elle a annoncé entamer une grève de la faim en raison de faux reproches visant à l’envoyer de nouveau en shizo [NdlR – Cachot. Cellule d’isolement disciplinaire.]

Poursuites

Amende d’un demi-million de roubles pour un commentaire sur le meurtre du « correspondant de guerre » Vladlen Tatarsky

Denis Orlov, un habitant de Tomsk (Sibérie occidentale) âgé de 39 ans, a écrit un commentaire sur Telegram à propos du meurtre du propagandiste-Z [pro-guerre] et « correspondant de guerre » Vladlen Tatarsky (le texte exact du commentaire est inconnu). Le 16 septembre, un tribunal de Novossibirsk a condamné Denis à une amende de 500 000 roubles (26 fois le salaire minimum) pour apologie du terrorisme.

Images anti-guerre ayant discrédité l’armée russe

Sergueï Gordienko,  un agriculteur de la région d’Omsk, avait publié plusieurs images anti-guerre sur le réseau social Odnoklassniki. Le tribunal l’a reconnu coupable de « discrédit » à l’encontre de l’armée russe et lui a infligé une amende de 30 000 roubles (1,56 fois le salaire minimum).

Procès pour « fausses informations » dans la correspondance personnelle d’un militaire

En avril 2022, un militaire, Miroslav Nych, avait évoqué des crimes de l’armée russe à Boutcha, dans une correspondance personnelle avec un ami. Pour cette raison, il a été accusé de diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe. Initialement, il avait été condamné à une amende d’un million de roubles (52 fois le salaire minimum), mais, suite à un appel, l’affaire a été renvoyée pour un nouvel examen.

Le 17 septembre, le tribunal a refusé d’inclure dans le dossier des extraits d’articles de Zvezda contenant des informations sur les unités de l’armée russe ayant occupé Boutcha et Hostomel, ainsi que l’enquête du New York Times sur Boutcha. Le ministère public les a qualifiés de « produits d’États étrangers ».

Sept poursuites contre l’artiste Oksana Roshchina pour ses déclarations anti-guerre

Oksana Rochtchina

6 avril 2022 à 9h40

Pour préserver mon équilibre nerveux, je vous prie de me retirer de votre liste d’amis sur tous les réseaux sociaux, si vous justifiez le meurtre de civils ukrainiens en affirmant que, soi-disant, des civils ont été tués auparavant dans le Donbass.  Qui les a tués ? La question est controversée, c’est le moins qu’on puisse dire… tout comme les explosions à Moscou, la guerre en Tchétchénie, les meurtres de journalistes, etc. Tout cela restera sur la conscience des exécutants, comme de ceux qui sont impliqués, directement et indirectement… Le juge suprême les jugera et ils recevront, sans nul doute, le châtiment inévitable le plus juste…

Mais il n’est pas nécessaire de prouver que les troupes russes sont désormais présentes en Ukraine et que des civils y meurent.

Je supprime de ma liste d’amis, sans tergiverser, tous ceux qui diront que c’est une bonne chose,  que, là-bas, on libère les gens de quelqu’un.  J’en ai assez de prouver l’évidence.  Je perds mon temps, et vous perdez le vôtre.  Nous ne nous convaincrons pas mutuellement.  Dans quelques années nous saurons qui avait raison et qui avait tort.  Je veux garder autour de moi uniquement des personnes qui ne justifient pas le meutre de certains par d’autres.  Pour moi tous les meurtres sont horribles !!!

Le fait que les hommes politiques nous mentent depuis plusieurs décennies, en poursuivant leurs objectifs égoïstes et instillent une idéologie criminelle, ne devrait pas faire de nous des bêtes appliquant la loi, œil pour œil, dent pour dent.  J’espère que ma position est claire.
Nous sommes dans des camps opposés… et je n’ai plus rien à ajouter….

Oksana Roshchina, artiste et enseignante à l’École d’art de Saransk, publie depuis 2022 des posts anti-guerre sur sa page VKontakte et écrit des commentaires du même ton. Elle a suggéré à ses contatcs  de la supprimer s’ils « justifient le meurtre de civils ukrainiens », elle a accusé les médias officiels de « mensonge généralisé » et a dessiné des caricatures. Le 17 septembre, on a appris qu’Oksana était accusée de « discréditer l’armée » et que sept poursuites administratives ont été ouvertes contre elle.

Arrestation et amende pour un commentaire en faveur de l’Ukraine

Andrey Yakubets de Tioumen avait écrit, dans un chat Telegram Dokhlaya Rusnya (À mort les Russes), « Gloire à l’Ukraine ! Je proviens de… mais je suis complètement du côté de la Grande Ukraine ». Il a été poursuivi pour « incitation à la haine » et « discrédit » porté à l’encontre de l’armée russe. Le 17 septembre, on a appris qu’Andrey avait été condamné à 10 jours d’arrestation et à une amende de 30 000 roubles (1,6 fois le salaire minimum).

 6 ans de prison pour des posts en faveur de l’Ukraine

Une affaire pénale a été ouverte contre Sergueï Kourilenko, de Norilsk (région de Krasnoïarsk), pour avoir publié sur Internet de « fausses informations » sur l’armée et appelé à l’extrémisme dans des publications antiguerre. Le 17 septembre, Sergueï a été condamné à 6 ans de colonie pénitentiaire et inscrit sur la liste des « terroristes et extrémistes ».

Détention provisoire  et poursuites pénales pour un message de soutien aux combattants ukrainiens

Un étudiant de 19 ans, originaire du  Primorye, avait posté un message sur Messenger dans lequel il soutenait une « organisation paramilitaires ukrainienne » reconnue comme « terroriste » en Russie. Pour cela, il a été inculpé  d’apologie du terrorisme et placé en détention provisoire (SIZO).

Six ans de colonie pénitentiaire pour des  publications sur les crimes de l’armée russe en Ukraine

En 2022, Andrey Lugovoy, 32 ans, originaire de Svetlogorsk (région de Kaliningrad), avait publié sur Messenger des informations sur les bombardements en Ukraine, les assassinats et les crimes commis par des militaires russes contre des civils. En décembre 2023, Andrey a été arrêté et placé en détention provisoire. Le 19 septembre, le tribunal l’a condamné à six ans de détention en colonie pénitentiaire à régime général et à une interdiction d’administrer des sites, des chats et des chaînes sur Internet pendant quatre ans.

Un comique de Stand-up « discrédite » l’armée russe

Dans son spectacle, le comique de Stand-up Dima Gavrilov s’était présenté comme officier russe et avait ajouté : « Je suis lieutenant, je suis  lieutenant supérieur <…> Voilà à quoi ressemble un officier russe. Cela me fait marrer, tout simplement. Parfois, je me regarde dans la glace et je me dis : voilà un officier russe. » Des experts de l’Université linguistique d’État de Nijni Novgorod ont estimé que les propos du comique « suggéraient que les Russes étaient des occupants et des agresseurs » et ont déclaré que l’auteur de ces propos « rabaissait l’officier russe ». Le 19 septembre, l’affaire pour « discrédit à l’encontre de l’armée », engagée contre Gavrilov, a été transmise au tribunal du district de Nijni Novgorod. Il risque une amende pouvant aller jusqu’à 50 000 roubles (2,6 fois le salaire minimum).

5 ans de colonie pénitentiaire pour participation à une enquête de Radio Svoboda

Le Moscovite Youri Kokhovets avait participé à une enquête de rue menée par Radio Svoboda à l’été 2022. Il avait déclaré que la Russie « bombardait des centres commerciaux, qu’à Boutcha nos soldats de Bouriatie et du Daghestan abattaient des civils sans aucune raison ». Tout d’abord, Youri avait été condamné à 5 ans de travaux forcés pour diffusion de « fausses informations » concernant l’armée. Mais le procureur avait exigé une peine plus sévère, et, le 18 septembre, le tribunal municipal de Moscou a condamné Youri à 5 ans de prison.

13 ans de colonie pénitentiaire pour tentative de destruction d’un bureau de recrutement militaire

Selon l’enquête, Evgueni Ryapolov, 27 ans, coiffeur dans un Barbershop de Novossibirsk (Sibérie occidentale), ancien membre jusqu’à ses 19 ans du mouvement d’extrême droite interdit en Russie Restrukt, aurait préparé un engin explosif et l’aurait placé, le 5 décembre 2023,  dans la fenêtre d’un bureau de recrutement militaire. La police avait appelé les démineurs et l’engin avait été détruit.

Le 13 décembre 2023, Evgeni a été arrêté. Lors de la perquisition, des explosifs ont été découverts à son domicile. Cependant, l’expertise n’a pas mis en évidence des empreintes du suspect , et celui-ci affirme même que les explosifs ont été placés chez lui par les forces de sécurité.

Le tribunal a reconnu Evgueni Ryapolov coupable de tentative d’attentat terroriste, de fabrication, de stockage et de transport illégaux de substances explosives et d’engins explosifs. Il a été condamné à 13 ans de colonie pénitentiaire  et inscrit sur  la liste des terroristes et des extrémistes de Rosfinmonitoring.

Arrestation des dirigeants de l’université ayant permis à des étudiants d’échapper à la mobilisation

La vice-rectrice de l’Université fédérale de l’Arctique du Nord, Lyudmila Morozova, et le directeur du comité d’admission, Viatcheslav Parshin, ont été arrêtés dans le cadre d’une affaire d’admission illégale en doctorat. Ils avaient ainsi permis  à des étudiants d’échapper à la mobilisation en 2022 en les inscrivant sans examens d’entrée.

Une procédure pénale a été ouverte contre Morozova et Parshin pour abus de pouvoir et faux en écriture.

Crachat sur une affiche du ministère de la Défense considéré comme « disqualification » de l’armée

Dans un bar Killfish de Moscou, Alexandra Doroshenko, étudiante à l’École supérieure d’économie, avait craché sur une affiche du ministère de la Défense qui faisait la promotion du service sous contrat dans l’armée russe. Le tribunal a jugé qu’Alexandra avait fait de la « propagande visuelle » exprimant une « attitude clairement négative » envers les forces armées russes, l’a reconnue coupable de « discrédit » à l’encontre de l’armée et lui a infligé une amende (le montant de l’amende est inconnu).

Amende pour avoir proposé de hisser le drapeau de Touva au Kremlin

Un habitant d’Astrakhan avait écrit un commentaire sous une publication-vidéo montrant l’occupation de Adviika par des Touvains du groupe d’assaut Tcherny Bars ainsi que la prise de la polyclinique municipale : « À Moscou, il y a aussi une polyclinique municipale ; c’est le Kremlin (en plein centre). C’est là qu’il faut non seulement installer des drapeaux de Touva , car pendant qu’ils occupent des terres étrangères, dans leur propre patrie, il se passe… »

Le tribunal du district de Kirov, à Astrakhan (région de la Basse Volga), lui a infligé une amende de 40 000 roubles (soit deux fois le salaire minimum) pour « discrédit »  à l’encontre de l’armée.

Attentats et sabotages

Incendie d’une armoire-relais par des résistants au Bachkortostan

Le 18 septembre, le mouvement Résistance de la Russie Libre a revendiqué  l’incendie d’une armoire-relais sur une voie ferrée de la ville de Tuymazy (Bachkortostan) afin de compliquer le transfert opéré par le Kremlin de ressources pour la guerre en Ukraine.

Incendie criminel d’une base militaire à Molkino (région de Krasnodar)

Le 21 septembre, un incendie s’est déclaré dans un bâtiment administratif de l’ancienne base du groupe Wagner à Molkino. Documents, formulaires, dossiers personnels et matériel de communication ont été brûlés. La base est actuellement utilisée par le Corps africain, affilié au ministère de la Défense. Le blogueur pro-guerre Yegor Guzenko a attribué l’incendie à un acte de sabotage.

Divers

Le FSB rapporte avoir tué un suspect accusé de préparer un attentat terroriste

Dans la région de Sverdlovsk, les forces de sécurité ont abattu un citoyen russe né en 1984, lors d’une tentative d’arrestation. Il était soupçonné de préparer un attentat terroriste

Selon le FSB, le terroriste présumé, qualifié d’« agent des renseignements militaires ukrainiens », s’apprêtait à faire exploser la voiture du « dirigeant d’une entreprise de défense ». Il a été tué alors qu’il plaçait un engin explosif dans une cachette.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.

Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.