Chronique de la Russie qui proteste // 17 – 23 février 2025

Chronique de la Russie qui proteste // 17 – 23 février 2025

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La ville s’exprime

Moscou

À Moscou, une inscription « Non à la guerre »  figure maintenant sur l’épée de la statue de la muse de la tragédie Melpomène, située au « Nouvel Opéra », rapporte le canal Telegram « Idite lessom » « Allez dans la forêt » [NdlR. Organisation clandestine aidant les déserteurs russes et les objecteurs de conscience]

Saint Pétersbourg

Un ruban vert : symbole de la résistance anti-guerre.

Ekaterinbourg

Un ruban vert : symbole de la résistance anti-guerre.

Monuments commémoratifs

Une enseignante arrêtée pour avoir déposé un cœur en papier sur le monument de Taras Chevtchenko

Une enseignante de 24 ans, travaillant dans un lycée, a voulu déposer un cœur en papier sur le monument dédié au poète ukrainien Taras Chevtchenko à Saint-Pétersbourg. Lors de son action, elle a été arrêtée par les forces de l’ordre. Par la suite, elle a été accusée de « discrédit » à l’encontre des forces armées russes et condamnée à une amende de 30.000 roubles ( l’équivalent de 1,33 fois le salaire minimum).

Poursuites

Des étudiants condamnés à des peines de 7 à 20 ans pour avoir préparé  un incendie criminel dans une base militaire et rejoint la Légion “Liberté de la Russie”

Matveï et Timofeï Melnikov, des frères jumeaux de 20 ans, avaient rejoint la Légion « Liberté pour la Russie » [NdlR. Organisation paramilitaire russe clandestine combattant aux côtés de l’armée ukrainienne] pour se rendre en Ukraine et combattre dans une unité de volontaires des Forces armées ukrainiennes. Ils se préparaient  à incendier des infrastructures militaires dans une base de stockage et de réparation de matériel antiaérien, dans le district de Dmitrov (région de Moscou). Ils avaient fait appel à un troisième complice, Iouri Mikheïev, 19 ans, pour filmer leurs actions. L’un d’eux était étudiant à l’Université technique d’État Bauman de Moscou, l’autre faisait des études de médecine, tandis que leur complice était en formation dans un collège.
Ils avaient réussi à pénétrer dans l’enceinte de la base militaire, mais avaient été arrêtés par les forces de sécurité, en novembre 2023.
La semaine dernière, leur procès s’est conclu par des condamnations sévères pour « tentative de sabotage en groupe avec conséquences graves », « haute trahison » et « participation à une organisation terroriste ». Iouri Mikheïev a été condamné à 7 ans de détention en colonie pénitentiaire à régime sévère ; Matveï Melnikov, à 20 ans, et Timofeï Melnikov, à 19 ans.

Six mois de prison avec sursis pour un commentaire désobligeant sur un combattant mort en Ukraine

En octobre 2024, Raïssa Novossiolova, une femme de ménage de la région de Kirov, avait écrit un commentaire sous une publication à propos d’un combattant tué en Ukraine. La teneur de ce commentaire est inconnue, mais il a servi de prétexte pour l’ouverture de poursuites pénales. Des experts y ont détecté des éléments « de mépris envers les soldats des Forces armées russes morts dans la zone de l’opération militaire spéciale ».
La semaine dernière, le tribunal l’a condamnée à 6 mois de prison avec sursis et interdiction de publier du contenu en ligne pendant six mois.

Un militant condamné à une amende pour critique du général Sourovikine

En 2023, Leonid Rybakov, militant et propriétaire d’une entreprise d’informatique à Tomsk, a publié sur VKontakt  une série de commentaires critiques sur le général russe Sourovikine, ayant dirigé les forces armées russes pendant les guerres en Ukraine et en Syrie.
Parmi ses commentaires :
« Laissez sortir un instant les vampires de leurs pieux.  Admirez-les dans toute leur splendeur. »
« Un porc entre les premiers – le boucher syrien et le général des offensives nuisibles. »
Le tribunal du district de Kirov l’a condamné à une amende de 150.000 roubles (l’équivalent de 6,68 fois le salaire minimum) pour « avoir critiqué l’armée de manière répétée ».
Il avait déjà été poursuivi pour avoir participé à une manifestation anti-guerre, accroché un drapeau ukrainien à la fenêtre de son appartement et appelé à « pisser sur les poutinistes ».
Photo des pages de Léonid Rybakov VKontakt

Un ingénieur de l’industrie de la défense condamné à 12 ans de prison pour  haute trahison

Un ingénieur en construction qui travaillait pour le complexe militaro-industriel à Rostov-sur-le-Don (Sud-Ouest de la Russie) avait correspondu avec un agent du renseignement militaire ukrainien (GUR) entre février et avril 2023.  Peu après, il avait été arrêté par les forces de sécurité russes.
Il avait été accusé de collaboration avec les services secrets ukrainiens et de haute trahison : selon l’enquête, il aurait transmis des informations sur l’entreprise à l’Ukraine. Le 18 février 2025, il a été condamné à 12 ans de détention en colonie pénitentiaire à régime sévère.

Un homme d’affaire condamné à 5 ans de prison pour critique de la guerre et de Poutine

Ruslan Bayazitov, homme d’affaires de Kazan et cofondateur de la chaîne de magasins d’électronique MELT, s’était exprimé de façon négative sur la guerre en Ukraine, Poutine et les partisans de l’« opération militaire spéciale ». Il avait enregistré un message vocal exprimant ses opinions sur la guerre et la politique, qu’il avait ensuite publié sur les réseaux sociaux.
Les forces de sécurité avaient découvert cet enregistrement lors d’un contrôle de routine sur internet.
Initialement, il avait été condamné à une amende de 30.000 roubles (l’équivalent d’1,33 fois le salaire minimum) et à 14 jours d’emprisonnement.
Mais après une dénonciation d’Ekaterina Mizoulina, une procédure pénale a été ouverte contre lui pour « incitation à la haine ». Il a été inscrit sur la liste des terroristes et extrémistes et condamné à 5 ans de colonie pénitentiaire à régime général.

Le fils d’un mercenaire Wagner risque 20 ans de prison pour avoir soutenu la Légion « Liberté de la Russie »

Evgueni Oubiraev, 29 ans, concepteur 3D, originaire du district autonome de Khanty-Mansi, avait rejoint la Légion « Liberté pour la Russie » car il était profondément affecté par la guerre en Ukraine et au bord de la dépression. Selon ses proches, il voulait « aider les gens une dernière fois », et avait choisi ce moyen comme une forme de suicide ».
Dans le cadre de sa collaboration avec la Légion, il avait filmé et photographié plusieurs installations militaires et parkings. Puis, il avait quitté la Russie avec sa femme pour l’Arménie où il était entré en utilisant son passeport interne russe.
En Arménie, il avait tenté d’obtenir un passeport international, sans succès pendant six mois. Conformément à la loi, il devait effectuer une sortie temporaire pour renouveler son statut. Pour ce faire, il avait choisi la Biélorussie où il pouvait également entrer avec un passeport interne russe. Mais à l’aéroport de Minsk des collaborateurs du FSB l’avaient arrêté. Il est actuellement détenu dans le centre de détention n°1 d’Ekaterinbourg et risque jusqu’à 20 ans de prison pour participation à une organisation terroriste.
Son père, ancien combattant en Tchétchénie, se bat actuellement en Ukraine, sous contrat avec le groupe Wagner. Le jeune homme lui avait téléphoné depuis l’Arménie pour lui expliquer qu’il tentait d’obtenir un passeport international, et son père lui avait promis de le ramener en Russie “sous escorte”.

Une retraitée accusée de « discrédit à l’encontre de l’armée » pour avoir qualifié Poutine de criminel de guerre

Anastasia Gordienko, une retraitée de 70 ans de la région d’Omsk, s’était exprimée contre la guerre en Ukraine dans les commentaires du réseau social « Odnoklassniki ». Elle avait exigé que les responsables du déclenchement de la guerre ainsi que du meutre des civils  soient punis, et avait déclaré que « la potence est encore trop douce pour ces crimes ». Elle avait aussi affirmé que « notre président avait été reconnu comme criminel de guerre à juste titre ». Elle avait également critiqué les Russes qui soutiennent l’invasion et croient à la rhétorique de la propagande , les qualifiant de « bêtes féroces, de barbares et d’assassins ».
Le 18 février, son avocat a annoncé qu’elle était accusée de discrédit à l’encontre de l’armée.

Un étudiant condamné à 13 ans de prison pour haute trahison

Artyom Konstantinov, un habitant de Mourmansk (Nord-Ouest de la Russie), avait envoyé des messages vocaux compromettants sur l’armée russe à un collaborateur du SBU (service de sécurité ukrainien). Il lui avait également transmis des photos de documents concernant le fonctionnement du commissariat militaire de la région de Mourmansk.
Quelque temps après, des agents du FSB l’avaient recherché. Soumis dans un premier temps à des pressions et incité à coopérer, ils l’avaient finalement arrêté et l’avaient accusé de haute trahison. La semaine dernière, le tribunal a rendu son verdict : Konstantinov a été condamné à 13 ans de détention en colonie pénitentiaire.

Amende pour des appels au retrait des troupes d’Ukraine

Une retraitée de la République de Komi (Nord-Ouest de la Russie) avait appelé, sur le réseau social VKontakte, à « organiser des manifestations pour le retrait des troupes d’Ukraine ». Elle a été accusée de « discrédit à l’encontre de l’armée » et condamnée à une amende de 55.000 roubles (l’équivalent de 2,4 fois le salaire minimum). Lors de son procès, elle a reconnu sa culpabilité.

Protestations en ligne

Action de la FAS : «Tu te bas, tu accouches toi-même de tes gosses»

Les militantes de la « Résistance féministe anti-guerre » ont mené une action en ligne à l’occasion du 23 février, jour où la Russie célèbre la fête professionnelle des militaires, appelée « Journée du défenseur de la patrie ».
Elles ont diffusé des slogans numériques « tu combats, tu accouches toi-même de tes gosses  », apposés sur des photos de bâtiments du ministère de la Défense, de l’Académie militaire et politique, ainsi que sur des portes de bureaux de recrutement et de centres de mobilisation.

Des lettres virtuelles pour dire comment la guerre détruit la Russie

À l’occasion du troisième anniversaire de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, le média indépendant « 7×7. Russie horizontale » a lancé un projet spécial anti-guerre « Rue de février, maison n° 24 ». Son projet vise à  exposer comment la guerre a dégradé la vie des Russes.
Sur la page d’accueil du site, on voit une boîte aux lettres avec une colombe tenant une enveloppe. En cliquant dessus, un message anti-guerre apparaît. Chaque lettre contient des chiffres illustrant les dommages causés à la Russie par la guerre. L’un des messages affirme :
« Plus de 150.000 habitants de la région de Koursk ont quitté leur domicile après l’offensive des forces armées ukrainiennes en août 2024. »

Divers

Diffusion de tracts contre la guerre à l’université de Kazan

A l’Université d’État de l’énergie de Kazan (KGEU), des tracts anti-guerre, rédigés en russe et en tatar, ont été affichés.
« L’Ukraine ne nous a pas attaqués, nos ennemis sont les occupants de Moscou ! Ceux qui nous envoient mourir à la guerre sont ceux qui ont vendu notre culture, notre terre et notre langue aux occupants, tandis qu’eux-mêmes sont devenus millionnaires et milliardaires !  Tatars, réveillez-vous ! Descendons dans la rue ! Si nous sommes mille, ils nous écraseront. Si nous sommes cent mille, le pouvoir tombera à genoux ! »
Ces tracts ont été placés dans presque tous les bâtiments de l’université.
Ils sont signés par le « Parti populaire Renaissance Tatar » (Yanarysh Tatar Xalık Partiyase), que la Cour suprême du Tatarstan a interdit en août 2024, le déclarant organisation extrémiste.

Un document du ministère de la Défense transmis par un médecin militaire déserteur à des journalistes

Alexeï Jilyaïev, ancien commandant de l’unité médicale d’évacuation de l’armée russe, a déserté. En quittant son poste, il a emporté une base de données du service médico-militaire du ministère de la Défense contenant des informations sur 166 000 soldats hospitalisés entre janvier 2022 et juin 2024.
Il a remis ces documents à des journalistes de Radio Svoboda qui les ont analysés et ont publié les chiffres et les faits les plus remarquables, tels que les milliers d’amputations pratiquées. 


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.

Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.