Chronique de la Russie qui proteste // 21 – 27 mai 2023

Chronique de la Russie qui proteste // 21 – 27 mai 2023

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


Actions et manifestations contre la guerre

A Saratov, l’activiste Andreï Kalachnikov a tenu un piquet solitaire le jour de la commémoration pour la déportation des Tatars de Crimée. Il s’est positionné pour la fin de la guerre en Ukraine, a rappelé le sort des déportés originaires du Caucase et réclamé la libération des prisonniers politiques.


Des tracts anti-guerre appelant à s’habiller aux couleurs du drapeau ukrainien sont apparus à Astrakhan.


A l’école n°12 de la région de Perm, où l’on étudie l’allemand approfondi, on a refusé d’organiser les ”Conversations importantes” avec des soldats revenus de la guerre, ainsi que d’autres manifestations patriotiques. L’une des enseignantes les plus âgées a dénoncé la direction de l’école. Auparavant, des agents du FSB avaient fréquenté l’école. 


Une personnalité publique de la région de Perm, Denis Galitski, portera plainte contre le Ministère de la Défense pour violation de la loi concernant l’utilisation de la langue russe sur la banderole «Pour la victoire! Pour la vérité!» à la Maison des Officiers. [Le mot “pour”en russe se prononce “Za”. Sur la banderole, le mot est écrit avec la lettre Z (alphabet latin) au lieu du З cyrillique, faisant ainsi référence au Z, symbole de l’opération spéciale menée en Ukraine] Il se réfère à la loi, promulguée en février par la Douma d’Etat, visant à « protéger la langue russe d’emprunts excessifs». 


Alexei Nechushkin, un Moscovite qui avait mis le feu à sa voiture pour protester contre la guerre, a été condamné à une peine de quatre ans dans une colonie du régime général. Il a été reconnu coupable de hooliganisme commis avec résistance à un représentant des autorités. 


A Moscou des ressortissants biélorusses, Dimitri et Ioulia Golovlev ont été arrêtés pour avoir lâché des ballons et arboré des drapeaux blanc et bleu dans l’arrondissement moscovite de Tchertanovo Severnoïe. Dimitri Golovlev a été livré au département des affaires intérieures de «Birioulevo est», accusé de hooliganisme. 


Deux hôtels à Krasnaïa Poliana ont refusé d’accrocher les décorations lors du Jour de la Victoire et ont invité les résidents à la «neutralité». Le gouverneur député Alexandre Khinshtein les a dénoncés au Parquet général. Après cela, le maire de Sotchi Alexeï Kopaïgorodski a ordonné la création d’une inspection des espaces publics afin qu’ils soient décorés en conformité avec les indications de l’Etat. 

Protestations de rue 

Photographies de différentes régions sur le canal de Roman Super.


«Cessez la guerre»

«La Paix est perdue! Elle était belle, bonne, joyeuse, aimait tout le monde, ne faisait pas de bêtise. On jouait seulement sur son propre territoire, on n’allait pas chez les autres. Le monde offrait la tranquillité et l’espoir. Aidez-nous à retrouver cette Paix!»


«Poutine à La Haye!»

Projet Kidmapping 

En Russie, des femmes activistes anti-guerre avec l’aide de «Novaya Gazeta Europe» et «Teplitsa – Technologies sociales» ont lancé le projet Kidmapping pour la recherche d’informations sur la localisation des enfants déportés sur les territoires de Russie, de Biélorussie ou les régions occupées d’Ukraine. Conjointement avec l’équipe de DOXA Kidmapping a lancé une investigation sur ce qu’il se passe en Russie avec les enfants d’Ukraine, qui est impliqué dans ces déportations.

Sabotages

Dans l’oblast d’Orenbourg, on a arrêté un jeune homme, qui, selon la version des forces de sécurité, avait prémédité l’incendie du bureau d’enrôlement militaire et d’une armoire relais sur la voie ferrée. Selon les dires du FSB, il a agi «sous la direction des services secrets ukrainiens». Les forces de sécurité ont ouvert une affaire pénale pour préparation d’attentats. 

Sanctions, affaires pénales et administratives 

Dans l’oblast de Vladimir le tribunal a condamné Ivan Kavinov a trois ans de colonie pénitentiaire à régime strict en raison d’un message sur Telegram sur la guerre en Ukraine, considéré comme «fake news». Le motif de poursuite de Kavinov était sept reposts d’ un des chats «Telegramat». Il y a envoyé des messages sur les tortures et les violences à l’égard d’ukrainiens innocents. «Mémorial» a reconnu Ivan Kavinov comme prisonnier politique.


L’accusation a demandé 8 ans de colonie pour Igor Baryshnikov, un homme âgé et malade du cancer de Kaliningrad. En mai 2022, il avait publié sur un poste Facebook sur Boucha et Marioupol. Les médecins ont conclu que Baryshnikov ne doit pas être détenu et a besoin d’une opération d’urgence à Saint-Pétersbourg. On ne l’a pourtant pas autorisé à quitter la région.Un retraité de 73 ans, Valeria Nikitchenko, de Saint-Pétersbourg a été accusé de « discrédit » de l’armée sur son site personnel, valenik.ru. Les forces de sécurité se sont penchées à des annonces et des photographies de protestation, mais aussi certaines «caricatures en faveur de l’Ukraine», précise ovd-info. Tout le matériel informatique de Nikitchenko a été réquisitionné en tant que «preuve».


Un habitant de la région d’Orenbourg, âgé de 62 ans, a exhorté à ne pas répondre aux convocations et à ne pas se rendre au centre de recrutement militaire lors d’une discussion ouverte sur Viber et a été condamné à une amende de 15 000 roubles (environ 1 Salaire minimum). L’enquête a considéré qu’il s’agissait d’un « discrédit » pour l’armée russe.


Ivan Losev, un habitant de Chita, s’est vu infliger une nouvelle amende pour avoir rêvé de Zelensky. Cette fois, c’est à cause d’une capture d’écran de la chaîne de télé « Dozhd », dans laquelle il parlait de ses amendes précédentes. La séquence vidéo était accompagnée de la légende « Sauvez l’Ukraine ». M. Losev avait déjà été condamné à une amende pour un message décrivant un rêve du président ukrainien et pour des commentaires adressés à Dozhd et au service russe de la BBC.


L’ancien ministre de l’agriculture de la région d’Arkhangelsk, Vladimir Lichny, s’est vu infliger une amende pour une photo sur laquelle Poutine est barré. En avril, Lichny a découpé une photo de Poutine dans un magazine, l’a barrée et a écrit « assassin ». Il a laissé la photo sur le tableau d’affichage de l’entrée. L’auteur a été retrouvé grâce aux images des caméras et le tribunal l’a reconnu coupable d’avoir jeté le discrédit sur l’armée.


Un éco-activiste de Komi est jugé pour avoir laissé un sac poubelle portant une inscription ZOO jaune et bleue sur le porche de la maison de la culture d’un village – une représentation « Izhma prépare le rendez-vous de la cargaison 200 ». C’était la manière d’Alexei Semenov d’appeler à la mobilisation pour le sabotage.


Une habitante d’Irkoutsk, Kamelia Slish, a été condamnée à un an et demi de prison avec sursis dans une affaire de « faux » militaires. L’affaire a été portée devant les tribunaux en raison des messages qu’elle a posté et reposté sur sa chaîne Telegram.


Le contractant de Bachkirie Marcel Kandarov, qui a refusé de participer à la guerre avec l’Ukraine, a été condamné à trois ans de prison en colonie pénitentiaire. Il a été envoyé en Ukraine, où il a passé un mois. De retour en Russie, Kandarov a déposé une demande de licenciement et a quitté l’unité.


À Kostroma, une habitante, Natalia Tarasova, a été accusée de discréditer l’armée : elle a publié le texte « Ouvrez les yeux #NoWar » et un lien vers la vidéo « In the coffin for Lada Granta » (Dans le cercueil de Lada Granta). La pauvreté est l’arme de Poutine. Pourquoi les Russes partent-ils en guerre ?


La répression se poursuit dans les régions du sud de la Russie avec la mise en application de l’article de loi sur le discrédit de l’armée. « Kavkaz.Realii » présente une sélection de nouveaux cas, dont nous rendons compte ci-dessous : 

  • Au Daghestan, des amendes ont été infligées à Magomed Saidbegov pour des commentaires anti-guerre et à Shamil Dzhabrailov pour une vidéo postée sur la chaîne YouTube « Students of Sham » avec le titre « Rejoice at Ukraine’s victories ? »
  • Le tribunal du district Kirovsky d’Astrakhan a infligé une amende à Vladislav Khamzin, un habitant de la ville, pour avoir publié un message anti-guerre sur les réseaux sociaux.
  • On a également appris que des procès-verbaux avaient été rédigés à l’encontre de Kamil Karimov d’Astrakhan et des habitants d’Adygea Sergey Nesterkov et Yana Tantsura.
  • Une habitante de Vladikavkaz a été condamnée à une amende de 100 000 roubles (environ six salaires minimums) et à un traitement ambulatoire obligatoire chez un psychiatre – elle a été jugée coupable d’avoir jeté à plusieurs reprises le discrédit sur l’armée. Il s’agit très probablement de Teona Kelekhsayeva.

Un tribunal a infligé 800 000 roubles (500 salaires minimums) à Igor Korotkov, un habitant d’Adygea, pour avoir diffusé le programme anti-guerre de Vladimir Milov dans un salon de discussion réunissant des partisans de la guerre.


Nikolai Chalbaev, un habitant de Chuvashia, a été condamné à une amende de 30 000 roubles (environ 2 salaires minimums) par un tribunal local dans une affaire de discrédit de l’armée pour avoir commenté une photo d’un char russe sur VKontakte : « Combien d’enfants ukrainiens a-t-il tué ? ».


Un tribunal de Zlatoust, dans la région de Chelyabinsk, a condamné l’ancienne députée municipale Natalia Guseva à une amende de 30 000 roubles (environ 2 millions d’euros) pour avoir discrédité l’armée russe en raison de deux articles anti-guerre publiés dans « Odnoklassniki ». 


Un habitant de Norilsk a été arrêté pendant sept jours en raison de publications sur Facebook. Sergei Kurilenko a été reconnu coupable d’incitation à la haine ou à l’hostilité en raison de la publication de « déclarations désobligeantes » à l’encontre de militaires, de leurs mères et de citoyens russes. L’homme a indiqué qu’il avait publié ces messages en signe de soutien à ses proches ukrainiens.


Un habitant de Kostroma a été condamné à une amende de 30 000 roubles (environ deux salaires minimums) pour avoir publié une vidéo anti-guerre de la chanson « Anthem of the Doomed » du groupe Nogu Svelo. 


Les auteurs de la chaîne YouTube « Anastasia et Arseny Otchiye », qui s’expriment contre la guerre, ont été condamnés à une amende pour discrédit de l’armée en raison de la vidéo « IMPORTANT. Comment ne pas être mobilisé à 100 % ? Anastasia y exhorte à ne pas aller à la guerre et à ne pas obéir aux ordres de tuer des gens. 


Yegor Savchenko et Mikhail Zhidkov, deux habitants de Kertch, ont été arrêtés pendant 15 jours à cause de graffitis pro-ukrainiens. Un blogueur pro-gouvernemental a publié une vidéo montrant les activistes détenus par 5 membres des forces spéciales portant des masques et des armes à feu. 


Le blogueur Artur Markov, de Krasnoyarsk, a été condamné à une amende de 30 000 roubles (environ 2 salaires minimums) pour discrédit de l’armée russe et a été contraint de s’excuser devant la caméra. Le jeune homme a été arrêté au début du mois d’avril : au cours d’un stream, il s’était prononcé contre la guerre et avait promis de jouer de la musique ukrainienne en réponse à des commentaires pro-russes.


Le procureur a requis sept mois de travail correctionnel avec retenue d’un pourcentage du salaire au profit de l’État à l’encontre de Diana Nefedova, une habitante de Chelyabinsk, accusée dans l’affaire de cinq reposts sur la guerre en Ukraine effectuées en avril 2022.

Contrôles, interdictions, annulations

Une passagère a été arrêtée pour avoir lu un livre en ukrainien dans l’avion. La jeune fille volait de Moscou à Vladikavkaz. Elle a semblé suspecte aux passagers attentifs et, à l’arrivée, les forces de l’ordre l’ont rencontrée dans la passerelle. Ils ont trouvé des badges et des autocollants arborant le drapeau ukrainien. 


Le maire de Krasnodar a demandé à ce que tous les karaokés de la ville soient contrôlés après que dans l’un d’entre eux, La Major, ait été interprété l’hymne ukrainien « Shche ne vmerla Ukraina ». Le maire, Yevgeny Naumov, a donné pour instruction d' »exclure la possibilité de tels incidents ». La police a ouvert une enquête.


Le poète Oryol Alexander Byvshev a été inscrit au registre des extrémistes. Auparavant, il avait été accusé d’appel au terrorisme pour avoir publié des messages et des poèmes anti-guerre sur les réseaux sociaux. Byvshev a commencé à écrire des textes en faveur de l’Ukraine en 2014, et au fil des ans, quatre affaires pénales ont été montées contre lui.


Le Roskomnadzor a bloqué la ressource DeepStateMap – une carte de interactive en ligne des combats en Ukraine basée sur des sources ouvertes.À Arkhangelsk, le concert du groupe « Splin » a été annulé. reporté trois fois. En avril, Splin a été retiré de l’affiche du festival de rock « Vent de Sibérie » à la suite d’une plainte de l’organisation patriotique « Union des pères ».


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France. Remerciements à Riva Evstifeeva et Emilia Koustova pour leur travail de coordination et de relecture.
© Memorial / © Memorial France pour la version française.