Chronique de la Russie qui proteste // 26 fév. – 3 mars 2024

Chronique de la Russie qui proteste // 26 fév. – 3 mars 2024

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


Slogans anti-guerre lors des adieux à Alexeï Navalny

« Non à la guerre ! », « Les Ukrainiens sont des gens bien ! », ont crié des milliers de personnes lors des adieux à Alexeï Navalny. Des vidéos de la foule scandant des slogans sont diffusées par de nombreuses chaînes et agences de presse. Selon les médias d’opposition, il y avait au moins 16 000 personnes à la cérémonie d’adieu.

Des notes avec des textes anti-guerre ont été laissées avec des fleurs par ceux qui sont venus du 1er au 3 mars pour dire au revoir à Alexeï Navalny. Des inscriptions sont apparues sur des bâtiments et des voitures alors que les gens marchaient vers le cimetière.

La ville parle

Une affiche déchirée du service contractuel, avec  l’inscription : « Non à la guerre »


Sur la voiture on peut lire l’inscription : « Les idées sont immortelles. Non à la guerre »


Inscriptions sur une voiture : « Non à la guerre ! », « Poutine à La Haye », « Nous sommes pour la paix ». Les forces de sécurité ont arrêté la voiture et ont forcé les occupants à nettoyer les inscriptions. Le conducteur a ensuite été relâché.


Inscription : « Lutte pour la paix » sur le monument aux victimes des répressions politiques à Toula.


Dans la région centrale de Volgograd, à côté d’un dessin représentant le Christ en croix avec l’inscription « Sauve et protège » est apparue l’inscription « Va te faire foutre la guerre ».


Une habitante de Tcheliabinsk a tagué des pancartes pour la campagne de recrutement et les a accrochées près du bureau de vote. Sur les pancartes on peut lire  :  « Poutine assassin », « Non à la guerre ».  


Le 1er mars, un habitant de la région a accroché des poèmes anti-guerre d’Akhmatova et d’Evtouchenko près de la maison de Boris Nemtsov à Iaroslavl. Il a également lancé un appel aux employés du Centre « E », qui détruisent le mémorial à Alexeï Navalny et jettent les fleurs, en leur demandant de ne pas oublier de « se jeter eux-mêmes à la poubelle ». 


Les gens écrivent des « messages » à Poutine à la peinture rouge sur les murs des maisons, rapporte la chaîne Telegram la Flèche. Les inscriptions « Non à la guerre », « Élections volées » et « PTN PNH » (Poutine, va te faire enculer) ont été vues à Engels, dans la région de Saratov, à Lipetsk et à Briansk. 


L’installation « La vérité ! Rien que la vérité ! » sur la loi sur les « fakes » est apparue dans le centre de Saint-Pétersbourg à l’occasion du deuxième anniversaire de l’adoption de la loi sur la responsabilité pénale pour la diffusion de fausses informations sur les forces armées. Les modifications apportées au code pénal au début de la guerre ont permis l’arrestation et la condamnation à des peines de prison de militants anti-guerre. En janvier 2024, des poursuites pénales avaient été engagées contre 273 personnes en vertu de cet article. Une installation sous la forme d’une affiche est apparue dans l’arche de l’une des maisons de la rue Pravda. Les caractères parodient  ceux du principal journal soviétique, la Pravda,  organe du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique.


Piquets solitaires

Un piquet de grève contre la guerre et les assassinats politiques a eu lieu à Khabarovsk. Le militant Zigmund Khudyakov a rappelé la mémoire d’ Alexeï Navalny et de Boris Nemtsov, et a également promis aux autorités qu’aucun de ceux qu’ils ont tués ne serait oublié.

Persécutions

« Paix et liberté pour les citoyens de Russie ! Non à la guerre ! », a crié le journaliste Roman Ivanov au tribunal. Il est jugé pour des « fakes » sur l’armée, qui ont été trouvés dans ses messages sur la chaîne Telegram « L’honnête Korolevskoïe » – en particulier pour une publication sur le rapport de l’ONU sur Boutcha. Le 1er mars, le procureur a requis 8 ans de colonie pénitentiaire contre le journaliste Raman Ivanov. L’accusé est venu à l’audience vêtu d’un T-shirt portant une citation d’un poème d’Evgenia Berkovich, qui fait également l’objet d’une enquête : « Et le printemps viendra. Et personne ne peut l’interdire.


Polina Yevtushenko, 25 ans, qui a publié des messages de soutien à l’Ukraine et des appels anti-guerre sur ses réseaux sociaux, a été inculpée de 12 crimes en vertu de 6 articles de loi. Elle risque 22,5 ans de prison. Polina Yevtushenko a été arrêtée à l’été 2023. Initialement, elle a été accusée de trahison, maintenant elle est accusée de 6 autres chefs d’accusation, dont  appels à la trahison et à l’extrémisme.


Le tribunal a placé en détention provisoire Darya Kozyreva, militante de 18 ans jusqu’au 25 avril. Elle a été reconnue coupable d’avoir « discrédité l’armée » à plusieurs reprises. La militante a été arrêtée le 24 février 2024 : elle avait  collé une affiche sur le monument de Saint-Pétersbourg à Taras Chevtchenko avec un fragment de son poème « Testament ». Auparavant, Daria avait déjà été arrêtée et des poursuites administratives et pénales avaient été ouvertes, alors qu’elle était encore écolière, pour des publications anti-guerre sur les réseaux sociaux et l’inscription sur le mur « Assassins,  Vous l’avez bombardé. Judas » sur le cœur l’inscription « Marioupol ». 


À Khanty-Mansiysk (Sibérie occidentale), une procédure pénale a été ouverte contre un gardien de marché pour avoir discrédité l’armée à l’occasion d’une conversation sur la guerre dans un fumoir. Le 28 février, Evgueni Lazutine, 50 ans, est devenu nerveux lors d’une conversation dans le fumoir et a commencé à traiter de « crétins » et de « chair à canon » les participants à la guerre en Ukraine. Plus tôt, le tribunal l’avait condamné à une amende de 30 000 roubles (2 salaires minimums) en vertu d’un article administratif sur le discrédit de l’armée russe en raison d’une publication sur un réseau social. 


Six ans dans une colonie pénitentiaire de haute sécurité pour cinq reposts sur la guerre – c’est la peine infligée à Ruben Pogosyan, un habitant de Petrozavodsk. Il est accusé d’avoir publié des articles sur le bombardement du théâtre dramatique de Marioupol, les crimes de l’armée russe à Boutcha, l’attaque de missiles sur la gare de Kramatorsk et l’incendie de la centrale nucléaire de Zaporijjia. En 2019, Poghosyan a raconté à Mediazona les tortures qu’il avait subies dans la colonie pénitentiaire n° 9 de Petrozavodsk, où il purgeait sa peine. Par la suite, une procédure pénale a été ouverte contre le personnel de l’établissement correctionnel. 


L’auteur du blog « Notes d’un médecin pédiatre » Sergueï Butriy a été arrêté pendant 10 jours pour son interview avec Katerina Gordeeva en vertu de l’article sur l’incitation à la haine ou à l’inimitié. Butriy a cité la phrase « si tu veux devenir un bon Russe, couche-toi dans ton cercueil » de la chanson « Land of Rains » de Noize MC. Le 28 février, le tribunal a rejeté l’appel et confirmé la peine. Sergey Butriy est un pédiatre et éducateur bien connu, environ 230 000 utilisateurs sont abonnés à ses pages publiques sur VKontakte,  plus de 110 000 sur Telegram et près de 64 000 sur Facebook. 


Viatcheslav Lutor, de Saint-Pétersbourg, a été condamné à 10 ans de prison. Il correspondait avec un présumé recruteur de Freedom of Russia. Il a été accusé de tentative de trahison, de coopération confidentielle avec un représentant d’un État étranger et de participation à une organisation terroriste. 


À Saint-Pétersbourg, un homme a été arrêté, soupçonné d’avoir mis le feu à une armoire-relais. Selon 47 news, le 10 février, un homme a mis le feu à une armoire relais entre les stations Strelnaya et Sergiyevo. Une enquête pour acte de terrorisme a étré ouverte. https://paperpaper.io/papernews/2024/2/28/v-peterburge-zaderzhali-podozrevaemo-10/


Un habitant de Iaroslav a été condamné à 3,5 ans de prison pour des graffitis en soutien à Navalny et contre la guerre. Il a été reconnu coupable de vandalisme motivé par la haine politique et de participation aux activités d’une organisation extrémiste. Selon les enquêteurs, en juin, il a peint des graffitis sur des arrêts de bus et des bâtiments en soutien à Alexeï Navalny et à la Fondation anti-corruption, et il a également été impliqué dans des activités de lutte contre la corruption.Il a participé aux inscriptions « Liberté pour les prisonniers politiques » et « Non à la guerre ».


Vitaly Torochkov et Polina Roots, parents de nombreux enfants de Tcherepovets, ont été condamnés à 13 et 9 ans de prison : ils ont été reconnus coupables en vertu d’articles sur l’apologie du terrorisme, de l’acquisition et le stockage illégaux d’explosifs et de la fabrication illégale d’explosifs. Selon Memorial, ils ont été inculpés d’apologie du terrorisme parce qu’ils ont posté sur leurs réseaux sociaux une vidéo intitulée « Passeport russe – Honte et infamie! » Sur leurs pages de médias sociaux, ils ont publié des messages de soutien à l’Ukraine, des chants nationaux ukrainiens, des messages anti-guerre et anti-Poutine. 


Un habitant de Petrozavodsk a été condamné à une amende de 30 000 roubles pour un commentaire sur la page de l’ex-maire de Lyubarsky, parti à la guerre. Le blogueur Trunov a critiqué Lyubarsky pour s’être battu contre l’Ukraine. La dénonciation de Trunov aux forces de l’ordre est venue de l’administration du chef de la Carélie. https://t.me/horizontal_russia/33750


Le rédacteur en chef de Novaïa Gazeta, Sergueï Sokolov, a été condamné à une amende de 30 000 roubles pour « discrédit » de l’armée. C’est ce qu’ont rapporté des représentants du journal. Sokolov a été emmené de chez lui par des employés du Centre de lutte contre l’extrémisme où ils ont dressé un procès-verbal pour la publication de Novaïa Gazeta sur la façon dont les orphelins sont forcés de signer des contrats avec le ministère de la Défense et d’aller à la guerre. Sokolov a remplacé le lauréat du prix Nobel Dmitri Mouratov en tant que rédacteur en chef de Novaïa Gazeta  après qu’il a été ajouté à la liste des agents étrangers. 


Boris Romanov, ancien député municipal de Saint-Pétersbourg, a été condamné par contumace à 6 ans de prison pour « fakes ». Le 29 mars 2022, lors d’une réunion du conseil municipal du district de Svitlanovskoïe, il s’est prononcé contre les exactions de l’armée russe sur le territoire de l’Ukraine, a parlé des événements de Boutcha. En mai de la même année, il avait été placé en détention pendant 3 mois dans un centre de détention provisoire, puis sa condamnation a été modifiée. Immédiatement après sa libération, Romanov a quitté la Russie. Le procureur a requis 9 ans de prison contre lui. 


Au cours des deux années de guerre en Ukraine, 487 écologistes et militants écologistes ont été persécutés, dont 74 en raison de leur position anti-guerre. Cinq d’entre eux ont été condamnés à des peines de prison. C’est le résultat des investigations d’Important Stories sur la base de rapports sur la persécution des écologistes en Russie. En outre, des militants ont été condamnés à des amendes, menacés et leurs biens ont été détruits. 


Depuis deux ans, le FSB persécute les scientifiques qui se sont prononcés contre la guerre. Des universitaires ont subi des pressions par l’intermédiaire de leurs épouses, et de nombreux scientifiques ont été menacés de poursuites pénales ou ont même ouvert des enquêtes en vue de les intimider. Dans un institut de recherche russe, plus de 20 personnes ont signé une lettre contre la guerre, mais presque toutes ont dû quitter le pays après avoir été contactées par les forces de sécurité. L’ enquête sur le plus grand cas de scientifiques, signataires de la lettre anti-guerre,  est publiée publie par  l’invariant T.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé en commun par l’Association Memorial, Le groupe de défense des droits humains de Kharkiv, Memorial Italia, Memorial Deutschland, Memorial CZ, Memoriał Polska et ADC Memorial.
Ont participé à l’élaboration de la version française : Apolline Collin, Marie-Claude Farison, Hélène Gauthier, Adrien Barre, Clémence Brasseur et toute l’équipe de traducteurs bénévoles de l’association Mémorial France. Remerciements à Riva Evstifeeva et Emilia Koustova pour leur travail de coordination et de relecture.
© Memorial / © Memorial France pour la version française.