Chronique de la Russie qui proteste // 27 janvier – 2 février 2025
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Moscou

“Poutine, salope, rends-moi mon fils.”
Kirov (district fédéral de la Volga)
Le ruban vert est un symbole de résistance à la guerre.
Piquets de protestation solitaire et manifestations
Piquet de soutien à Arseni Tourbine à Perm


Le 24 janvier, Viktor Giline, 78 ans, est sorti pour la troisième fois, muni d’une pancarte de soutien à Arseni Tourbine devant le bâtiment de l’administration du gouverneur à Perm (district fédéral de la Volga).
L’inscription sur sa pancarte disait :
« Vladimir Poutine ! Ne permettons pas que la Russie devienne un enfer maccarthyste ! Fondement : l’affaire pénale contre Arseni Tourbine et l’article 29 de la Constitution de la Fédération de Russie. » [NdlR. Le maccarthysme fait référence aux répressions politiques contre les citoyens supposés « anti-américains » aux États-Unis dans les années 1940–1950. L’article 29 de la constitution garantit la liberté de pensée et de parole.]
Arseni Tourbine, âgé de 16 ans, a été condamné à cinq ans de prison, sur la base de procès-verbaux falsifiés par les forces de sécurité, l’accusant d’avoir voulu rejoindre la Légion Liberté de la Russie.
Piquet anti-guerre de Roman Ivanov au tribunal

Le 28 janvier, le journaliste Roman Ivanov, condamné pour avoir diffusé des « fausses informations » sur l’armée, a mené un piquet anti-guerre au tribunal régional de Moscou, lors de l’audience en appel de sa condamnation.
Connecté par visioconférence, Roman a brandi une pancarte artisanale sur laquelle on pouvait lire :
« Un peuple ne peut pas être assez stupide pour être gouverné par quelqu’un qui aime les cadavres. De 250 000 à 1 000 000 de morts ! »
L’assistante du juge a alors déclaré qu’il était interdit de filmer et a coupé la connexion d’Ivanov. L’audience a été reportée au 18 février.
Photo : SOTAvision
Piquet d’une militante non-voyante en soutien aux médecins anti-guerre emprisonnés

Le 29 janvier, Oksana Ossadtchaïa, militante non-voyante, a tenu un piquet de protestation solitaire en soutien aux médecins emprisonnés pour leurs prises de position anti-guerre. Elle a déployé près du monument à Boulat Okoudjava, sur l’Arbat à Moscou, une pancarte avec l’inscription : « Ce sont les meurtriers qui doivent être en prison, les médecins doivent soigner les gens. » Oksana a rappelé les affaires des médecins Nadejda Bouianova et Olga Menchikh, condamnées respectivement à 5 ans et demi, et 8 ans de colonie pénitentiaire pour des déclarations contre la guerre.
Poursuites
Une militante arrêtée pour avoir accroché une banderole de soutien à des étudiants prisonniers politiques sur le monument Lomonossov à l’Université de Moscou

Le 27 janvier, les forces de l’ordre ont arrêté Anastassia Martynova, qui, deux jours plus tôt, avait accroché une banderole au monument dédié à Mikhaïl Lomonossov devant le bâtiment principal de l’Université d’État de Moscou (MGU). L’inscription disait : « Liberté pour les prisonniers politiques du MGU, D. Ivanov et A. Miftakhov ! » Au commissariat, Anastassia a été avertie du caractère inacceptable des actes illégaux, puis relâchée sans qu’un procès-verbal ne soit dressé contre elle.
Deux ans de colonie pénitentiaire à régime ouvert pour avoir comparé le chanteur SHAMAN à un nazi des Jeunesses hitlériennes

Vladimir Efimov, journaliste de 70 ans et président de la section régionale du parti Iabloko au Kamtchatka, continue de s’exprimer contre la guerre en Ukraine, malgré deux affaires pénales déjà ouvertes contre lui pour « discrédit répété à l’encontre de l’armée », ainsi qu’une amende pour des publications anti-guerre.
Le 29 janvier, il a été condamné à deux ans de colonie pénitentiaire à régime ouvert (colonie de peuplement) pour discrédit répété à l’encontre des forces armées russes. Le tribunal lui a également interdit de publier en ligne et d’administrer des sites et des chaînes Internet pendant quatre ans.
Huit ans de prison pour une lettre au procureur général mentionnant Boutcha

Konstantin Selezniov, un retraité habitant Moscou, avait envoyé une lettre au procureur général de la Fédération de Russie dans laquelle il évoquait le rapport de l’ONU sur les crimes commis par des militaires russes dans trois régions d’Ukraine, ainsi que l’enquête du New York Times sur les exécutions de civils à Boutcha par l’armée russe. Il avait publié cette lettre sur VKontakte, puis un autre message intitulé :
« Lettre à Poutine en tant que dirigeant d’un État terroriste ». Dans ce second post, il mentionnait le crash du 17 juillet 2014, où un avion de ligne avait été abattu par les forces russes dans une zone contrôlée par Moscou dans la région de Donetsk.
Le 27 janvier, le tribunal de Lefortovo l’a condamné à huit ans de prison.
Verdict rendu contre un coordinateur d’« Artpodgotovka »

Nikolai Lekomtsev, un ingénieur originaire de Naberejnye Tchelny (district fédéral de la Volga), avait été arrêté en septembre 2023 pour avoir coordonné des membres du mouvement « Artpodgotovka », organisation reconnue comme extrémiste en Russie, via les chaînes Telegram Skotobaza et ZVérolovy. Selon l’enquête, Nikolai faisait la promotion d’idées en faveur du renversement violent du pouvoir et de la destruction des bases de l’ordre constitutionnel en Russie, tout en exprimant des critiques à l’égard de l’« opération militaire spéciale » en Ukraine.
Le 27 janvier, Nikolai Lekomtsev a été condamné à deux ans et demi de colonie pénitentiaire.
Troisième affaire pénale contre une bénévole de l’« Armée des Beautés » pour des dons au bataillon Azov

Un troisième dossier pénal, pour haute trahison cette fois, a été ouvert contre Nadejda Rossinskaïa (alias Nadin Geysler), bénévole de « l’Armée des Beautés », qui venait en aide aux réfugiés ukrainiens. Elle est accusée d’avoir publié sur Instagram un message appelant à faire des dons au bataillon Azov.
La défense de Nadin affirme que le compte Instagram en question ne lui appartient pas. L’état de santé de Rossinskaïa s’est dégradé en détention provisoire : maux de tête, tachycardie, baisse de la vue et faiblesse générale l’empêchant de se tenir debout.
Dix amendes infligées à un chansonnier pour ses chansons anti-guerre
Le chanteur de ballades russes Andreï Bouianov, originaire de Moscou, publiait sur sa page VKontakte des chansons, poèmes et déclarations anti-guerre. Il condamnait notamment les bombardements de Tchernihiv et l’explosion du barrage de Kakhovka. Il écrivait à propos des funérailles d’Alexeï Navalny: « …devant l’église, les gens scandent ce qui aurait dû résonner dans les églises pendant ces deux années : “Non à la guerre !” Mais ce n’est pas le cas. La voix de Dieu, chassée des temples… »
Le 27 janvier, le tribunal de Nagatino, à Moscou, a infligé à Andreï Bouianov des amendes pour “discrédit à l’encontre de l’armée russe”, s’élevant à plus de 300 000 roubles (soit 13,4 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie).
Une question sur l’achat d’un drapeau du RDK assimilée à du terrorisme

En 2023, un habitant de Moscou, Alexeï K., avait demandé en commentaire d’une publication de Denis Kapoustine, fondateur du Corps des volontaires russes (RDK), où acheter un drapeau du mouvement, et il avait accompagné son message du logo du RDK.
Le 15 janvier 2025, Alexeï a été arrêté pour 15 jours pour ostension de symboles d’une organisation interdite. Mais à l’issue de cette peine, il n’a pas été libéré : le 27 janvier, il a été placé en détention provisoire (SIZO), cette fois accusé de participation à une organisation terroriste, pour le même commentaire.
Des éloges de la LSR et du bataillon Azov pourraient valoir 6 ans de prison
Pour les commentaires :
« Bandera n’est plus, mais les pilotes et le commandant de la Légion Liberté de la Russie [LSR] sont de VÉRITABLES HÉROS »
et « Le bataillon Azov défend sa patrie. Peut-être ne sont-ils pas des héros, mais ce sont assurément des PATRIOTES », Konstantin Ogoltsov, un juriste de Tcheliabinsk, est en détention provisoire depuis avril 2024, accusé “d’apologie du terrorisme”.
Le 28 janvier, la procureure a requis 6 ans de prison et 3 ans d’interdiction d’administrer des ressources en ligne.
Un directeur de Sakhamedia condamné à une amende pour un lien vers un article de Meduza sur Boutcha
Le canal Telegram de l’agence de presse publique Agence d’information Yakoutsk-Sakha (YASIA) avait partagé en avril 2022 un lien vers un article du média indépendant Meduza, où une députée de la ville ukrainienne de Boutcha racontait la vie après l’occupation russe.
Le 29 janvier, on a appris qu’Alexandre Sivtsev, directeur adjoint du groupe public Sakhamedia, avait été reconnu coupable de collaboration avec une organisation indésirable et condamné à une amende de 20 000 roubles (soit 0,9 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie).
12 ans de prison et une amende pour avoir photographié une base militaire
Un habitant de 25 ans de la région de Moscou a été arrêté par les services du FSB pour avoir photographié une base militaire « dans l’une des régions de Russie » et « transmis ces images à des représentants d’un groupement paramilitaire ukrainien reconnu comme terroriste ».
Selon l’enquête, il avait également transféré des bitcoins vers des comptes servant au soutien financier et logistique des forces armées ukrainiennes.
Le 28 janvier, un tribunal de Tchouvachie a rendu son verdict :
– 12 ans de colonie pénitentiaire pour “haute trahison”,
– 1 an de liberté surveillée après sa libération,
– et une amende de 150 000 roubles (soit 6,7 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie).
18 ans de colonie pénitentiaire pour un individu suspecté d’incendie d’un bureau de recrutement militaire à Bratsk

En janvier 2023, Dmitri Mikheïev, un ingénieur du son de la chaîne locale TRK Bratsk, avait lancé un cocktail Molotov dans la fenêtre du bureau d’enrôlement militaire situé rue Riabinova, à Bratsk (district fédéral sibérien). Il avait été arrêté le lendemain et placé en détention provisoire (SIZO). Il avait passé environ six mois en hôpital psychiatrique pour un traitement forcé.
Le 30 janvier, le tribunal l’a reconnu coupable « d’acte terroriste », « apprentissage du terrorisme » et « haute trahison », et l’a condamné à 18 ans de détention. Dmitri passera les 5 premières années en prison ordinaire, puis le reste de la peine en colonie pénitentiaire à régime sévère.
Un Bouriate reconnu coupable de terrorisme et de haute trahison pour un don de 500 roubles au RDK

Alexeï Badmaïev, 21 ans, originaire d’Oulan-Oude (district fédéral d’Extrême-Orient), avait transféré 500 roubles en soutien au Corps des volontaires russes (RDK) et publié plusieurs commentaires favorables à la Légion Liberté de la Russie. Le 31 janvier, le 2e tribunal militaire régionnal Oriental l’a reconnu coupable « d’apologie du terrorisme » et de « haute trahison », et l’a condamné à 7 ans de détention, dont : 2 ans et demi en prison ordinaire, puis 4 ans et demi en colonie pénitentiaire à régime sévère.
4 ans de colonie pénitentiaire pour 4 commentaires anti-guerre sur YouTube
Pour avoir posté sur YouTube des commentaires favorables à propos des actions du bataillon « Azov » et des frappes aériennes sur une base pétrolière et des infrastructures civiles dans la région de Belgorod (district fédéral central), Ruslan Baguirov, un habitant de Volgograd, a été reconnu coupable « d’incitation au terrorisme ». Il a été condamné à 4 ans de colonie pénitentiaire à régime général.
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.