Chronique de la Russie qui proteste // 30 av. – 6 mai 2023
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
Culture
Dans la région de Koursk, la mère d’un artiste ayant organisé une exposition anti-guerre a été arrêtée. Le 22 avril, une exposition des œuvres d’Andrei Siomkine avait été inaugurée à Jeleznogorsk. Le propriétaire avait appelé la police en raison d’une prétendue vitre cassée. Siomkine lui-même avait quitté la Russie peu avant l’ouverture de l’exposition, et le 1er mai, sa mère a été arrêtée par la police, qui a fouillé son appartement et a appelé Siomkine depuis son téléphone.
Amendes, affaires administratives et pénales
A Ijevsk la police a arrêté deux citoyens soupçonnés d’avoir apposé un graffiti « ***** fascistes » sur un panneau publicitaire de recrutement sous contrat dans l’armée. L’inscription est apparue sur un panneau d’affichage de la ville de Mozhga (Oudmourtie). Les policiers ont établi un procès-verbal pour “ discrédit ” à l’encontre de l’armée.
À Orsk, un tribunal a infligé une amende à une enseignante d’un institut technique pour avoir tenté d’afficher sur un panneau d’information la copie imprimée d’un article de Wikipédia intitulé L’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Evgeny Karpov, ancien coordinateur de l’équipe dirigeante de Navalny à Voronej, a a été placé sur la liste des personnes recherchées dans le cadre d’une affaire pénale de “ discrédit à l’encontre de l’armée ”, ouverte en raison de publications anti-guerre sur son projet Vornadzor [Voleur au poteau ]. Auparavant, les forces de l’ordre avaient perquisitionné chez les parents du militant, saisi du matériel informatique et posé des questions sur son éventuel retour de Géorgie ainsi que sur d’autres membres de sa famille.
Aïkhal Ammossov, un militant anti-guerre de Yakoutie, a été placé sur la liste des personnes recherchées et ajouté au registre des terroristes et extrémistes. Il est probable qu’une nouvelle affaire pénale ait été ouverte contre lui. L’été dernier, Ammossov avait été inculpé pour “ discrédit ” à l’encontre de l’armée après avoir déployé dans le centre de Iakoutsk une banderole Yakutian punk against war [ Punk yakoute contre la guerre]. En décembre 2022, il avait quitté la Russie.
À Riazan, un tribunal a condamné le réalisateur Sergueï Erzhenkov et le militant Sergueï Skoreev à huit mois de restriction de liberté restreinte pour vandalisme. L’affaire avait été ouverte en raison d’une inscription, Poutine z**l, fous-le camp ! [Poutine, t’es baisé, fous le camp !], qu’ils avaient peinte sur un monument en l’honneur de Lénine à Kasimov, ville de la région de Riazan. Erzhenkov dit qu’il a été torturé lors de son arrestation.
Une commission d’enquête a ouvert une procédure distincte contre la défenseuse des droits humains de Bouriatie, Nadejda Nizovkina, qui a refusé de témoigner contre Natalia Filonova, une retraitée arrêtée pour sa position anti-guerre .En mai 2022, un tribunal avait infligé une amende à Nizovkina pour avoir publié un enregistrement vidéo de sa conversation avec Filonova après que cette dernière ait exigé que la lettre Z soit retirée d’un bus à Oulan-Oudé.
Piquets de protestation solitaire et rassemblements
Dans plusieurs villes, notamment à Ukhta, Vologda, Yoshkar-Ola, Ijevsk, Kirov, Tyumen, Tula, Novosibirsk et Saint-Pétersbourg, des mémoriaux improvisés ont été érigés après le bombardement de Outcha. À Moscou, une jeune fille a été arrêtée alors qu’elle tentait de porter des fleurs devant le monument à la mémoire de Lesya Ukrainka [NdlR, Poétesse ukrainienne]. Après avoir été relâchée, elle est revenue et a déposé les fleurs.
À Ekaterinbourg et à Kazan, quatre personnes en piquets de protestation solitaire, portant des pancartes en faveur de la paix, ont été arrêtés. Un procès-verbal pour “ discrédit à l’encontre ” de l’armée a été établi contre l’une d’entre elles, à Ekaterinbourg.
À Novossibirsk s’est tenu un rassemblement d’environ 50 personnes, intitulé Pas de guerre, sauf la guerre des classes. Les militants du mouvement Virage rouge ont notamment évoqué le nombre de soldats russes morts en Ukraine.
Divers
Le tribunal a bloqué le site du Mouvement des objecteurs de conscience. Depuis 2014, ce mouvement aide les jeunes à se soustraire légalement à l’appel sous les drapeaux et fournit une assistance psychologique et juridique aux conscrits. La raison du blocage est son contenu qui ” discrédite l’armée et justifie l’évasion du service militaire ”.
On a remarqué à Moscou un autocollant anti-guerre représentant l’animateur du Champ des merveilles Leonid Yakoubovitch accompagné du texte suivant « 300 mille âmes sur le tambour ! Quelle est la lettre manquante ? » La g…rr…, on s’en f.. !
[NdlR, L’expression 300.000 âmes sur le tambour fait allusion au célèbre jeu télévisé russe Le champ des merveilles, qui est une version russe de Wheel of Fortune. Dans le contexte de ce jeu, le tambour fait référence à la roue que les participants tournent pour déterminer les prix ou les sommes d’argent qu’ils peuvent gagner. L’expression joue sur le fait que les 300.000 âmes mentionnées évoquent de manière sarcastique le nombre de personnes enrôlées pour la guerre, tout en utilisant le vocabulaire du jeu.]
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.