Chronique de la Russie qui proteste // 30 décembre 2024 – 5 janvier 2025
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
Piquets de protestation solitaire et rassemblements
Piquet solitaire de soutien à Arseni Tourbine (16 ans)
À Perm (Oural), un militant,Viktor Guiline, 79 ans, a tenu un piquet de protestation solitaire en soutien à Arseni Tourbine, en tenant une pancarte sur laquelle était inscrit : « Vladimir Poutine ! Arseni Tourbine n’est pas un criminel. Je réclame sa remise en liberté immédiate ! »
Arseni Tourbine, 16 ans, a été condamné à 5 ans de détention en colonie pénitentiaire parce qu’il aurait tenté de s’enrôler dans la Légion « Liberté de la Russie” [NdlR, Formation paramilitaire russe combattant aux côtés de l’armée ukrainienne] et distribué dans des boîtes aux lettres des tracts critiques envers Vladimir Poutine.
Photo : abonné ASTRA
Attentats et sabotages
Une tour de télécommunication incendiée à Tver
Un post publié le 31 décembre dernier sur le canal Telegram Résistance de la Légion fait état de l’incendie d’une tour de télécommunication, à Tver (Dictrict fédéral central), ayant entraîné une interruption des émissions de télévision.
Incendie volontaire d’une antenne de télécommunication dans l’oblast de Leningrad
Selon une publication du 2 janvier 2025 sur le canal Telegram Résistance de la Légion, une tour de télécommunication a été incendiée à Tosksovskoe (Région de Leningrad), à proximité du Centre de formation de l’institut militaire de culture physique, établissement considéré comme stratégique.
Acte de sabotage sur une voie ferrée dans la région de Tver, par le groupe Atesh
Dans la nuit du 2 au 3 janvier, des membres du groupe Atesh [NDLR : mouvement de résistance à l’occupation russe en Ukraine, fondé fin septembre 2022 par des Tatars de Crimée] ont mis le feu à une armoire-relais sur une voie ferrée, près du village de Staraya Toropa (Région de Tver).
Selon les informations publiées sur le canal Telegram d’Atesh, ce tronçon de chemin de fer est utilisé pour approvisionner l’armée russe en munitions provenant des 23e et 107e arsenaux du GRAU [NdlR, Direction principale des missiles et de l’artillerie], y compris des missiles Totchka-U, des mines, et des obus pour les systèmes de lance-roquettes multiples Smertch et Grad.
Poursuites judiciaires
Une lycéenne placée en centre de détention pour avoir affiché dans son lycée des photos de soldats du Corps des volontaires russes
Eva Bagrova, une lycéenne de St-Pétersbourg âgée de 16 ans a été placée en détention provisoire pour avoir épinglé sur un panneau d’affichage de son lycée, les photographies de Denis Kapoustine et Alexei Levkine, 2 soldats du Corps des volontaires russes, accompagnées de la légende « Héros de la Russie ». Eva est poursuivie pour « apologie du terrorisme ».
Le Corps des volontaires russes (RDK), qui est subordonné à la Direction principale du renseignement du ministère de la Défense ukrainien, est considéré en Russie comme organisation terroriste, et interdit.
«Opération Militaire Spéciale » : «une idée délirante de Poutine»
Vladimir Lomovtsev, 70 ans, résidant à Ouraï (district autonome des Khantys-Mansis) a commencé dès 2022 à publier des messages anti-guerre sur sa page VKontakte. L’un de ces messages débutait par cette phrase : « Qui sommes nous ? Si nous nous taisons, alors nous soutenons l’idée délirante de Poutine », qualifiant ainsi d’idée délirante de Poutine l’opération militaire spéciale. Il a aussi critiqué la « défense des droits des habitants du Donbass » comme un prétexte pour déclencher les hostilités.
Fin décembre 2024, une accusation de « discrédit répété à l’encontre de l’armée » a été portée au Tribunal contre Vladimir Lomovtsev.
Poursuites pénales pour un post au sujet du bombardement de Vilniansk (Ukraine)
Vadim Guzatchev, originaire d’Orenbourg et bénévole pour la protection des animaux, a publié sur sa page VKontakte un message sur le bombardement de la ville de Vilniansk (Ukraine) à l’automne 2022. Il a également republié un message indiquant qu’une roquette avait touché une maternité et a commenté les informations sur le bombardement de l’hôpital et la mort d’un nouveau-né par ces mots : « De fieffés assassins d’enfants. Un pays qui sème la mort. ».
Un rapport a été déposé contre Guzatchev par Viatcheslav Antonkine, le responsable d’un service de capture des animaux errants, en raison d’un conflit personnel avec lui et sa collègue et colocataire Tatiana Romanova. Ces derniers prévoyaient d’appliquer une nouvelle loi régionale autorisant l’euthanasie des chiens errants.
Vadim Guzatchev est accusé de diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe, une infraction passible d’une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison.
Trois ans de prison pour avoir refusé d’aller se battre en Ukraine
Aleksei Kartachov, père de deux jeunes garçons, a été mobilisé à l’automne 2022, alors que ses enfants n’avaient que deux mois. A l’issue d’une permission, il a refusé de retourner dans son unité. Avant sa condamnation, Aleksei Kartachov servait dans une unité militaire dans le Primorié, et devait être envoyé combattre en Ukraine après sa permission.
Reconnu coupable d’abandon volontaire de poste en période de mobilisation, il a été condamné à trois ans de détention en colonie pénitentiaire.
Photo : Tatiana Kartachov, épouse du condamné.
Arrestation d’un « traître à la patrie » en région de Moscou pour la transmission de photos d’un site énergétique au Renseignement militaire ukrainien
Des agents du Service fédéral de sécurité (FSB) ont arrêté un individu suspecté d’avoir transmis à la Direction générale du renseignement du ministère de la Défense ukrainien des photos du site d’un complexe énergétique et pétrolier dans la région de Moscou. Le suspect, dont le nom n’a pas été communiqué, a été inculpé de « haute trahison ». Selon les forces de l’ordre, il serait entré en contact sur Telegram avec un représentant du renseignement militaire ukrainien et, sur les instructions de son contact, aurait collecté et transmis contre rétribution des photographies d’un complexe industriel énergétique de la région de Moscou.
La phrase « N’offensez pas l’Ukraine », considérée comme discrédit à l’encontre de l’armée
Une habitante de Kazan, dont l’identité n’a pas été communiquée, a publié sur un tchat de la chaîne Telegram Vpiska Kazan un message disant « Vive l’Ukraine » et quelques messages vocaux dont l’un contenait la phrase : « N’offensez pas l’Ukraine ». Le tribunal de Kazan l’a reconnue coupable de « discrédit envers l’armée » et lui a infligé une amende de 40 000 roubles (l’équivalent d’1,8 fois le salaire minimum mensuel).
Refus de combattre
Trois déserteurs en fuite dans la région de Belgorod
Le 30 décembre, trois soldats d’une unité d’assaut, Iaroslav R., Vladislav Iou., et Hafiz I., ont abandonné leurs positions et se sont enfuis armés de fusils automatiques sur le territoire de la région de Belgorod. La police n’a pas communiqué les résultats des recherches.
Autres formes de protestation
Guerre en Ukraine : en 2024 les sondages donnent une majorité pour des négociations de paix
L’opinion publique russe change d’avis sur la guerre : selon le groupe de recherche Russian Field, 53 % des personnes interrogées début novembre se prononcent en faveur de l’ouverture de négociations de paix, contre 36 % seulement pour la poursuite de la guerre. Un an auparavant, 48 % des personnes interrogées étaient favorables à des négociations, tandis que 39 % soutenaient la poursuite du conflit.
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.