Chronique de la Russie qui proteste // 5 – 11 mai 2025

Chronique de la Russie qui proteste // 5 – 11 mai 2025

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


Cas emblématique

Action sur le pont Bolchoï Moskvoretski, Moscou

Au matin du 6 mai, Grigori Saksonov, dit l’activiste du « Pont de Nemtsov », s’est rendu sur le pont avec une pancarte « Poutine = Hitler », puis a sauté dans le fleuve. Il a qualifié son geste de « nage antifasciste ». Il a été condamné à 15 jours de détention pour refus d’obéir à la police et à une amende de 20 000 roubles (soit 0,9 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) pour violation des règles concernant le bon ordre des manifestations.

La ville s’exprime

Omsk (District fédéral de Sibérie)

Le ruban vert est un symbole de résistance à la guerre.

Taganrog (District fédéral du Sud)

Inscriptions sur les rubans : « Non à la guerre ».              

Le ruban vert est un symbole de résistance à la guerre.

Kodinsk (District fédéral de Sibérie)

Source : https://t.me/wakeup_russia/10602 

Kronstadt (District fédéral du Nord-Ouest)

« Les 8 et 9 mai sont des jours de mémoire et de deuil pour les victimes de l’agression inhumaine NON À LA GUERRE. »

Source : https://t.me/wakeup_russia/10595 

Mémoriaux

Des fleurs déposées au monument de Lesya Ukrainka à Moscou

Le 7 mai, des fleurs ont été déposées au monument de Lesya Ukrainka. Ce geste est vraisemblablement lié à la frappe russe sur Kiev dans la nuit du 7 mai, qui a causé la mort de deux personnes — une mère et son fils.

Piquets de protestation solitaire et manifestations

Piquet de protestation solitaire « Non à la guerre » à Moscou

Le 9 mai, Alexandre Klevitov, jeune militant âgé de 18 ans, a tenu un piquet de protestation solitaire sur la place Pouchkine à Moscou avec une pancarte : « Non à la guerre ! Le fascisme ne passera pas ». Il a été interpellé et un procès-verbal a été rédigé contre lui pour « discrédit à l’encontre de l’armée ». Cet article de loi ne prévoit pas d’arrestation, mais malgré cela, Alexandre a été retenu pour la nuit au commissariat. Bien qu’il soit invalide de 2ème catégorie [NdlR. invalidité importante affectant la vie quotidienne ou la capacité de travail, mais sans nécessiter une assistance permanente], la visite d’un avocat et l’apport d’effets personnels lui ont été refusés. Il a également été frappé ; après sa libération, il s’est rendu dans un centre médical pour faire constater ses blessures.

«Tuez la guerre, maudissez la guerre» — piquets de protestation solitaires à Novossibirsk les 9 et 10 mai

Le 9 mai, Elena Tardassova-Youn, une militante de Novossibirsk, a tenu un piquet de protestation solitaire avec des pancartes pacifistes contenant des citations du poème Requiem de Robert Rozhdestvenski, ainsi que d’Erich Maria Remarque et d’Ernest Hemingway. Elle les a lus à haute voix : « Accueillez le printemps frémissant, peuples de la Terre. Tuez la guerre, maudissez la guerre, peuples de la Terre ! ». Elle milite contre la guerre depuis déjà trois ans.

Le même jour, lors du « samedi de protestation », l’activiste Vladimir Soukhov  a également manifesté avec une pancarte réclamant la liberté pour Maria Ponomarenko.

Le 10 mai, Elena Tardassova-Youn est revenue manifester. Cette fois, sa pancarte portait une citation d’Antoine de Saint-Exupéry : « La guerre n’est pas un exploit, la guerre est une maladie. »

Déprédations et sabotages

Sabotage d’un poste de transformation électrique près de Moscou

Des résistants ont détruit des équipements d’un poste de transformation électrique dans la région de Moscou. Cela a provoqué des perturbations de communication sur plusieurs sites militaires, notamment dans le 629e régiment de missiles antiaériens (unité militaire 51857), la 21e brigade indépendante d’intervention (unité 3641), ainsi que dans une ville militaire abritant les unités 20007, 03523 et 51084. Selon le mouvement à l’origine de l’action, ces perturbations de communication ont également affecté le 483e service d’enquête militaire du Comité d’enquête de la Fédération de Russie, ainsi qu’un entrepôt logistique de SberLogistika, qui fournit l’armée russe.

Incendie d’un poste de transformation à Saratov (District fédéral de la Volga)

Le mouvement de résistance «ATESH» (“feu” en langue criméotatar) [NdlR : groupe de résistance à l’occupation russe, actif en Crimée et en Ukraine occupées] a saboté un poste de transformation électrique à Saratov. Cette action a provoqué des coupures d’électricité sur deux relais de téléphonie mobile, affectant les communications dans les zones où se trouvent la raffinerie de pétrole GazPromMash, l’usine Pirogroup, ainsi qu’un centre de mobilisation.

À Kislovodsk, un symbole de l’agression poutinienne incendié (District fédéral du Caucase du Nord)

Le 11 mai, à Kislovodsk, un individu vêtu de noir a incendié la lettre V sur une stèle située à l’entrée de la ville. La lettre a été entièrement détruite par les flammes. Ce n’est pas le premier incendie de ce type depuis le début de la guerre.

Poursuites

Six ans de colonie pénitentiaire pour une publication sur VKontakte

À Volgograd (District fédéral du Sud), Ruslan Nourouchev, un militant des droits humains, a publié un message sur VKontakte à propos d’une frappe de missile sur un café à Kharkiv : « Encore un crime de guerre de notre part : les Forces armées russes ont frappé Kharkiv, des bombes aériennes ont touché un hypermarché de bricolage. On compte actuellement 16 morts et plus de 40 blessés. »

En novembre 2024, une procédure pénale avait été engagée contre lui pour diffusion de « fausses informations » sur l’armée. Le 5 mai, il a été condamné à six ans de colonie pénitentiaire.

Une artiste condamnée à une amende pour un post anti-guerre datant de 2022

Alisa Gorshenina, une artiste originaire de l’Oural, avait publié un message anti-guerre accompagné d’une photo avec une pancarte « Non à la guerre », le 24 février 2022. Trois ans plus tard, en mai 2025, elle a été condamnée à une amende de 45 000 roubles (soit deux fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) pour « discrédit » à l’encontre de l’armée, bien que sa publication ait été faite avant que cette infraction n’existe dans la législation russe.

Poursuites contre un ex-photographe du QG de Navalny à Moscou

Alexandre Stroukov avait travaillé comme photographe au sein du quartier général de Navalny pendant la campagne présidentielle de 2018. En 2022, il avait publié des commentaires sur la chaîne Telegram du média Znak, notamment : « Gloire à l’Ukraine ! », « Bonjour à tous, à bas Poutine ! ». Pour cela, il a été arrêté, condamné à huit ans de détention en colonie pénitentiaire à régime ordinaire, et à une amende de 200 000 roubles (soit 8,9 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie).

Le 5 mai 2025, une nouvelle affaire pénale a été ouverte contre lui, cette fois pour « appels publics à des actions terroristes », en lien avec sa participation à des « événements » non précisés, en 2023.

Nouvelle affaire pénale pour une déclaration finale prononcée au tribunal

En 2022, Andreï Trofimov, un militant anti-guerre, avait publié sur VKontakte des messages contenant, selon les autorités, de « fausses informations » sur l’armée. Il avait ensuite été accusé de tentative d’adhésion à une formation armée illégale, pour avoir rempli une demande afin de rejoindre la Légion Liberté pour la Russie.

En 2023, il avait été condamné à dix ans de détention en colonie pénitentiaire à régime sévère.

Lors de sa déclaration finale au procès, il avait conclu par les mots suivants :

« La victoire reviendra de toute façon à ceux qui détruisent en ce moment les ordures poutiniennes par les armes. Gloire à l’Ukraine ! Poutine est un trou du cul. »

À la suite de cette déclaration, un nouveau procès a été ouvert contre lui pour apologie du terrorisme et discrédit à l’encontre de l’armée russe. Le 6 mai, sa peine est passée de 10 à 13 ans de détention.

Amende pour le repost d’un message sur les « Zombies qui se réjouissent de la guerre… »

En mars 2022, Irina Sidorova, une habitante de Pskov (District fédéral du Nord-Ouest), avait partagé sur VKontakte un message critiquant la guerre en Ukraine et les propagandistes russes, accusés d’avoir transformé « de  pauvres Russes , dépouillés et sans droits en Zombies se réjouissant de la guerre… ». Le 6 mai, elle a été condamnée à une amende de 30 000 roubles (soit 1,3 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) pour ce repost.

18 ans de réclusion pour participation présumée à l’Azov ukrainien

Selon les forces de l’ordre russes, Aleksandr Bogdanov aurait échangé, en juillet 2023, des messages avec des membres de l’organisation ukrainienne Azov, interdite en Russie et dénommé « groupe terroriste nationaliste paramilitaire ». Il aurait également « enregistré une vidéo dans laquelle il prononçait un serment d’allégeance» . Il aurait aussi indiqué travailler dans une entreprise de défense et accepté de faire exploser une station de gaz ou un poste de transformation électrique. À l’automne 2023, il aurait soi-disant acquis le matériel nécessaire à la fabrication d’explosifs. Le 7 mai, Aleksandr a été condamné à 18 ans de réclusion.

Amende pour une pétition anti-guerre

Sergueï Gromov, habitant de Saint-Pétersbourg (District fédéral du Nord-Ouest), est l’auteur d’une pétition anti-guerre, ainsi que de publications et d’une image diffusées sur Facebook le 24 février 2024. Ces contenus lui ont valu une condamnation pour « discrédit » à l’encontre de l’armée russe. Selon le service de presse des tribunaux de Saint-Pétersbourg, « le texte de la pétition contient des propos incitant à des actions visant à entraver le fonctionnement des Forces armées de la Fédération de Russie… ». L’homme a été condamné à une amende de 30 000 roubles (soit 1,3 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie).

Divers

240 heures de travaux d’intérêt général pour un don à une Église ukrainienne

Dinara Akhmetova, une habitante d’Ijevsk (District fédéral de la Volga) âgée de 25 ans, aurait, selon l’enquête, transféré 17 000 roubles au Centre spirituel panukrainien  Renaissance et à la fondation caritative Renaissance de Volodymyr Mountian. Elle a été poursuivie pour financement d’une organisation « indésirable » et condamnée à 240 heures de travaux d’intérêt général.

Interpellation à cause d’une veste aux bandes jaunes et bleues

Une artiste de 53 ans dessinait dans le centre-ville. Elle a été arrêtée par la police, car elle portait une veste à l’effigie de Mickey Mouse sur fond de bandes grises, jaunes et bleues.

Les forces de l’ordre ont estimé que les couleurs de la veste « pouvaient présenter des signes d’extrémisme » et ont confisqué le vêtement.

Lettre du prisonnier politique Alexeï Gorinov pour le 9 mai

Le prisonnier politique Alexeï Gorinov a écrit une lettre pacifiste à l’occasion du 9 mai. Il y souligne que les véritables héros sont « nos ancêtres, qui ont légué à leurs descendants le devoir de préserver la paix. […] Préserver signifie faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher la guerre. […] Voilà quatre ans que notre pays mène de son propre chef une guerre contre ses voisins — ceux-là mêmes avec qui nos ancêtres communs ont vaincu l’ennemi. Aujourd’hui, ce sont leurs petits-enfants et arrière-petits-enfants, des deux côtés du conflit armé, qui meurent ou deviennent infirmes. Comment avons-nous pu en arriver là ! […] Le 9 mai, souvenons-nous simplement et rendons en silence hommage aux victimes de cette guerre. Et réfléchissons à ce que nous avons mal fait, et à la façon d’y  remédier. »


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.

Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.