Chroniques de la Russie qui proteste //  09 – 15 décembre 2024

Chroniques de la Russie qui proteste //  09 – 15 décembre 2024

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La ville s’exprime

Stavropol (Caucase Nord)

« Non à la guerre ».

Une abonnée de la chaîne Ochnis   [Réveille-toi !] de Stavropol écrit : « Les inscriptions sont effacées régulièrement, la première l’a été au bout de 5 heures, la deuxième a tenu plusieurs jours, mais j’en écris de nouvelles. C’est intéressant d’observer les réactions des gens à la vue de mes créations. Un gars avait littéralement le visage déformé par la colère. Mais il y en a aussi qui montrent clairement qu’ils approuvent. »

Sabotages

Tentative d’incendie criminel d’un bureau de recrutement militaire à Ekaterinbourg 

Le 13 décembre, à Ekaterinbourg, un inconnu a lancé quatre cocktails Molotov sur le bâtiment du bureau central de recrutement militaire de la région de Sverdlovsk. Selon les informations de la chaîne Telegram Baza, aucun dommage matériel n’a été constaté, et « l’incendie à l’intérieur a rapidement été maîtrisé ».

Le suspect a été arrêté et a expliqué qu’il avait été victime d’une escroquerie : les agresseurs lui auraient d’abord extorqué 3 millions de roubles, puis lui auraient dit qu’il récupérerait son argent s’il mettait le feu au bâtiment du bureau de recrutement. Toutefois, Baza affirme que le détenu âgé de 21 ans n’était en fait pas impliqué dans la tentative d’incendie, et que les recherches du véritable incendiaire se poursuivent. Les forces de l’ordre n’ont pas encore commenté l’incident.

Poursuites judiciaires

Haute trahison et 22 ans de colonie pénitentiaire pour collaboration avec les services de sécurité ukrainiens (SBU)

Selon les données de l’enquête, Sergey Chernooky, originaire de la région de Koursk (District fédéral central), collectait des informations sur des infrastructures de transport de la région, pour les Services de sécurité ukrainiens (SBU, et avait également contribué à l’explosion d’un engin pyrotechnique devant le siège d’un parti politique à Zheleznogorsk (région de Krasnoïarsk). Il aurait en outre fait partie d’un groupe terroriste responsable d’un incendie criminel dans une « antenne d’une organisation caritative » à Koursk.  

Pour ces actes, il a été condamné à 22 ans de détention en colonie pénitentiaire pour haute trahison et préparation d’un acte terroriste. On lui a également infligé une amende de 400.000 roubles (l’équivalent de 20,8 fois le salaire minimum) et une restriction de liberté pour une durée de 2 ans. Sergey passera les cinq premières années de sa peine en prison, suivies de son transfert dans une colonie pénitentiaire à régime sévère.

Un citoyen allemand arrêté pour préparation de sabotage 

À Nizhny Novgorod (district fédéral de la Volga), un homme de nationalité russe et allemande (son nom n’a pas été divulgué) a été arrêté, soupçonné de préparer un sabotage sur une voie ferrée. Une affaire criminelle pour sabotage a été ouverte.

Selon l’enquête, le détenu, âgé de 21 ans, préparait la destruction de voies ferrées en échange d’une rémunération des « services spéciaux ukrainiens ». Lors d’une perquisition à son domicile, on aurait découvert un engin explosif artisanal prêt à être utilisé, ainsi qu’une correspondance avec un « responsable ukrainien ».

Deux ans et demi de prison pour une vidéo « diffamatoire »

Yulia Semyonova (Beloslyudtseva), employée d’une clinique vétérinaire à Tchita (district fédéral d’Extrême-Orient), a publié sur les réseaux sociaux une vidéo concernant l’armée russe ainsi que des images de croix gammées « mêlées à des symboles de la monarchie russe », comme indiqué dans les pièces de son affaire pénale. Semyonova a été condamnée à deux ans et demi de prison avec sursis pour récidive de « discrédit à l’encontre de l’armée » et  pour avoir affiché des symboles interdits. 

Prison pour l’inscription « Gloire au RDK !» [NdlR, Corps des volontaires russes]

Serguey Babushkin, un homme de 29 ans, originaire de Saratov (District fédéral de la Volga), avait écrit sur le mur d’un magasin d’alimentation de Moscou « Gloire au RDK ! En avant ! Mort aux flics… ». Ceci a valu à Serguey  une condamnation à trois ans et neuf mois de prison pour incitation au terrorisme, vandalisme et incitation à la haine avec menace de violence. Le tribunal a ordonné la destruction du marqueur ayant servi pour l’inscription.

Trois ans pour détérioration de banderoles promouvant le service militaire

Vladimir Garmash, originaire de la région de Krasnoïarsk (district fédéral de Sibérie), a détérioré 13 banderoles promouvant le service militaire contractuel. Les forces de l’ordre l’ont arrêté de manière brutale, le plaquant à terre. Le vélo que Vladimir utilisait pour se déplacer pendant qu’il déchirait les banderoles a été considéré comme « instrument du crime » et confisqué.

Le 9 décembre, le tribunal a condamné Vladimir à trois ans de détention en colonie pénitentiaire pour « discrédit » à l’encontre de l’armée russe, ayant causé des dommages matériels évalués à 29 375 roubles.

Au tribunal, Garmash a déclaré : « Ma mère m’a élevé seule, et elle m’a appris que rien n’est plus précieux que la vie humaine. C’est avec cette valeur que j’ai grandi et vécu jusqu’à maintenant. […] J’avais peur d’être obligé d’aller [à la guerre], je ne voulais pas, car j’ai été éduqué différemment, et je ne pourrais jamais tuer qui que ce soit. »

Cinq ans de prison pour messages sur les réseaux sociaux

Sergueï Temyashov, âgé de 28 ans et originaire d’Orel (District fédéral central), a été poursuivi pénalement pour des publications et des commentaires prétendument postés par lui en juillet 2023.

Le 14 novembre, Pavel Shkodin, juge au tribunal du district Zavodsky d’Orel, a reconnu Temyashov coupable de diffusion de « fausses informations » sur l’armée, motivée par la haine, et l’a condamné à 5 ans de détention en colonie pénitentiaire à  régime général. L’affaire de Sergueï a été portée à la connaissance du public le 10 décembre. Le verdict n’a pas encore pris effet : le 11 décembre, l’avocat de Sergueï a déposé un recours en appel.

Deux ans pour commentaires sur les réseaux sociaux

« Putain de merde, ils ont vite pondu une loi, si tu ne veux pas te battre : prison ; putain de mobilisation, putain de merde ; voilà contre qui il faut se battre, contre Poutine et ses petits pédés dociles ». Tel est le commentaire posté sur les réseaux sociaux par Vladimir Bayramov, un électricien de Samara.

L’enquête a interprété les propos de Vladimir comme « un appel à attenter à la vie d’un homme d’État (le président de la Fédération de Russie) afin de mettre fin à son activité gouvernementale ou politique, ou bien pour se venger d’une telle activité ».

Bayramov a été reconnu coupable d’apologie du terrorisme et condamné à deux ans de prison.

Poursuites pénales pour une conversation avec des collègues 

Ioulia Podoynitsyna, soliste dans un orchestre militaire de la région de Transbaïkalie (District fédéral d’Extrême-Orient), dont une partie de la famille vit en Ukraine, a tenté de convaincre ses collègues que des civils étaient tués lors des bombardements. Ses collègues ont traité Ioulia de « bandériste » défendant les « fascistes » [NdlR, terme péjoratif désignant les partisans de Stepan Bandera, nationaliste ukrainien controversé] . En réponse, elle leur a envoyé une vidéo YouTube sur les victimes civiles. Quelques minutes plus tard, craignant des poursuites pénales ou un licenciement, la musicienne a supprimé la vidéo.

L’un de ses collègues a apporté le téléphone [de Ioulia] à l’officier de contre-espionnage de l’unité militaire et lui a raconté la dispute. La vidéo a été récupérée, une enquête préliminaire a été ouverte, et les informations ont été qualifiées de « fausses nouvelles ».

Une procédure pénale a été ouverte contre Yulia Podoynitsina, et elle a été condamnée à une amende de 3 millions de roubles (l’équivalent de 156 fois le salaire minimum). 

Amende pour demande du retrait des troupes d’Ukraine

Boulat Khalikov, originaire d’Oufa (République du Bashkortostan), a tenu un piquet de protestation solitaire, muni d’une pancarte portant cette inscription : « Poutine, retire les troupes d’Ukraine ! ». Khalikov a été reconnu coupable de violation des règles de tenue d’une manifestation et condamné à une amende de 10 000 roubles ( l’équivalent de 0,5 fois le salaire minimum).

Pression et nouvelle procédure pénale contre le condamné pour incendie d’un centre de recrutement militaire 

Une nouvelle procédure pénale pour « apologie de terrorisme sur Internet » a été ouverte à l’encontre de Mikhail Filatov, originaire d’Uryupinsk (région de Volgograd), déjà condamné à 12 ans de détention en colonie pénitentiaire pour l’incendie d’un bureau de recrutement militaire en septembre 2022. Les motifs exacts de cette poursuite restent inconnus.

Filatov a été transféré depuis la prison centrale de Vladimir, où il purgeait sa peine précédente, vers le centre de détention provisoire n° 1 de Volgograd. Il y est détenu dans une cellule mal éclairée et pleine de moisissure.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.

Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.