Chronique de la Russie qui proteste // 23 – 29 décembre 2024

Chronique de la Russie qui proteste // 23 – 29 décembre 2024

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


La ville s’exprime

Moscou

Comme il est d’usage avant les fêtes du Nouvel an, les visiteurs du GOUM moscovite [NdlR, le GOUM est un grand magasin renommé, situé sur la place Rouge] suspendent au sapin une carte avec leurs vœux. Cette année on trouve de plus en plus souvent des messages contre la guerre dans ces notes :

« Paix, santé, prospérité ! », « Happy new year ! Paix au monde ! », « Bonne année ! Père Noël, s’il te plaît, fais don de la paix à tous ! », « Père Noël ! Je voudrais que la guerre cesse et que tous mes garçons reviennent sains et saufs à la maison ! »

Photo : Yulia Gualiamina

Novossibirsk (District fédéral de Sibérie)

Le ruban vert est le symbole du mouvement anti-guerre en Russie.

Penza

Ruban vert à Penza (District fédéral de la Volga)

Piquets et rassemblements 

Piquet de protestation solitaire théâtralisée contre la guerre nucléaire à Novossibirsk (District fédéral de Sibérie)

Photo : District de Leninski / Novossibirsk / VK

Le 24 décembre, un habitant de Novossibirsk a mené une action insolite près de la station de métro  Stoudentchesskaïa : il a enfilé un masque à gaz et mené un piquet de protestation solitaire, muni d’une pancarte « Arrêtez la guerre nucléaire ».  La communauté en ligne District de Leninski / Novossibirsk  sur VKontakte, où les photos de l’action ont été publiées, affirme que ce n’est pas le premier piquet de ce manifestant. Lors d’une précédente action, le 11 décembre, il s’était également présenté avec un masque à gaz et une pancarte « Arrêtez la guerre nucléaire ».

Diversions et sabotages 

Un bureau de Russie Unie, incendié à Arkhangelsk (District fédéral du Nord-Ouest). 

Il contenait de l’aide humanitaire à l’intention des soldats

La semaine dernière, des militants inconnus ont lancé un cocktail Molotov dans le bureau de Russie Unie. Selon Vladislav Jgilev, membre du parti, qui l’a rapporté sur sa page VKontakte, le bureau abritait de l’aide humanitaire collectée pour les militaires russes. L’incendie a provoqué la destruction de cette aide.

Un conducteur percute un bureau de recrutement militaire et incendie sa voiture

Le soir du 25 décembre, dans la ville de Gous-Khroustalny, située dans la région de Vladimir (District fédéral central), un automobiliste a percuté le bâtiment d’un bureau de recrutement militaire. Après la collision, il est sorti de son quatre-quatre et y a mis le feu.

L’homme a été placé en détention et fait actuellement sa déposition. Le maire de la ville a qualifié le conducteur de « nouvelle victime des escrocs ukrainiens ».

Depuis le début de la guerre avec l’Ukraine, le nombre d’incendies criminels visant des centres de recrutement militaire, des bâtiments administratifs locaux et des services de police a augmenté en Russie. Certaines des personnes arrêtées ont clairement affirmé qu’elles s’opposaient à la guerre déclenchée par la Russie, tandis que d’autres, pour se justifier, ont déclaré avoir agi sur les instructions de tierces personnes. Les autorités russes accusent les activistes de terrorisme et mènent des procès à huis clos, préférant évoquer des menées d’escrocs plutôt que de parler du mécontentement des Russes à l’égard de la guerre.

Poursuites 

Un manifestant de l’Oural tient deux piquets anti-guerre et écope d’une amende 

Le tribunal a infligé une amende de 80 000 roubles (l’équivalent de 4,1 fois le salaire minimal) à Dmitri Novikov, un habitant d’Ekaterinburg (district fédéral de l’Oural),  pour « discrédit » à l’encontre de l’armée.

Cette sanction fait suite à deux piquets anti-guerre tenus  par le manifestant sur la place de l’Année-1905, fin novembre et début décembre. Lors des piquets, Dmitri tenait des pancartes représentant des villes ukrainiennes détruites et des habitants de l’Oural tués lors de la guerre.

Peine de prison pour un activiste ayant envisagé de rejoindre la LSR

Nikita Gorbounov, 38 ans, résidant à Novossibirsk (district fédéral de Sibérie), avait évoqué son intention de rejoindre la Légion pour la liberté de la Russie (une unité de l’armée ukrainienne composée de russes et interdite en Russie car qualifiée de « terroriste ») dans une correspondance privée avec son cousin. Il a été arrêté et condamné à 9 ans de prison. Nikita a été reconnu coupable d’« aide à une organisation terroriste », de préparation d’un attentat terroriste, ainsi que de culture de cannabis et de tentative de vente de cette substance. 

Avant le verdict, Nikita a fait cette déclaration finale : « J’ai été condamné par la Fédération de Russie, et le FSB a été désigné pour m’exécuter. Je suis sûr que je ne sortirai pas vivant de prison. On m’a empoisonné avec une substance inconnue. » 

Gorbounov a déclaré qu’il ne pouvait pas dormir au centre de détention provisoire et que les médicaments ne l’aidaient pas. Il a également indiqué qu’il avait entamé une grève de la faim avant le procès et l’avait poursuivie pendant 17 jours.

Un écolier distribue des tracts frappés du drapeau ukrainien et remplit un formulaire pour rejoindre la LSR

Anton Dounaïev, 18 ans, avait collé sur les murs et les poteaux des tracts frappés du drapeau ukrainien, qui contenaient « des insultes envers le président russe ». Il avait également créé une chaîne sur Messenger en vue de collecter des informations sur les forces de l’ordre et les transmettre à l’Ukraine. En outre, il avait rempli un formulaire pour participer aux activités de la « Légion pour la liberté de la Russie » (une unité de l’armée ukrainienne composée de russes et interdite en Russie car qualifiée de « terroriste »).

Anton a été condamné à 8 ans d’emprisonnement en colonie pénitentiaire à régime général.

Amende pour des posts anti-guerre 

Les forces de l’ordre intentent une action judiciaire contre Iossif Geliastanov, un masseur de 56 ans originaire de Saint-Pétersbourg (District fédéral du Nord-Ouest), en raison de plusieurs posts pacifistes publiés sur le réseau social VKontakte.

Un tribunal de Khakassie lui a infligé une amende de 110 000 roubles (l’équivalent de 5,7 fois le salaire minimum) pour « avoir discrédité l’armée de façon répétée ». Auparavant, en juin 2022, il avait déjà été condamné pour des faits similaires et avait payé une amende de 50 000 roubles (l’équivalent de 2,6 fois le salaire minimum) .

Protestations en ligne 

Vkontakte bloque un groupe, où des migrants de Soudja critiquaient Poutine et ses propos sur la guerre

Le groupe « Soudja – petites annonces gratuites » a été bloqué en Russie à la demande du Roskomnadzor [NdlR, abréviation du “ Service fédéral de supervision des communications, des technologies de l’information et des médias ”]. Dans les jours précédant le blocage, des publications critiquant Poutine et ses déclarations sur la guerre – qualifiée de « mouvement sans lequel nous nous ennuyons » – y avaient été diffusées.

Le groupe avait également publié des appels à manifester et à exiger du gouvernement qu’il résolve la question du logement pour les réfugiés du district de Soudja.

Refus de combattre

Un homme de Tchouvachie se tire une balle dans la jambe pour déserter le front

L’organisation de défense des droits humains Allez dans la forêt [NdlR, Organisation venant en aide aux déserteurs de l’armée russe] a rapporté l’histoire d’un habitant de Tchouvachie (District fédéral de la Volga), qui s’est retrouvé dans la zone des combats lors de son service actif dans l’armée, et qui a trouvé un moyen de déserter. Il s’est tiré une balle dans la jambe, a été interrogé par le FSB lors de son hospitalisation, mais quelque temps après, la police militaire s’est mise à sa recherche. Grâce à l’aide des activistes de Allez dans la forêt, il a réussi à quitter la Russie.

Plus de 10 000 cas de refus de service militaire en 2024

En 2024, 10 308 affaires pénales  pour refus de service militaire ont été portées devant les tribunaux militaires russes, selon Mediazona. En 2023, ce chiffre était presque deux fois moindre. Ces données ont été recueillies à partir des sites web des tribunaux militaires russes de garnison et de district.

Autres formes de protestation

Des jeunes arrêtés pour avoir enlevé le drapeau de la victoire 

Dans le village de Yantarny (district fédéral du nord-ouest), deux jeunes de 18 ans ont enlevé du mur d’une école le « drapeau de la victoire », un drapeau en l’honneur du 9 mai comportant une représentation du ruban de Saint-Georges. Ensuite, ils ont emporté le drapeau dans un parc et l’ont endommagé. Le tribunal de Svetlogorsk, dans la région de Kaliningrad, les a placés en détention jusqu’au 18 février 2025 pour « profanation du drapeau de la Victoire ».

Publicité pour le service sous contrat dans des groupes scolaires de Perm

(Capture d’écran de la chaîne Telegram Perm 36,6)

Le 23 décembre, des militants de la chaîne Telegram anti-guerre Perm 36.6 ont demandé au bureau du procureur de vérifier les actions des écoles qui, le 31 octobre, ont publié des publicités pour des services militaires contractuels dans leurs groupes sur VKontakte

Les militants sont convaincus que cette publicité viole la Constitution ainsi que les lois « sur l’éducation » et « sur la protection des enfants contre les informations nuisibles à leur développement ». Perm 36.6 estime que la publicité donne une vision romantique du service militaire, mais omet les conséquences tragiques de la participation à la guerre.

Affichage de photos de membres du RDK dans le hall d’une école de Saint-Pétersbourg

Le 26 décembre, dans le hall d’une école de Saint-Pétersbourg, des photos de Denis Kapustin et Alexei Levkin, membres du Corps des volontaires russes [NdlR, Organisation paramilitaire russe clandestine combattant aux côtés de l’armée ukrainienne]  ont été affichées avec la mention « héros de la Russie ». 

La police a été appelée à l’école, et une élève de 16 ans en classe de huitième [NdlR, La huitième correspond à notre classe de quatrième] a été arrêtée comme principale suspecte. Elle est accusée de « justification publique ou promotion du terrorisme ». En Russie, le RDK est interdit et figure sur la liste des organisations terroristes.


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.

Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.