Chroniques de la Russie qui proteste // 21 octobre – 03 novembre 2024
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Perm (district fédéral de la Volga), Moscou, Khabarovsk (Extrême-Orient), Zarinsk (territoire de l’Altaï) et Saint-Pétersbourg
Poursuites
Quatre ans de colonie-pénitentiaire pour deux commentaires
Artur Kanine, un ouvrier de Saint-Pétersbourg, a laissé deux commentaires en janvier 2023 dans le groupe de discussion Telegram du RDK [NdlR, RDK désigne le « Corps des volontaires russes », une formation militaire intégrée aux Forces armées ukrainiennes, elle a été créée par des nationalistes russes d’extrême-droite]. Selon l’enquête, Kanine, en tant qu’administrateur du tchat, s’était adressé à « un groupe de personnes identifiées par leur origine ethnique russe » et les avaient incitées à incendier des bureaux de recrutement militaire. Il a été reconnu coupable d’incitation publique à l’extrémisme et de justification du terrorisme. Il a été condamné à quatre ans de détention en colonie pénitentiaire à régime général. Kanine s’est également vu interdire, pendant trois ans, d’administrer des pages sur Internet.
Amende pour des rubans
Des rubans bleus et jaunes avec la lettre Z rayée et l’emblême de l’Ukraine ont conduit à des procès-verbaux contre un Moscovite, Dmitri N. [NdlR, la lettre Z est le signe d’identification des véhicules militaires russes engagés dans le conflit en Ukraine]
Il avait attaché ces rubans à son vélo . Un voisin les a vus et l’a dénoncé au centre « E » [NdlR, Centre de lutte contre l’extrémisme].
Dmitri N. a été condamné à une amende de 30.000 roubles (1,5 fois le salaire minimum) pour « discrédit à l’encontre de l’armée » et d’une amende supplémentaire de 1 000 roubles (0,05 fois le salaire minimum) pour avoir affiché des symboles interdits ».
Un prêtre suspendu pour refus de lire une prière pro-guerre
Konstantin Kokora, un prêtre de l’église de l’Exaltation-de-la-Sainte-Croix (quartier moscovite de Mitino), a refusé de lire la Prière pour la Sainte Russie [NdlR, prière pour demander la victoire de la Sainte Russie dans la guerre contre l’Ukraine]. En conséquence, l’Église orthodoxe du Patriarcat de Moscou l’a suspendu de ses fonctions pour trois ans. L’Église a qualifié son refus de « parjure ».
Arrestation et perquisition en raison d’une publication sur l’explosion du pont de Crimée
Anton Evdokimov, originaire de Moscou, a été arrêté dans le cadre d’une affaire de justification du terrorisme, à cause d’une publication sur l’explosion du pont de Crimée.
Le matin du 23 octobre, les forces de l’ordre se sont rendues chez Anton. Elles ont forcé la porte, plaqué Anton et son frère au sol, face contre terre, et leur ont passé les menottes. Lors de la perquisition, les policiers ont confisqué des ordinateurs, des routeurs et des téléphones. Par la suite, les deux frères ont été emmenés au poste de police de Moscovskiy. Le frère d’Anton a été libéré après un interrogatoire, mais Anton est resté en détention.
Selon un membre de la famille, l’affaire a été ouverte à la suite d’une dénonciation, mais l’identité de la personne à l’origine de cette dénonciation reste inconnue.
Anton Evdokimov a été placé en détention provisoire et se trouve actuellement dans le centre de détention SIZO-2 Boutyrka.
Deux ans et demi de colonie pénitentiaire pour une blague
— Sergueï, pourquoi nous retirons-nous de Kherson ?
— Volodia, mais c’est toi-même qui as donné l’ordre de libérer l’Ukraine des fascistes et des nazis…
À cause de cette blague et de 12 commentaires sous une vidéo pro-guerre publiée sur VKontakte, un père de famille nombreuse de la région de Riazan (district fédéral central), Vassili Bolchakov, a été condamné à deux ans et demi de détention dans une colonie pénitentiaire. Il est poursuivi pour récidive de discrédit à l’encontre de l’armée depuis février de l’année dernière.
Le 24 octobre, le tribunal a infligé à Vassili Bolchakov une amende de 250.000 roubles (13 fois le salaire minimum).
Nouvelle affaire pénale pour des publications sur les incendies de bureaux de recrutement militaire
Une nouvelle affaire pénale a été ouverte contre le blogueur Nikolaï Farafonov, originaire de la République des Komis (district fédéral du Nord-Ouest), déjà condamné à six ans de détention en colonie pénitentiaire à régime général pour incitation au terrorisme sur Internet à travers des vidéos et des messages appelant à incendier des bureaux de recrutement militaire. Les détails des accusations portées contre lui ne sont pas connus. Nikolaï a été condamné à 15 jours de détention administrative. Le blogueur attend désormais l’examen de son appel.
Amende pour arrachage d’affiches invitant au service militaire sous contrat
Leonid Denissov, âgé de 56 ans (son nom a été modifié à sa demande), employé d’une usine militaire à Zheleznogorsk, dans le territoire de Krasnoïarsk (district fédéral de Sibérie), a arraché des affiches faisant la promotion du service militaire sous contrat. Le 18 octobre, les forces de l’ordre se sont rendues à son domicile et ont confisqué ses équipements électroniques, et déclaré qu’ils seraient expédiés pour expertise afin de vérifier la présence de « signes d’extrémisme ou de terrorisme ».
Au poste de police, les agents ont montré à Denissov une vidéo le montrant en train d’arracher les affiches. Il a été condamné à une amende de 30.000 roubles (1,56 fois le salaire minimum) pour « discrédit » à l’encontre de l’armée. Leonid estime que cette affaire n’est qu’un début, et qu’une accusation de haute trahison est en préparation contre lui.
Le FSB poursuit pour des publications anti-guerre
Evgueniy Parkhomenko, originaire de la région de Briansk (district fédéral central), publiait des messages anti-guerre sur VKontakte.
Le 23 octobre, des agents du FSB se sont rendus sur son lieu de travail et l’ont arrêté. Sa famille ne dispose d’aucune information sur son lieu de détention.
Cinq ans et demi de colonie pénitentiaire pour intention d’incendier un bureau de recrutement militaire
À l’automne 2023, Bogdan Davidenko, un jeune de 17 ans originaire de Vladivostok (Extrême-Orient), a été arrêté pour préparation de l’incendie d’un bureau de recrutement militaire. Bogdan a avoué qu‘il voulait incendier le bureau en signe de protestation contre la guerre en Ukraine. Le tribunal l’a reconnu coupable de préparation d’un acte terroriste ainsi que de formation à des activités terroristes, et l’a condamné à cinq ans et demi de détention en colonie pénitentiaire. Bogdan nie avoir suivi une quelconque formation.
Affaire pénale pour partage d’une vidéo
Natalia Gusseva, originaire de la région de Tcheliabinsk (district fédéral de l’Oural), a partagé sur Odnoklassniki une vidéo anti-guerre avec un commentaire affirmant que Poutine devait retirer les troupes d’Ukraine et cesser de tuer les peuples d’Ukraine et de Russie. En conséquence, une affaire pénale a été ouverte contre elle pour « récidive de discrédit à l’encontre de l’armée ».
Le 29 octobre, une nouvelle audience s’est tenue au tribunal de Zlatoust concernant son affaire. Natalia Gusseva est sous contrôle judiciaire, avec l’interdiction de quitter le territoire.
Natalia est une défenseuse des droits de l’homme avec plus de 30 ans d’expérience. Elle a dirigé plusieurs organisations caritatives pour la protection des droits des enfants et a également été observatrice lors d’élections. Actuellement, Natalia consacre beaucoup de temps à s’occuper de son fils handicapé.
Détention provisoire pour une publication sur une frappe de missile russe à Ouman
Un post concernant une frappe de missile russe sur un immeuble à Ouman, qui a tué 25 personnes, a conduit à l’envoi en détention provisoire jusqu’au 7 décembre de Solima Kamina, une Moscovite de 35 ans. Elle est accusée de diffusion de “ fausses nouvelles ” sur l’armée russe motivée par la haine ou l’hostilité politique. Lors de la perquisition, le 7 octobre, les forces de l’ordre ont utilisé un pistolet à impulsion électrique.
« Il faut toujours se battre et défendre les valeurs humaines universelles. Ne jamais se rendre, jusqu’à la fin. » déclare Solima.
Arrestation pour une prédication anti-guerre
Le pasteur de l’Église de la Sainte-Trinité (région de Moscou), Nikolaï Romaniouk, a été envoyé en détention provisoire pour une prédication anti-guerre. Le tribunal a ordonné son arrestation pour incitation à des activités menées contre la sécurité de l’État.
Selon le pasteur, l’affaire a été ouverte en raison d’une prédication anti-guerre prononcée le 25 septembre 2022. Dans cette prédication, le pasteur condamnait les personnes allant faire la guerre en Ukraine : « Notre dogme stipule que nous sommes des pacifistes et que nous ne pouvons pas y participer. Nous ne bénissons pas ceux qui s’y rendent ; ceux qui y sont envoyés de force, nous ne les bénissons pas, mais nous prions pour qu’ils soient libérés [de cette contrainte]. Il existe différents procédés légaux pour y parvenir. »
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.