Chroniques de la Russie qui proteste // 22 – 28 avril 2024
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Sur l’écran publicitaire du concessionnaire automobile Planeta Avto Kollektsiya, à Tcheliabinsk, sont apparus un drapeau ukrainien inversé et l’inscription Gloire à l’Ukraine, gloire aux héros. Les employés du concessionnaire automobile situé rue Bratyev-Kashirinykh ont déclaré avoir été victimes d’une attaque de pirates informatiques. Selon le directeur général adjoint, les ordinateurs du salon « affichent également aujourd’hui des absurdités de ce genre ». L’incident fait l’objet d’une enquête par le FSB et des spécialistes en informatique ; l’écran a été éteint. Les slogans Gloire à l’Ukraine ! et Gloire aux héros ! ont été inclus dans la liste des « accessoires fascistes » par le ministère de la Justice russe, en janvier 2024.
Une inscription anti-guerre à Borovsk, region de Kaluga
Piquets de protestations
Le 15 avril, Kirill Chibisov, un jeune homme de 18 ans, s’est présenté devant le poste de police de la ville de Karatchev (région de Bryansk) avec une pancarte « Non à la guerre ! Non à Poutine ! ». Lors de son arrestation, les forces de l’ordre ont fait usage de la force physique contre lui et ont confisqué l’affiche.
Poursuites
En raison de ses cheveux teints en bleu, jaune et vert, un Moscovite nommé Stanislav Netesov a fait l’objet d’un procès-verbal pour » discrédit envers l’armée ». C’est lui-même qui a rapporté l’information à OVD-Info. Le 28 avril, Netesov s’était rendu au commissariat du district de Tverskoï pour déposer une plainte pour agression et vol. Cependant, les policiers ont estimé que la couleur de ses cheveux symbolisait l’Ukraine et, par conséquent, que le jeune homme » discréditait » l’armée russe, rédigeant ainsi un procès-verbal à son encontre. De plus, ils ont pris ses empreintes digitales et, après avoir affirmé qu’ils lui feraient « embrasser la terre natale dans les tranchées », lui ont remis une convocation au bureau de recrutement militaire.
Le fondateur du Novokollege de Novossibirsk, Sergueï Tchernychov, a publié une vidéo dans laquelle il déclare : « J’ai toujours pensé et je persiste à penser que mes collègues portent une immense responsabilité dans la normalisation de la guerre dans notre pays. Toutes ces “ conversations sur l’essentiel ”, ces lettres au front, cette distribution de convocations… Ils portent une responsabilité dans la propagande et l’apologie d’anciens meurtriers et violeurs comme héros. Rien de tout cela ne s’est jamais produit au Novokollege ». En avril 2023, le parquet a ouvert une inspection au collège suite à la plainte d’un résident local affirmant que les élèves y subissaient une « propagande prônant la défaite de la Russie dans l’opération militaire spéciale ». En mai, trois procès-verbaux ont été rédigés contre l’établissement et, en juillet, il a été condamné à une amende de 50.000 roubles (2,5 fois le salaire minimum) pour avoir refusé d’organiser les « Conversations sur l’essentiel ». Le Novokollege sera contraint de cesser ses activités à partir de juillet de cette année.
Tatyana Surova, de la région de Pskov, a été condamnée à une amende de 30.000 roubles (environ 2 fois le salaire minimum) pour discrédit envers l’armée, à cause d’une conversation dans un magasin Magnit [NdlR, un réseau de supermarchés russes]. Un procès-verbal a été établi contre elle sur la base des dénonciations d’un client et d’un employé du magasin. Selon eux, Surova aurait causé un scandale et crié dans tout le magasin. Surova, pour sa part, a expliqué qu’elle avait entendu, alors qu’elle faisait la queue, des clientes parler de l’invasion russe en Ukraine et affirmer que « les États-Unis interféraient dans l’opération militaire spéciale et provoquaient des conflits dans le monde entier ». Tatiana était intervenue dans la discussion et avait exprimé son opinion.
Le mouvement « Résistance féministe anti-guerre » a été inscrit au registre des « organisations indésirables » du ministère de la Justice.
Pour une vidéo contenant la phrase: “ Pacifiste j’étais, pacifiste je suis et le resterai ”, Marina Melikhova, une habitante de la région de Krasnodar, en détention provisoire depuis le 23 juin 2023 pour ” discrédit envers l’armée ”, a été condamnée à une amende de 30.000 roubles (environ 2 fois le salaire minimum). Un procès-verbal à son encontre a été établi le 3 avril pour récidive de discrédit.
Sergei Yeremeev, originaire de Biélorussie et accusé d’attentat à la bombe contre des trains en Bouriatie, a été maintenu en détention provisoire pour trois mois supplémentaires. Il est poursuivi pour acte terroriste. Selon les forces de l’ordre, Yeremeyev a fait exploser deux trains dans le tunnel de Severomouïsk, le 29 novembre de l’année dernière . Selon des informations non confirmées, cette voie est utilisée pour transporter des munitions destinées à l’armée russe depuis la Corée du Nord.
Des procès-verbaux pour “ discrédit envers l’armée ” et “ affichage de symboles interdits ” ont été dressés contre Andreï Vanioukov, musicien du groupe moscovite Avtosport. Le motif probable serait le slogan « Gloire à l’Ukraine – Gloire aux héros ». Auparavant, des militants pro-gouvernementaux avaient signalé sa vidéo de soutien aux Forces armées ukrainiennes et aux Russes opposés à la guerre, appelant les forces de l’ordre à enquêter sur lui pour financement des Forces armées ukrainiennes, apologie du terrorisme et appels au séparatisme. Dans sa vidéo, le musicien déclarait que la Russie devrait devenir une « fédération raisonnable » à l’avenir. Cependant, ses accusateurs ont interprété cela comme un appel à ce que « toutes les républiques quittent le pays ». Ils ont également tenu comme une offense sa déclaration « Moscou ira se faire foutre », qu’il avait utilisée pour dire que la capitale devait être mise sur un pied d’égalité avec les régions.
Nadejda Buianova, une moscovite impliquée dans une « affaire anti-guerre », a fait l’objet d’une mesure préventive plus sévère : elle a été placée en détention provisoire pour deux mois. Les faits reprochés à Nadejda Buianova ont été révélés au début du mois de février, lorsque son domicile a été perquisitionné. Selon l’enquête, Nadejda a raillé un soldat russe mort au combat lors d’une conversation avec sa femme et ses enfants.
Marina Averianova, de Kamensk-Uralski, a été condamnée à une amende de 35.000 roubles (plus de deux fois le salaire minimum) pour discrédit envers l’armée russe. Le motif de l’amende était un commentaire publié sur VKontakte : « Il aurait été juste de ne pas partir à la guerre… il ne serait alors pas mort… et maintenant, partagez-vous l’argent ensanglanté. Que la terre soit rugueuse comme de la laine de verre pour le type (l’occupant) et que ses proches prennent confortablement place sur le goulot de la bouteille de Poutine-la-salope ».
Un tribunal de Saint-Pétersbourg a condamné un habitant de la ville à une amende de 50.000 roubles (deux fois et demi le salaire minimum) pour discrédit de l’armée russe, en raison de commentaires publiés sur des chaînes Telegram. Cette information a été rapportée par l’avocate d’OVD-Info, Aliona Skatchko, qui représente ses intérêts. Le 9 avril, les forces de l’ordre ont arrêté le résident de Saint-Pétersbourg sur son lieu de travail et l’ont emmené dans un service, où un procès-verbal a été établi à son encontre. Au commissariat, Igor Skatchko, avocat d’OVD-Info, lui a apporté son assistance.
Taoulan Kipkeiev, un moniteur d’alpinisme et de ski originaire de Karatchaïévo-Tcherkessie, a été inculpé dans une affaire de « fausses nouvelles » sur l’armée. Le jeune homme est accusé d’avoir publié une vidéo sur Instagram où il qualifie les personnes siégeant au Kremlin de “ meurtriers ” et prédit que Poutine et tous ses associés seront punis.
Un citoyen ukrainien, Sergueï Goulko, étudiant à la faculté de médecine fondamentale de l’université d’État de Moscou, a été placé trois fois en détention au cours du dernier mois. Tout d’abord, il a été détenu pendant 10 jours après avoir été arrêté devant son domicile, puis pendant 12 jours en raison d’un slogan « Gloire à l’Ukraine ! » publié sur VKontakte. Le 26 avril, une nouvelle détention de 12 jours lui a été infligée, cette fois en raison de stories sur Instagram : le juge affirme que l’étudiant avait appelé à bombarder Moscou. Goulko a également reçu l’ordre de quitter la Russie dans les trois jours, sous peine de poursuites pénales. Cependant, selon son avocat Nikita Spivak, il ne pourra pas se conformer à cette exigence, puisqu’il est actuellement en centre de détention spécial. L’étudiant suppose qu’une de ses connaissances l’a dénoncé. Lors de l’audience, il a expliqué qu’il avait publié ces messages dans un état émotionnel difficile : « On bombardait ma ville, on bombardait mon pays, et des personnes qui m’étaient proches sont mortes pour cette raison. ».
Le journaliste de Khabarovsk, Sergueï Mingazov, a été arrêté pour une affaire liée à la diffusion de fausses informations sur les Forces armées en raison d’un partage d’une publication sur Boutcha sur sa propre chaîne Telegram. Le 27 avril, une décision sera prise concernant la mesure de détention à appliquer. Actuellement, il se trouve dans un centre de détention temporaire.
Les détails de l’affaire pénale sur la diffusion de « fausses informations » militaires pour laquelle Roman Nazarouk a été condamné en avril, sont désormais connus. Roman a été accusé de 16 publications sur VKontakte portant sur la guerre en Ukraine, les frappes de missiles et les pertes civiles. Ainsi, dans le premier message qui lui a été reproché, M. Nazarouk écrit : « Les troupes russes ont bombardé le théâtre dramatique de Marioupol, tuant des centaines de personnes, et ont ensuite honteusement dissimulé [leurs actes] derrière un écran. » De plus, Nazarouk est accusé pour une vidéo dans laquelle il déclare avoir travaillé dans les services des frontières du FSB, et condamne maintenant la guerre en Ukraine et Poutine. L’enregistrement en question a été publié sur la chaîne YouTube de sa femme. « Moi, Nazarouk Roman Igorevich, je suis citoyen de la Fédération de Russie et je n’ai pas d’autre nationalité. Diplômé de l’Institut de droit de Kazan du ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie, j’ai effectué mon service militaire obligatoire et j’ai également servi sous contrat dans les gardes-frontières du service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie. Poutine a attaqué l’Ukraine en 2014, ce qu’il a confirmé lui-même dans l’une de ses interviews, qualifiant cela de blocus des forces armées ukrainiennes stationnées en Crimée. Par sa faute, des milliers de personnes ont perdu la vie dans les régions de Donetsk et de Lougansk. Et alors que le conflit semblait presque gelé avec des accords en place, il a lancé une invasion à grande échelle de l’Ukraine, le 24 février 2022. Cela confirme le fait qu’il est impossible de négocier avec lui. Désormais, des centaines de milliers de personnes meurent dans la guerre de Poutine », déclare-t-il dans la vidéo. Roman Nazarouk a également été condamné pour avoir partagé deux publications de sa femme Anastasia Nazarouk, dans lesquelles elle s’exprime contre la guerre en Ukraine.
Nikolai Egorov, dirigeant du parti Yabloka dans la région de Vologda a été condamné à une amende de 200.000 roubles (environ 10,5 fois le salaire minimum) pour récidive de discrédit envers l’armée en raison de messages sur les réseaux sociaux. Cette information est rapportée par Sergei Tikhonov, avocat d’OVD-Info, représentant les intérêts d’Egorov.
« Celui qui a violé les frontières d’un État souverain est l’Agresseur ». En raison de ce commentaire et de plusieurs autres sur VKontakte, un tribunal de la région de Toula a condamné Alexandre Tokhirov à une amende de 30.000 roubles (environ 2 fois le salaire minimum) pour « discrédit envers l’armée russe ».
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.