Initiative civique à la mémoire d’Irina Slavina

Initiative civique à la mémoire d’Irina Slavina

Vendredi 2 octobre 2020, Irina Slavina, journaliste fondatrice du média en ligne indépendant et critique vis-à-vis des autorités KozaPress à Nijni Novgorod, membre de la fondation Open Russia, s’est immolée par le feu devant le siège de la Direction régionale du ministère de l’Intérieur, en désignant explicitement par un post sur Facebook la « Fédération de Russie » comme responsable de sa mort. L’événement a suscité une grande émotion non seulement à Nijni Novgorod où les militants de la société civile la connaissaient bien mais partout en Russie. Au-delà des raisons personnelles qui ont pu la conduire à cet acte, il est manifeste que les pressions multiples dont elle faisait l’objet depuis des années et dont le point d’orgue fut une perquisition très brutale effectuée la veille de sa mort dans une affaire où elle n’apparaissait pourtant que comme témoin, ont fortement pesé sur sa décision.

En signe d’hommage à sa mémoire et pour tenter d’éviter de nouveaux drames, plusieurs organisations de défense des droits humains, détentrices d’une expertise de longue date sur les abus divers commis par les organes d’enquête au cours des procédures judiciaires appellent à une réforme du Code de Procédure Pénale.


A l’occasion des obsèques de la journaliste de Nijni Novgorod Irina Slavina, le centres des droits humains Mémorial, Open Russia et l’ONG Public Verdict ont demandé une révision des règles du Code de procédure pénale.

La tragédie du 2 octobre à Nijni-Novgorod, l’auto-immolation d’Irina Slavina, nous incite à examiner de plus près la manière dont les perquisitions sont menées – tant pour les militants de la société civile que pour l’ensemble des justiciables. Conçue comme un acte d’enquête en relation avec un crime ou un délit, la perquisition a été transformée en instrument de brutalité et de pression psychologique.

Le code de procédure pénale (CPP) réglemente tant les motifs que le déroulement d’une perquisition, établissant notamment la nécessité d’une autorisation du juge pour effectuer une fouille à domicile. Cependant, tout d’abord, le CPP contient des « échappatoires » permettant de contourner cette exigence. La perquisition d’un logement est autorisée sans décision judiciaire « dans des cas exceptionnels », lorsqu’elle ne peut être reportée – avec notification ultérieure au tribunal. Résultat : une perquisition sur deux est « exceptionnelle ». De plus, le contrôle du juge dans ce domaine (y compris la nécessité d’obtenir une décision judiciaire de perquisition) est de plus en plus fictif : le tribunal n’entre pas dans les détails, se contentant d’entériner d’un coup de tampon la demande de l’enquêteur.

Par ailleurs, les enquêteurs ignorent souvent les exigences du CPP : interdiction faite aux avocats de se rendre sur les lieux, absence de notification de leurs droits aux personnes concernées et utilisation comme tiers témoins (понятые) de stagiaire des services d’enquête ou autres personnes liées aux enquêteurs.

Enfin, last but not least, tout le déroulement de la perquisition est elle-même devenue un instrument d’intimidation. C’est quasiment une tradition de commencer tôt le matin, parfois avant six heures, de retirer ou découper la porte d’entrée, de confisquer ordinateurs, téléphones, et autres supports de données non seulement à la personne concernée mais aussi à sa famille – même si l’affaire en cours d’enquête n’a pas de rapport avec ces outils technologiques. Parfois, l’argent et les cartes bancaires sont saisis sans raison, laissant les gens sans moyens de subsistance, ou sans économies accumulées pendant des années d’économies. Il faut en général des années pour obtenir la restitution du matériel et de l’argent quand ils ne disparaissent pas dans les profondeurs des organes d’enquête. En réalité, une telle procédure n’est guère différente d’un cambriolage.

Ces perquisitions sans avocat, avec effraction des portes et confiscation du matériel, sont régulièrement effectuées non seulement pour les suspects et les accusés, mais aussi pour les témoins, qui sont encore moins protégés par la procédure.

Ces pratiques, testées et déployées sur des affaires dites « politiques », sont de plus en plus utilisées dans l’instruction des affaires « ordinaires ». Dans ce contexte, les déclarations des hauts dirigeants des organismes d’enquête sur le caractère infondé des affirmations des avocats et des défenseurs des droits de l’homme sonnent comme une vaste et sinistre plaisanterie.

Nous, représentants d’organisations de la société civile, demandons que les perquisitions ne soient plus utilisées pour intimider les citoyens. Le CPP doit être modifié pour éviter les abus des enquêteurs. Le contrôle judiciaire sur la conduite des perquisitions doit passer du statut de formalité à celui d’instrument effectif. Les « recherches d’intimidation » doivent cesser, sinon elles briseront bien d’autres destins.

Nous suggérons que les représentants de la société civile, de la communauté des avocats et des juristes unissent leurs efforts pour élaborer une série de revendications à l’intention des autorités, dont la mise en œuvre ne serait pas seulement un hommage à la mémoire d’Irina Slavina, mais permettrait d’éliminer les conditions qui ont causé la tragédie de Nijni-Novgorod.

6 octobre 2020

Le Président du Conseil du Centre des droits de l’homme « Memorial » A. Tcherkassov

La Directrice de la Fondation « Verdict public » N. Taubina

Le Directeur exécutif d’Open Russia A. Pivovarov

Source: https://memohrc.org/ru/news_old/obshchestvennaya-iniciativa-pamyati-iriny-slavinoy