Le Centre Sakharov perd ses locaux à Moscou

Le Centre Sakharov perd ses locaux à Moscou

Le 24 janvier 2023, le Centre Sakharov a reçu une lettre du département des biens immobiliers de la ville de Moscou informant de la résiliation des contrats de location pour tous ses locaux et donc très probablement de son expulsion prochaine de ses locaux.

Mémorial-France tient à exprimer tout son soutien à cette organisation, dont l’apport est immense pour écrire l’histoire de l’URSS et la transmission de l’héritage d’Andreï Sakharov. Le Centre Sakharov, à la fois musée, lieu de rencontres et de débat, bibliothèque et centre de recherche a réalisé une œuvre essentielle, parmi laquelle, par exemple, le recueil de mémoires et journaux intimes sur le Goulag (Воспоминания о Гулаге и их авторы). Le Centre Sakharov avait soutenu Mémorial-France pour organiser conjointement, à l’occasion de son centenaire, l’exposition Andreï Sakharov, les droits humains au cœur de l’Europe, sur le parvis de l’Hôtel de ville à Paris en mai 2021, exposition qui a circulé ensuite dans plusieurs villes, notamment à Strasbourg, et, en partenariat avec Memorial Italia, dans de nombreuses villes d’Italie.

Cette décision est d’autant plus alarmante, qu’elle s’inscrit dans une nouvelle offensive contre les ONG russes, avec, notamment, la dissolution « express » du Groupe de Défense des droits humains «Helsinki».

Mémorial-France dénonce fermement cette nouvelle attaque contre une organisation qui avait su, malgré les difficultés, restée libre et indépendante, et que les autorités russes, aujourd’hui, veulent faire disparaître. Il ne s’agit pas que d’une attaque frontale contre le Centre, mais tout autant d’une insulte à la mémoire d’Andreï Sakharov, un immense savant, humaniste, combattant pour la liberté, le premier président de Mémorial.

Nous reproduisons ci-dessous le communiqué publié par le Centre Sakharov :

Cette décision résulte d’une modification apportée à la loi sur les « agents étrangers », entrée en vigueur le 1er décembre 2022. Les « agents étrangers » ne peuvent plus recevoir de soutien de l’État. Or, tous les locaux du Centre Sakharov ont été loués à titre gracieux.

Cela prouve une fois de plus que l’objectif politique de l’État est de faire disparaître toutes les organisations indépendantes qui défendent les intérêts publics.

Les locaux ont été remis au Centre en 1993 et 1996. Le gouvernement avait alors compris que préserver l’héritage de Sakharov était un devoir face à la société, dû à l’un des plus grands humanistes du XXe siècle.

Pendant toutes ces années, nous avons soigneusement utilisé l’espace dont nous disposions. L’appartement du 48b de la rue Zemlianoy Val, où vivait Andreï Sakharov, abrite ses archives. Il contient non seulement ses documents personnels, mais aussi des milliers de lettres provenant de toute l’Union soviétique et contenant des demandes d’aide, des mots de soutien et de gratitude. Une exposition permanente, consacrée au parcours de Sakharov y est présente. Cette exposition crée une atmosphère unique, plongeant le visiteur dans la vie de ce grand compatriote.

La conception architecturale de la salle du musée dans le grand bâtiment du Centre a remporté le prix du meilleur design intérieur au concours d’architecture de Moscou en 1997. Le Centre a créé la seule exposition historique du pays qui raconte l’histoire de l’URSS en tant que régime totalitaire. Notre objectif était d’aider le public à repenser les pages tragiques de son histoire, de lui faire comprendre que la répétition de la répression politique, des déportations et de politiques étrangères agressives est destructrice pour le pays et ne doit pas être répétée, que le chemin vers un avenir décent ne peut pas passer par l’arbitraire, la violence et le sang.

Depuis un quart de siècle, le Centre est un lieu qui rassemble des milliers de citoyens russes qui ne sont pas indifférents au sort de leur pays et aux valeurs de liberté et de droits de l’homme. Le Centre a organisé des expositions, des soirées commémoratives, des conférences et des débats publics. C’était un lieu de rencontre et un lieu de mémoire. Václav Havel, Adam Michnik, Vladimir Boukovski, Anatol Chtcharanski, Tomas Venclova et Tom Stoppard y ont pris la parole.

C’est ici qu’on a rendu hommage après leur décès à Sergeï Kovalev, Boris Nemtsov, Iouri Ryjov, Valeria Novodvorskaïa, Iouri Afanassiev et bien d’autres parmi ceux sans lesquels l’histoire de la défense de la liberté dans notre pays ne peut être écrite.

Depuis de nombreuses années, le Centre Sakharov est un lieu publique unique qui a permis à un large éventail d’initiatives civiques, de défenseurs de différents points de vue et écoles de pensée – des libéraux classiques à la gauche progressiste – et de représentants des droits de l’homme, de l’environnement, du féminisme et d’autres mouvements de s’exprimer et de développer leurs projets.

Nous avons travaillé toutes ces années, malgré un climat d’intolérance, d’obscurantisme et de peur, de provocations, de persécutions et de lois répressives.

Aujourd’hui, l’histoire du Centre telle qu’elle s’est déroulée pendant un quart de siècle s’achève. L’île de la liberté est impossible dans la Russie d’aujourd’hui, qui a tourné le dos non seulement à l’héritage de Sakharov, mais aussi à toute la tradition nationale d’humanisme, de recherche de la vérité et de justice.

Il est possible d’être un homme libre dans un pays non libre. Un musée et un centre gratuit, hélas, ne le sont pas.

Un pouvoir non contrôlé qui corrompt la société avec des mythes fondés sur la peur, la haine et un faux sentiment de supériorité, un pouvoir qui manipule des traumatismes nationaux réels ou imaginaires et exploite cyniquement les sentiments populaires les plus nobles, ne peut que suivre la voie de la répression, de l’arbitraire, de la destruction et du bain de sang. Sakharov avait prévenu, et nous pouvons le voir de nos propres yeux aujourd’hui.

Il est encore trop tôt pour dire adieu. Nous devons célébrer le 100ème anniversaire d’Elena Bonner. Nous aurons le temps de le faire dans l’espace qu’elle a créé. Une époque se termine, mais l’histoire ne se termine pas. A la suite de Sakharov, nous croyons au triomphe de ce qu’il y a de meilleur en l’homme, au triomphe de la paix, de l’humanisme et du progrès.

Dans un avenir proche, nous nous efforcerons de préserver tout ce qui est lié au travail du Centre et qui peut l’être. Nous nous efforcerons de préserver la mémoire du Centre et de ses activités. Et nous aurons besoin de l’aide de toutes les personnes qui ne sont pas indifférentes à cette situation.

Commission publique pour la préservation de l’héritage de l’académicien Sakharov (Centre Sakharov)