Pourquoi le FSB assimile-t-il les répressions soviétiques à un secret d’État ?

Pourquoi le FSB assimile-t-il les répressions soviétiques à un secret d’État ?

Marina Agaltsova et Natalia Sekretariova, avocates du Centre des droits Humains Memorial, ont formé un recours devant la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) au nom de l’historien Sergueï Proudovski. Les activités de ce chercheur relèvent de la protection prévue au titre de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, à savoir « la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans quil puisse y avoir ingérence dautorités publiques ».

Pour rappel, Sergueï Borisovitch Proudovski consacre ses recherches aux opérations « nationales » du NKVD, dans le cadre desquelles plus de 365 000 personnes ont été victimes de répressions. Un tribunal russe a récemment refusé une fois de plus à Sergueï Proudovski l’accèsaux documents d’archives du NKVD. Voici  ce qu’il s’est passé lors de la dernière audience. À travers l’exemple du procès devant le tribunal d’Ivanovo, nous constatons que les répressions des années 1930 relèvent aujourd’hui du secret d’État.

Pourquoi le FSB considère-t-il  les répressions soviétiques comme un secret d’État ?

Que s’est-il passé ?

À la mi-mars, le tribunal régional d’Ivanovo a débouté l’historien de son action contre la direction régionale du FSB d’Ivanovo. Sergueï Borisovitch Proudovski, qui travaille depuis des années sur les opérations nationales du NKVD, demandait dans sa plainte que soient déclarées illégales les restrictions des conditions d’accès aux procès-verbaux dressés par la troïka spéciale de la direction du NKVD de la région d’Ivanovo entre le 17 septembre et le 15 novembre 1938. Précisons que la séance s’est tenue à huis clos, car la direction régionale du FSB d’Ivanovo estime que les motifs des restrictions d’accès aux procès-verbaux déclassifiés relèvent du secret d’État.

Pourquoi ces documents sont-ils importants ?

Les procès-verbaux que l’historien souhaitait consulter contiennent des informations sur les personnes condamnées par la troïka spéciale de la direction du NKVD de la région d’Ivanovo à l’étape finale des opérations nationales du NKVD. Combien de personnes ont été victimes de ces répressions ? À quelles peines ont-elles été condamnées ? Ces informations figurent dans les documents dont l’accès vient d’être, une fois encore, refusé.

Sergueï Proudovski : « Les informations contenues dans ces procès-verbaux sont très importantes, car le rapport statistique du NKVD de l’URSS sur les activités des troïkas spéciales dans la région d’Ivanovo ne fournit aucune information. Nous ne connaissons pas le nombre de victimes qu’a fait cette troïka, ce qui rend peu fiables les chiffres dont nous disposons sur le bilan des opérations nationales du NKVD. »

Comment la direction du FSB motive-t-elle son refus ?

La direction du FSB motive son refus d’accorder l’accès aux documents en expliquant que les procès-verbaux demandés peuvent contenir des informations de nature à :

1) pouvoir être utilisées pour faire l’apologie de la guerre, pour inciter à la haine et à l’hostilité nationale, raciale ou religieuse, ainsi que contenir d’autres informations dont la diffusion fait l’objet de sanctions pénales ou administratives ;

2) pouvoir porter préjudice à la réputation de la Fédération de Russie sur la scène internationale.

Sont-ils vraiment sérieux ?

Oui…

Très bien, admettons… laccès aux documents est refusé. On fait quoi maintenant ?

Sergueï Proudovski prévoit de faire appel de la décision du tribunal régional d’Ivanovo. Outre les motifs de refus absurdes rappelés plus haut, le défendeur fait appel de la qualification de secret d’État qui frappe prétendument les documents de 1938 qu’il demande à pouvoir consulter. Dans le même temps, l’historien se bat pour pouvoir accéder à des procès-verbaux de troïkas du même type, mais cette fois dans la région de Toula. La direction du FSB de la région de Toula est, hélas, solidaire de ses collègues d’Ivanovo. Elle n’accorde pas l’accès aux documents et recourt à des arguments de la même nature. L’étape suivante est donc une plainte auprès de la CEDH.

En quoi consiste la plainte auprès de la CEDH ?

Dans son recours devant la CEDH, le plaignant note que le refus qui lui a été opposé de prendre connaissance des archives du dossier pénal d’un collaborateur du NKVD mêlé à la Grande Terreur n’est pas justifié légalement, qu’il ne poursuit pas un objectif légitime et qu’il restreint de manière disproportionnée le droit d’un chercheur à accéder aux sources.

S. Proudovski souligne que dans le contexte d’un intérêt important, au sein de la société, pour les informations concernant les activités du NKVD, ce refus d’accéder au contenu d’une affaire pénale archivée […] revient à dissimuler à la société des informations sur la « cuisine interne » d’un organe extrajudiciaire ayant mené des persécutions massives contre sa propre population, et à permettre de mettre en doute la fiabilité des informations concernant la nature et l’échelle des répressions soviétiques.

Ce refus est d’autant plus absurde que les fonds d’archives mettent à la disposition du public les dossiers pénaux des personnes réhabilitées, dossiers examinés par ces mêmes organes du NKVD en vertu des mêmes chefs d’accusation et à la même période.

Attendons de voir de quel côté penchera la CEDH, et quels prétextes inventeront encore les juges russes pour nous interdire la vérité historique.