Chroniques de la Russie qui proteste // 24 – 31 octobre 2022

Chroniques de la Russie qui proteste // 24 – 31 octobre 2022

En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.

Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.


Prières contre la guerre

Photo :  maison d’édition « Idel.Realii »

Le média Aktivatika rapporte que  le 30 octobre, des prières pour la fin de la guerre en Ukraine ont été organisées par des ressortissants de la République Mari-El, à Iochkar-Ola, la capitale. Elles ont été prononcées par les représentants de la communauté de religion traditionnelle. Ils ont offert deux béliers et trois oies aux dieux, ils leur ont demandé d’arrêter le bain de sang dans le pays voisin et de créer une société sans conflit sur la terre.

Restitution des noms

Le 29 octobre a eu lieu l’action pour la commémoration des victimes des répressions politiques, intitulée « Restitution des noms ».. Elle s’est déroulée dans 22 pays et 77 villes, dont 17 en Russie.

Près de la pierre des Solovki à Moscou, les gens ont déposé, avec les noms des personnes réprimées, des tracts contre la guerre.

Véhicules endommagés en raison de positions pro-guerre

À Novorossiisk, des militants inconnus arrachent les symboles du mouvement Z, apposés sur les voitures, et crèvent leurs pneus, rapporte DOXA. Ils parviennent à endommager plusieurs voitures en une seule nuit.

Piquets de protestation solitaires 

Photo : Activatika

 Un piquet contre la mobilisation des peuples asservis a eu lieu le 30 octobre en Kalmoukie, écrit Activatika, en citant la chaîne de la Ligue des nations libres. Les gens ont organisé un piquet devant le cinéma Rodina, l’hôtel Elista et la pagode des Sept Jours.

Sur les photos : les militants portent des pancartes : « Protégez les petits peuples ; NON A LA GUERRE » et « JE SUIS CONTRE LA GUERRE »


Photo : Chaine de Telegram « ОЧНИСЬ » (littéralement « Réveille-toi !»)

Le 27 octobre, à Omsk, une femme âgée a tenu un piquet de protestation solitaire devant le monument en l’honneur de Bogdan Khmelnitsky, écrit l’association civique d’Omsk. Elle tenait une affiche « Mères, arrêtez la guerre ». 

Cinq policiers sont arrivés à bord de deux voitures pour arrêter cette  » dangereuse contrevenante « . Ils lui ont ordonné de rouler sa pancarte et, devant son refus, l’ont entraînée de force dans une voiture de patrouille.


Inna Volkova a été arrêtée sur la place du Manège à Moscou, rapporte OVD-Info. La militante tenait un piquet de protestation solitaire munie d’une pancarte « Pour la paix ». 


Un militant, Erkin Zabiyev, a été arrêté devant le bâtiment de la Douma d’Etat à Moscou, rapporte OVD-Info. Lors de son piquet solitaire, il exigeait la destitution de Vladimir Poutine. 


La police de Tyumen a fait appel de la décision de clore l’affaire contre Alisa Klimentova « NON A LA G****E ! ». La mère d’Alisa Klimentova en a informé OVD-Info. Selon la version de la police, Alisa Klimentova participait à une action contre la mobilisation, et ses agissements visaient à « exprimer son désaccord avec la mobilisation partielle ».

Auparavant, le tribunal avait classé l’affaire après qu’Alisa eut déclaré qu’elle voulait dire « NON A LA GIRELLE! » (un poisson dont elle dit avoir une aversion marquée).

Affaires pénales

A Ivanovo, Olga Nazarenko, docteure es-sciences médicales, a été suspendue de son poste d’enseignante au département de pharmacologie de l’Académie médicale d’État d’Ivanovo, écrit OVD-Info. Auparavant, une procédure pénale avait été ouverte contre elle pour violation répétée des règles d’organisation des manifestations publiques. Durant le mois de février, la militante sortait avec des affiches «  Non à la guerre » et « Je suis une Russe contre la guerre. Poutine à La Haye ». Elle avait aussi tenu, le 10 septembre, un piquet de protestation solitaire condamnant la guerre en Ukraine. 

Le 18 octobre, une perquisition a eu lieu au domicile d’Olga, au cours de laquelle toutes ses économies personnelles ont été confisquées. Elle élève seule son fils en bas âge et sa fille, étudiante en deuxième année. Elle connaît à présent des difficultés matérielles en raison des amendes et de son licenciement.


À Sotchi, une procédure pénale a été ouverte à l’encontre de Vladimir Atamanchuk, un militant de 71 ans, pour discrédit répété à l’encontre de l’armée russe, rapporte OVD-Info. Ce retraité avait déjà été condamné à payer deux amendes pour avoir distribué des tracts contre la guerre.


Le 24 octobre, à Olan-Ude (Bachkirie), Natallia Filonova, une participante à une action anti-mobilisation, a été assignée à résidence selon OVD-Info. Elle est accusée d’avoir frappé de la main un policier au visage, alors qu’elle était en  route pour le tribunal. Elle aurait également enfoncé la pointe d’un stylo dans la figure d’un autre.


OVD-Info rapporte qu’une affaire pénale pour coups et blessures par haine politique a été ouverte contre Dmitry Martynichev, un militant de Saint-Pétersbourg. Selon les enquêteurs, ‘homme avait, en mai, donné trois coups de poing à un passager du métro arborant sur sa veste la lettre Z. 


Un tribunal de Toula a condamné Dmitry Kozyrev, un habitant de la ville, à deux ans de restriction de liberté pour avoir écrit sur la tour Spasskaya du kremlin de Toula : « La guerre est un requiem au bon sens ».


À Rostov-sur-le-Don, Vladimir Kulbatsky, un citoyen ukrainien, a été condamné à 7 ans et 11 mois de détention en colonie pénitentiaire à régime sévère pour sa participation à l’organisation nationaliste ukrainienne Secteur droit, rapporte OVD-Info. Kulbatsky aurait participé à des opérations de combat contre la police locale de la République populaire de Donetsk, et aurait également promu en ligne l’activité de Secteur droit. 

Affaires contre des mobilisés

Le bureau du commandement  militaire de Oulan-Oudé a ouvert une affaire pénale contre un mobilisé de Yakoutie pour abandon de poste, écrit l’avocat Pavel Tchikov.  (https://t.me/pchikov/5251 ). Selon ce défenseur des droits humains, l’homme avait dit à son commandant : « Je n’irai pas en Ukraine, je ne tirerai pas sur les Ukrainiens ». Après cette déclaration, il avait été menacé de représailles et de poursuites pénales. L’homme s’était enfui par un trou dans la clôture.


Le Comité d’enquête a ouvert une procédure pénale contre un militaire sous contrat, pour non-exécution d’un ordre en temps de guerre, rapporte OVD-Info. Selon l’enquête, le militaire « n’a pas exécuté l’ordre donné, conformément à la procédure établie, de partir en mission de combat, refusant ainsi sa participation aux hostilités. »

Poursuites en ligne 💻

Une procédure pénale a été engagée contre Yan Kulikov, un habitant de Soligalich, dans la région de Kostroma, pour diffusion de « fausses nouvelles » sur les forces armées de la Fédération de Russie, rapporte OVD-Info. Le motif de l’action pénale est la publication de messages concernant le bombardement par l’armée russe de quartiers résidentiels de la ville de Nikopol, dans la région de Dnipropetrovsk, à l’aide de lance-roquettes multiples Grad, ainsi que les frappes régulières d’infrastructures civiles et de civils dans les villes de Vinnitsa, Krementchouk, Tchassiv Iar, Marioupol, Odessa, Kramatorsk et Kharkiv.


L’équipe du projet Novosti-26 a reçu un avis de blocage imminent de la part du Comité fédéral de surveillance. Il a été demandé aux créateurs du projet de retirer des informations « diffusées en violation de la loi ». Le Comité a décidé de taire lesquelles.

Le projet Novosti-26 a été lancé en juillet 2022 par l’écrivaine Linor Goralik. Le but du projet est de parler de la politique russe aux adolescents à partir de 12 ans, et notamment de la guerre en Ukraine.


À la demande du Parquet général, VKontakte a bloqué la page de Dmitry Sekushin, un militant d’Arkhangelsk, qui publiait régulièrement des messages contre la guerre.


Le Comité fédéral de surveillance a bloqué le site web anglophone de la communauté des fans du musicien Leopold Auer (Leopold Auer Society). Selon les autorités russes, cette communauté discréditait l’armée russe en condamnant ouvertement l’invasion de l’Ukraine par la Russie. 


Le Comité fédéral de surveillance a bloqué le site Service d’aide, à la demande du Parquet. Ce projet aide les personnes qui ont subi des pressions de la part des autorités russes en publiant des guides et des ressources pour aider les Russes et les Ukrainiens concernés. Le Service d’aide dispose également d’un bot pour les questions relatives à l’émigration, à la mobilisation et à d’autres sujets.


Le site du Mouvement des objecteurs de conscience  a été bloqué à la demande du Parquet. L’administration de VKontakte avait déjà bloqué la page du mouvement sur le réseau social, pour diffusion présumée de « fausses » informations sur les actions de l’armée russe. « Nous considérons ce qui s’est passé comme une atteinte à la liberté d’expression. Nous n’avons pas publié de « fausses nouvelles » visant à discréditer l’armée russe sur notre site », a déclaré Elena Popova, coordinatrice du mouvement.


Yuliya Moiseenko, une habitante de Morozovsk, dans la région de Rostov, a été condamnée à une amende de 40 000 roubles pour avoir partagé sur son compte une vidéo montrant des tirs de missiles, des explosions et des destructions en Ukraine. Elle a été reconnue coupable de discrédit à l’encontre de l’armée russe.


À Pskov, un tribunal a condamné Anastasia Grigoryeva, la fille d’un officier de l’endroit, à une amende de 35 000 roubles pour avoir exprimé dans une interview à des journalistes sa condamnation des crimes de guerre en Ukraine.

Censure militaire dans la culture 🏛️

OVD-info rapporte que, dans le film Moustaï, consacré au poète bachkir Mustai Karim, la scène avec l’actrice Chulpan Khamatova a été coupée. Celle-ci s’est exprimée à plusieurs reprises contre la guerre en Ukraine. Dans la scène coupée, Khamatova lisait le poème Depuis trois jours, tombe de la neige mouillée. Lors de la première du film, le 18 octobre à Kazan, la scène en question a été jouée par une autre actrice, Polina Agureyeva.


Au théâtre dramatique de Kemerovo, le nom du metteur en scène Rimas Tuminas a été masqué sur les affiches de la pièce Guerre et Paix. Son nom a également été retiré de la page du spectacle sur le site Internet du théâtre. Elena Sitkina, directrice adjointe du théâtre, a déclaré lors d’une conversation avec la rédaction que cela était dû à « un ordre venu d’en haut, du ministère de la Culture ». « Il nous est interdit de commenter ce sujet ! Comme si vous ne saviez pas vous-mêmes qui est ce metteur en scène. Vous le savez, n’est-ce pas ? Alors pourquoi poser la question ? »

Rimas Tuminas a ouvertement condamné l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine.

Bonus 1 : La paix aux couleurs du drapeau ukrainien 

Photo : abonnés de la chaîne Telegram « Koselev » 

Yekaterinburg, La place de 1905 

Sur la photo : le mot paix  a les couleurs du drapeau ukrainien.

Bonus 2 : Arrêts de bus anti-guerre 🚏

1. Région de Nizhny Novgorod

Source de la photo : ASTRA tg-channel

Sur la photo : inscription sur un arrêt de bus  « Obéir aux ordres injustes = crime »

2. Volgograd, arrêt de bus « Ecole N°12 »

Photo d’un abonné de la chaîne Telegram Réveille-toi ! 

La feuille collée sur l’arrêt de bus porte le texte suivant : 

Bonus 3 : « Non à la girelle » dans un cyber-café

Photo : amis de Mémorial


Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.

Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.