Chronique de la Russie qui proteste // 29 avril – 5 mai 2024
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Moscou
Une inscription dans le quartier de Lefortovo « Makhno, la gloire de l’Ukraine » [ndlr, Nestor Makhno (1888-1934) : représentant d’un communisme libertaire opposé au centralisme de Moscou, il est considéré comme une figure de l’indépendance ukrainienne].
Saint-Pétersbourg
Autocollants anti-guerre collés sur les produits d’un supermarché : « Non à la guerre ! ».« Le prix de la guerre, c’est la mort ! » , collages effectués par une membre anonyme de la Résistance Féministe contre la Guerre (RFG).
Propagande d’une militante anonyme de la Résistance féministe anti-guerre
Une militante anonyme de la Résistance féministe anti-guerre a collé des autocollants portant les inscriptions suivantes : « -20% pour les soins médicaux primaires, -10% pour la santé publique, Le soutien de l’État à la production de médicaments, c’est fini ! » « Plus de 20.000 milliards de roubles pour la guerre » (soit l’équivalent de 1 030 milliards fois le salaire minimal russe), « Ruzzkiy Mir = Nazisme » (NdlR, “le monde russe”, soit l’idéologie avancée par le gouvernement de Poutine), « 5, 59 trillions de roubles pour la guerre en 6 mois » (soit l’équivalent de 290 millions fois le salaire minimal russe), « Dénazifie-toi toi-même ! », « Pas khohol, mais ukrainien » (ndlr, khohol est un terme péjoratif et insultant pour désigner un Ukrainien), « Le pacifisme n’est pas de l’extrémisme ».
Kalouga
Les militants du mouvement Ruban vert placent ces symboles anti-guerre à Kalouga.
Saint-Pétersbourg
Autocollants affichant des cœurs et d’autres symboles pacifistes à Saint-Pétersbourg :
« Non à la guerre », « La paix, c’est l’amour. L’amour, c’est la vie. La guerre, c’est la mort. Non à la guerre », « Pas de guerre, car aucune n’est nécessaire à un homme de bien », « La Haye, La Haye »[NdlR, Siège de la Cour internationale de Justice qui a condamné Poutinel , « Liberté pour les prisonniers politiques », « Le printemps viendra », « Votez contre le mal », « Tu n’es pas seul ».
Moscou, région d’Arkhangelsk, Saint-Pétersbourg
Différentes formes de contestations : autocollants anti-guerre, inscriptions sur des billets de banque, sur des cadenas : « Paix », « Non à la guerre », « Lutte ! », « Ouvre les yeux », « Paix au monde », « Le prix de la guerre, c’est la mort ! », « Mort au régime ! ».
Région de Tver
Graffitis sur les murs et sur le sol : « Non à la guerre », « Poutine est un traître », « Poutine est un criminel », « Liberté pour la Russie ».
Sabotages et poursuites
L’Ukrainien Sergey Karmazin a été condamné à 25 ans de prison pour avoir mis le feu à deux armoires automatiques sur une voie ferrée près de Moscou. Il avait d’abord été inculpé de sabotage, mais des accusations supplémentaires ont été ajoutées : espionnage, formation à des activités de sabotage et aux activités terroristes, préparation de la fabrication d’explosifs, participation à une communauté de sabotage et terroriste, préparation à un attentat et formation à des activités terroristes. Il passera 6 ans en prison et les 19 années restantes dans une colonie pénitentiaire à régime sévère. Karmazin a fait appel de sa condamnation.
Le tribunal du district Dorogomilovsky à Moscou a arrêté le 30 avril cinq accusés pour attentat terroriste : Stanislav Khamidulin, Daniil Yamskov, Nikita Bulgakov, Roman Yakovets et Anastasia Mochalina. Ils sont accusés d’avoir mis le feu à un hélicoptère, à l’aérodrome d’Ostafievo. Les accusés ont entre 19 et 22 ans et risquent de 12 à 20 ans de prison.
Angel Nikolaev, un militant anti-guerre, a été condamné à 15 ans de prison. Il a été accusé d’avoir incendié un bureau de recrutement militaire, barré des symboles pro-guerre tels que la lettre « Z » sur des voitures, et des drapeaux russes disposés sur les tombes de participants à l’invasion de l’Ukraine, et d’avoir détruit une bannière arborant un insigne militaire et la lettre « Z ».
Un lycéen de 15 ans a été arrêté à Briansk. Il est accusé d’avoir pris des photos d’arrêts de bus, d’une place et d’un bâtiment gouvernemental, prétendument pour le compte de la « Légion Liberté de la Russie »[NdlR, organisation paramilitaire composée de Russes se battant aux côtés de l’armée ukrainienne]. Il est accusé de « participation aux activités d’une organisation reconnue comme terroriste dans la Fédération de Russie ». L’accusation relève d’un article prévoyant une peine de 10 à 20 ans de prison.
Protestations en ligne et poursuites
Ruslan Bolgov, originaire de la région de Voronej, qui avait publié sur les réseaux sociaux des textes anti-guerre appelant à perturber la conduite de l’opération militaire spéciale, a été reconnu coupable de « discrédit répété de l’armée » et condamné à une amende de 110.000 roubles (l’équivalent de 5,7 fois le salaire minimal).
Les militants Igor et Svetlana Orzhevskii ont publié sur leur site Internet orzhevskii.com des photographies d’affiches anti-guerre portant des mentions telles que : « POUTINE = MORT. Le 17/03/2024, NE CHOISISSEZ PAS LE FASCISME ! NON À PUTLER »[NdlR. Surnom donné à Vladimir Poutine unissant les noms de Poutine et d’Hitler] ou encore « POUTINE EST UN TERRORISTE DOTÉ D’ARMES NUCLÉAIRES, PLUS DANGEREUX QUE BEN LADEN ! CITOYENS RUSSES, PROTESTEZ CONTRE LE DICTATEUR POUTINE AVANT QU’IL NE DÉTRUISE LA RUSSIE, L’UKRAINE ET LE MONDE ENTIER ! » Sur la base de ces faits, des procès-verbaux ont été dressés contre les Orzhevskii pour exposition de symboles nazis et discrédit de l’armée russe.’
A Nijni Novgorod, le tribunal juge Sergueï Loukachevski, ancien directeur du Centre Sakharov dissous [NdlR, organisation historique de défense des droits humains en Russie], qui a quitté la Russie, pour avoir publié cinq messages anti-guerre sur Facebook. En particulier, on lui reproche un post évoquant les meurtres des habitants de Boutcha, la destruction de villes et de villages ukrainiens, la mort de femmes, d’enfants et de personnes âgées, ainsi que des actes de violence et de pillage. Il est également accusé d’avoir félicité Mémorial pour son prix Nobel de la paix. En outre, Loukachevski est accusé d’avoir participé à l’émission « Voïna kak moralnaïa katastrofa » [« La guerre comme catastrophe morale »], dans laquelle il évoquait les crimes de l’armée russe en Ukraine. L’affaire a été ouverte sur la base d’une dénonciation.
Sergueï Veselov, un blogueur originaire de Chouïa, avait publié une vidéo intitulée « Ne confondez pas les Allemands avec les Hitlériens et les Russes avec les pro-Poutine». Il est actuellement jugé pour discrédit de l’armée et risque un an de prison. Le blogueur a été arrêté et placé dans un centre de détention préventive où il a été frappé et aspergé d’eau bouillante, subissant des brûlures au deuxième degré sur 5% de son corps.
Gennady Vladimirov, un habitant de Primorsko-Akhtarsk (territoire de Krasnodar), a publié sur VKontakte des commentaires à propos d’une attaque contre des civils dans un village ukrainien, ainsi qu’une photo donnant à voir une femme, un enfant, avec des lettres Z et un sac poubelle, entouré d’un ruban de Saint-Georges [NdlR, symbole de patriotisme en Russie], avec une flaque de sang en dessous. Il est accusé de diffamations répétées de l’armée, d’incitation au terrorisme, d’extrémisme et d’activités anti-étatiques sur Internet.
Monuments commémoratifs
Moscou, monument à Lesya Ukrainka
« Boutcha, Kiev, Odessa, Kramatorsk, Vinnitsa, Dniepr, Kharkov, Kherson, Belgorod, Shebekino. Non à la guerre! Cela ne doit pas se reproduire ! »
Divers
À Volgograd, une jeune fille et un jeune homme ont été arrêtés après avoir déposé le 1er mai des couronnes sur les tombes des participants à la guerre en Ukraine et pour avoir arraché les drapeaux russes des tombes au cimetière Verkhnezarechensky. La police mène une enquête ; le président de la commission d’enquête de la Fédération de Russie, Bastrykin, a réclamé l’ouverture d’une procédure pénale.
Le 24 avril, Lyudmila Balaba, une habitante de Kingisepp, criait le slogan : « Gloire à l’Ukraine – gloire aux héros ! », alors qu’elle était dans la rue, en présence de passants. Elle a été arrêtée pour 10 jours et reconnue coupable d’exposition de symboles d’une organisation extrémiste.
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
© Memorial / © Memorial France pour la version française.