Chronique de la Russie qui proteste // 10 au 16 mars 2025
En Russie, depuis le début de la guerre en Ukraine, la société est profondément divisée face à l’agression des troupes russes. Alors que certains soutiennent fermement les actions du gouvernement, d’autres manifestent courageusement leur opposition à la guerre et à l’intervention militaire russe dans les affaires ukrainiennes.
Ce projet de publication a pour objectif de documenter ces protestations en publiant des chroniques hebdomadaires en utilisant les réseaux sociaux comme source principale d’information. Nous espérons offrir un aperçu de la dynamique interne de la société russe en temps de guerre, en mettant en lumière les voix et les moyens d’expression de ceux qui se dressent contre la politique étrangère de leur gouvernement.
La ville s’exprime
Ivanovo (District fédéral central)

«NON À LA GUERRE»
Kaliningrad (district fédéral du Nord-Ouest) et Voronej (district fédéral central)



Piquets de protestation solitaire et manifestations
Des piquets de soutien à une militante anti-guerre en grève de la faim, organisés à Tver et à Ramenskoïe (région de Moscou)


Le 11 mars, à Tver, la militante Tatiana Djinchveladze a mené une série de piquets en soutien à la prisonnière politique Lioudmila Razoumova. À Ramenskoïe, dans la région de Moscou, une autre militante, Oksana Ossadtchaïa, a également manifesté seule en sa faveur.
Lioudmila Razoumova a été condamnée à sept ans de prison pour des graffitis anti-guerre et des publications sur le réseau social Odnoklassniki, dans le cadre d’une affaire pour « vandalisme » et « fausses informations sur l’armée ». Son ex-mari, Alexandre Martynov, a écopé de six ans et demi de prison.
La peintre Lioudmila Razoumova est actuellement détenue à l’isolement disciplinaire (CHIZO) de la colonie IK-5, dans la région de Tver. Elle a mené une grève de la faim du 28 février au 12 mars, exigeant son transfert à l’hôpital pénitentiaire.
Piquet de protestation solitaire en soutien à une journaliste prisonnière politique organisé à Novossibirsk (district fédéral sibérien)

Le militant Vassili Semeniouk a tenu une nouvelle fois un piquet de protestation solitaire sur la place Lénine à Novossibirsk, pour réclamer la libération de la journaliste de RusNews, Maria Ponomarenko.
En 2023, Maria avait été condamnée à 6 ans de colonie pénitentiaire pour diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe, en raison d’une publication sur le bombardement par les forces russes du théâtre dramatique de Marioupol, ayant causé la mort de plus de 300 civils. Fin février de cette année, le procureur a requis deux années supplémentaires de prison dans une nouvelle affaire, l’accusant d’une prétendue agression contre des employés de la colonie.
Poursuites
Un habitant d’Orsk (district fédéral de la Volga) poursuivi pour « apologie du terrorisme » en raison de son soutien à l’armée ukrainienne
Un résident de la ville d’Orsk avait publié des commentaires sur Telegram exprimant son soutien aux forces armées ukrainiennes. Le 18 mars, il a été arrêté par les forces de sécurité dans le cadre d’une procédure pénale pour « apologie du terrorisme ».
Un habitant de Nijni Novgorod placé en détention provisoire pour avoir fait un don à la Légion Liberté de la Russie
Un homme de 23 ans, habitant à Nijni Novgorod (district fédéral de la Volga), avait effectué deux paiements en crypto-monnaie depuis les plateformes Binance et KuCoin vers les portefeuilles officiels de la Légion Liberté de la Russie, afin de financer l’achat d’un drone. Le 12 mars, à la suite d’une perquisition et d’un interrogatoire dans le cadre d’une affaire pénale pour haute trahison, il a été placé en centre de détention provisoire (SIZO).
Un blogueur s’opposant à l’invasion à grande échelle condamné à sept ans de colonie pénitentiaire

Vadim Khartchenko tenait une chaîne YouTube où il critiquait les autorités, parlait d’affaires politiques et d’arrestations. En 2022, il avait plusieurs fois été condamné à verser des amendes pour « discrédit à l’encontre de l’armée ». En février 2024, il a été accusé de discrédit répété à l’encontre de l’armée, d’offense aux sentiments des croyants, d’appels publics à l’extrémisme, ainsi que de diffamation. Le 12 mars, le tribunal de la ville de Gelendjik, dans le kraï de Krasnodar, l’a condamné à sept ans de détention en colonie pénitentiaire à régime général.
L’auteur d’un canal Telegram jugé pour terrorisme après s’être exprimé contre la guerre

Pavel Svejentsev, originaire d’Ekaterinbourg et auteur d’un canal Telegram « République de l’Oural », s’est exprimé de façon constante contre l’agression militaire russe en Ukraine. Selon l’enquête, il avait projeté de créer une formation armée visant à « libérer l’Oural » et d’organiser des groupes de résistants à l’intérieur du pays. Svejentsev avait été arrêté à l’été 2023, d’abord pour « appels au terrorisme », accusation ensuite complétée par celles de « soutien au terrorisme » et « création d’une organisation terroriste ».
Le 10 mars, on a appris que son affaire avait été transmise au tribunal militaire du district central d’Ekaterinbourg.
Un habitant de Gatchina (district fédéral du Nord-Ouest) arrêté pour avoir approuvé un attentat contre un militaire russe
Un habitant de Gatchina avait publié des commentaires en ligne dans lesquels il approuvait l’explosion d’un véhicule transportant un militaire, survenue à Moscou en juillet 2024. Lors de cet attentat, le soldat avait perdu une jambe et son épouse avait été grièvement blessée par des éclats. L’homme, âgé de 52 ans, est poursuivi pour « apologie du terrorisme ».
Un habitant de Touapsé condamné pour avoir diffusé des informations sur les crimes de Boutcha
Ilia Youjakov, un habitant de Touapsé (district fédéral du Sud), avait publié dans un groupe local une vidéo contenant des informations sur les « frappes massives de roquettes et d’artillerie menées par l’armée russe contre la population civile à Boutcha ». Ilia a été condamné à trois ans de travaux forcés.
Un habitant de la région de Kourgan (District fédéral de l’Oural) arrêté pour avoir soutenu des organisations nationalistes ukrainiennes
Un ancien étudiant a été arrêté dans la région de Kourgan pour « réhabilitation du nazisme sur Internet », en raison de ses prises de position publiques en faveur de l’Armée nationale-révolutionnaire ukrainienne, de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) et de la Défense populaire ukrainienne.
Des propos appelant au renversement violent du pouvoir donnent lieu à deux poursuites pénales
Dmitri Bogdanov, un habitant de Ioujno-Sakhalinsk (district fédéral d’Extrême-Orient), avait publié dans des chats sur Telegram et WhatsApp des commentaires évoquant la nécessité de renverser Poutine par la force.
Le 12 mars, on a appris que deux affaires pénales avaient été ouvertes contre lui pour « apologie du terrorisme ». Ce même jour, un procès-verbal administratif a également été établi contre lui pour « discrédit à l’encontre de l’armée russe », à la suite d’un message publié sur Telegram : « Mes chers compatriotes, je crois avoir compris pourquoi toute cette merde nous arrive depuis tant d’années, pourquoi nous avons d’abord voté massivement pour Poutine, et pourquoi maintenant la majorité soutient la guerre en Ukraine et considère que l’Ukraine est une marionnette d’un Occident mythique. »
Un habitant du Bachkortostan (district fédéral de la Volga) poursuivi pour des commentaires favorables au Corps des volontaires russes (RDK)
Un habitant non nommé du Bachkortostan avait publié sur Telegram des commentaires exprimant son soutien au Corps des volontaires russes (RDK). Il fait désormais l’objet d’une procédure pénale pour « appels au terrorisme » et « apologie du terrorisme ».
Un détenu soutenant l’Ukraine condamné à une nouvelle peine de prison
Les détenus Roman Morozov et Vladimir Konovalov avaient diffusé en prison des vidéos contenant des informations sur l’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie. Le 13 mars, on a appris que Roman Morozov avait été reconnu coupable de diffusion de « fausses informations » en groupe, et qu’il avait été condamné à 5 ans et demi de colonie pénitentiaire à régime sévère, cumulés avec une condamnation antérieure.
Anna Vorobieva, auteure de publications sur les crimes de l’armée russe, condamnée à huit ans de colonie pénitentiaire
Anna Vorobieva, originaire du kraï de Stavropol (district fédéral du Sud), publiait depuis le 24 février 2022 des messages sur les actions de l’armée russe en Ukraine : bombardements de quartiers résidentiels, d’infrastructures civiles, et massacres de civils à Boutcha. Le 13 mars, elle a été reconnue coupable de diffusion de « fausses informations » sur l’armée russe, motivée par la haine et l’hostilité, et condamnée à huit ans de colonie pénitentiaire.
Un ouvrier d’Ekaterinbourg (district fédéral de l’Oural) condamné à une peine effective de prison pour avoir qualifié le correspondant militaire Tatarsky de tumeur cancéreuse
Alexeï Sergueïev, un ouvrier originaire d’Ekaterinbourg, s’était exprimé à plusieurs reprises sur sa page VKontakte contre la guerre à grande échelle en Ukraine. En mai 2023, il avait déjà été condamné à verser une amende de 30 000 roubles (soit 1,3 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie) pour « discrédit à l’encontre de l’armée ». Le 4 avril 2023, il avait commenté un post relatif à l’assassinat du correspondant de guerre Vladlen Tatarsky, le qualifiant de « tumeur cancéreuse ». Le 10 mars, Alexeï a été condamné à cinq ans et trois mois de colonie pénitentiaire pour « apologie publique du terrorisme ».
Un ressortissant ukrainien condamné à 15 ans de prison pour avoir lancé un cocktail Molotov sur un bureau de recrutement

En mai 2024, Piotr Romaniouk avait lancé un cocktail Molotov sur le bâtiment du commissariat militaire de la ville de Souoyarvi, en Carélie (district fédéral du Nord-Ouest). L’incendie n’avait pas pris, les flammes ayant été rapidement éteintes. Quelques jours plus tard, les forces de sécurité avaient arrêté Piotr et l’avaient placé en détention provisoire (SIZO).
Le 13 mars, un tribunal militaire l’a condamné à 15 ans de colonie pénitentiaire.
Piotr s’opposait à l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine depuis 2014.
Un étudiant d’Oukhta condamné à une amende de 200 000 roubles pour des inscriptions critiques envers l’armée russe

À l’été 2024, Maxime Diadtchenko, un étudiant âgé de 20 ans et originaire d’Oukhta (district fédéral du Nord-Ouest), avait écrit des slogans condamnant l’armée russe sur des affiches représentant des militaires. Le tribunal l’a reconnu coupable de « dégradation d’objets dédiés aux personnes ayant défendu la Patrie ou ses intérêts » et l’a condamné à une amende de 200 000 roubles (soit 8,9 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie).
La capture d’écran est issue du groupe public du tribunal municipal d’Oukhta.
Un habitant de Chebekino (district fédéral central) condamné à une amende pour des propos négatifs sur les militaires
À l’été 2023, Evgueni Fedko, originaire de Chebekino, dans la région de Belgorod, avait publié plusieurs commentaires sur Telegram que le tribunal a considérés comme des « propos incitant à la haine ou à l’hostilité envers les militaires et les Russes ».
Il a été reconnu coupable d’incitation à la haine et condamné à une amende de 15 000 roubles (soit 0,67 fois l’équivalent du salaire minimum en Russie).
Un habitant de Belgorod (district fédéral central) arrêté par le FSB pour avoir préparé l’empoisonnement de militaires russes
Un homme de 49 ans, originaire de Belgorod, transmettait à la partie ukrainienne des informations sur la localisation et la rotation des troupes russes dans les zones frontalières de la région.
Le 13 mars, on a appris que les forces de sécurité l’avaient arrêté alors qu’il préparait un empoisonnement de militaires russes et un acte de sabotage.
Des poursuites pénales ont été engagées contre lui pour haute trahison, participation à une organisation terroriste, préparation de sabotage, tentative d’attentat terroriste et possession illégale d’engins explosifs. Il encourt la prison à vie.
Un habitant de la région de Sverdlovsk (district fédéral de l’Oural) arrêté pour avoir tenté d’envoyer des colis piégés à des militaires et des fonctionnaires russes
Le 13 mars, un habitant de Pervouralsk, âgé de 22 ans, a été arrêté par le FSB. Il est accusé de collaboration avec les services de renseignement ukrainiens. Il est soupçonné d’avoir préparé des colis piégés destinés à des militaires et fonctionnaires russes dans les oblasts de Tcheliabinsk, Tver, Rostov, Nijni Novgorod et Kalouga.
Sabotages et incendies
Une antenne-relais incendiée dans la région de Leningrad (district fédéral du Nord-Ouest)

Dans la nuit du 10 mars, des inconnus ont incendié une antenne de téléphonie mobile dans le village de Zanevka, district de Vsevolojsk, région de Leningrad.
Une enquête pénale a été ouverte pour acte de terrorisme.
Une voiture marquée d’un Z incendiée à Irkoutsk
Le 13 mars, la chaîne Telegram « Skrepatch » a publié une vidéo montrant l’incendie d’une voiture arborant la lettre Z à Irkoutsk (district fédéral sibérien).
Des résistants ont détruit une antenne-relais à Novossibirsk

Le 16 mars, des résistants de Novossibirsk (district fédéral sibérien) ont publié une vidéo montrant l’incendie d’une antenne-relais.
Une voiture arborant le symbole Z incendiée à Nijni Taguil (District fédéral de l’Oural)

Le 15 mars, le mouvement de résistance ATESH [NdlR. «feu» en langue tatar, groupe de résistance à l’occupation russe, actif en Crimée et en Ukraine occupées] a publié une vidéo montrant l’incendie d’une voiture marquée du symbole Z à Nijni Taguil.
Divers
Le Tatar de Crimée Rustem Virati est mort en prison à Dimitrovgrad
Rustem Virati avait été arrêté au printemps 2023 dans la partie occupée de la région de Kherson, dans le cadre d’une affaire liée à sa participation présumée aux activités du bataillon Noman Çelebicihan.
Lors des interrogatoires, cet homme âgé avait été battu et torturé. Un tribunal russe l’avait condamné à 8 ans de colonie à régime sévère.
Le 10 février 2024, la famille de Rustem Virati, âgé de 60 ans, a été informée de sa mort en détention dans une prison de la région d’Oulianovsk.
Des tracts anti-guerre distribués par des inconnus à Belgorod
Le 10 mars, à Belgorod (district fédéral central), une promotrice de ventes a distribué de faux tracts contenant des QR codes renvoyant à un site affichant un « message de vœux » pour le 8 mars, sous forme d’un collage de cadavres de soldats russes accompagné du message : « Protégez vos maris de l’opération spéciale. Là-bas, ils meurent pour de vrai. »
L’action anti-guerre a été revendiquée par le Mouvement résistant de la République populaire de Belgorod.
Environ 500 tracts ont été distribués de cette manière.
Le projet Chroniques de la Russie qui proteste est réalisé quasiment exclusivement par des bénévoles.
Ont en particulier participé à l’élaboration de la version française l’équipe de bénévoles de Mémorial France ainsi que des des étudiants en russe des universités de Strasbourg, Toulouse, Paris, Besançon, Grenoble, etc…
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